samedi 19 avril 2014

Un « nerd » pour la réforme électorale canadienne

Il a 34 ans. Il est né en Alberta de parents français. Il a étudié les relations internationales à l’Université de Calgary. Puis, il devint sondeur, consultant politique, assistant de leaders politiques et, en 2004, candidat dans le comté Nepean-Carleton d’Ontario, où, à l’âge de 25 ans il est élu député canadien du Parti Conservateur (PC) en délogeant un ministre libéral de son siège par 4000 voix. Depuis, il a été réélu en 2006, 2008 et 2011 avec des majorités de plus en plus importantes frisant les 19,000 voix de majorité. Le sondage politique annuel du journal The Hill times l’a reconnu un des députés les plus travaillants dans sa circonscription. La politique est sa vie.

Son nom est Pierre Poilievre. Parfaitement bilingue, il est devenu, le 15 juillet 2013, ministre d’état à la Réforme Démocratique du gouvernement Harper. Il est de droite et a des allures d’une personne solitaire, passionnée et obnubilée par une approche politique et intellectuelle genre parti-républicain-américain. En somme, il a des airs de « nerd ». Je ne le connais pas et je n’émets que mon impression après l’avoir écouté et vu débattre à la Chambre des Communes, lu le Hansard, durant les dernières années. Depuis sa venue au parlement, Skippy, comme le surnomme ses collègues, agit en partisan aveugle. Il bondit, attaque et ridiculise les adversaires sur tout et rien. Comme ministre, il se montre petit, mesquin et se fout des questions de l’opposition avec des réponses hors-sujet et trop souvent absurdes. Sûr de lui-même, il est peu porté à écouter les opinions des autres. Malgré tout, on a l’impression qu’un jour il ira loin, peut-être même jusqu’à la tête de son parti et premier ministre du Canada. Mais pour se faire, il devra agir plus démocratiquement, arrondir les coins et comprendre que la politique est l’art du compromis.

Il y a deux mois, Poilievre proposa une réforme importante, le feuilleton C-23 sur l’intégrité électorale. Le projet de loi a été durement contesté depuis et le ministre a systématiquement refusé toute critique et toute modification à son texte.

L’opposition n’est pas venue seulement des partis politiques d’opposition que le ministre a cherché à ridiculiser, mais aussi de mandarins du gouvernement, tels Marc Mayrand, directeur général des élections du Canada et de Sheila Fraser, ex-vérificatrice générale du gouvernement canadien.

Mayrand, nommé par les conservateurs, a critiqué le projet de loi en exprimant ses nombreuses préoccupations dont, entre autres, les restrictions proposées pour l’identification des électeurs par un répondant. Il estime que 120 000 électeurs actifs ne pourront voter à la prochaine élection si la mesure est votée. Il regrette que ni lui et ni le commissaire aux élections Yves Côté n’aient été consultés pour la préparation du projet de loi et souligne qu’au Royaume-Uni, en Australie, en Inde et aux USA une telle preuve de résidence n’est pas exigée.

En réponse, Poilievre rejette du revers de la main l’argumentation réfléchie de Mayrand et l’attaque personnellement en prétextant qu’elle est « pleine d’allégations et ahurissante ». Il ajoute « qu’en réalité Mayrand ne cherche qu’à accroître son pouvoir de haut-fonctionnaire, d’augmenter ses budgets et de rendre moins de comptes au Parlement ». Accusations totalement gratuites et injustes.

Fraser a qualifié le C-23 d’ « une attaque contre notre démocratie » et s’il n’est pas amendé, elle craint que la prochaine élection soit en péril. Elle explique que « notre système est basé sur la justice et l’équité et chaque canadien doit pouvoir voter. Au lieu de faciliter cette approche, le feuilleton c-23 rend cette acte plus difficile ». Elle affirme connaître l’intégrité et l’impartialité de Mayrand et déplore l’attaque contre cet officier du parlement car elle craint que de tels gestes créent l’impression dans le public que les sept hauts-fonctionnaires indépendants du Gouvernement sont biaisés. « Ce qui est loin d’être le cas », assure-t-elle.

Le comité sénatorial à majorité conservateurs s’est penché sur la question et vient unanimement de rendre son premier rapport. Il est très critique et contient des recommandations précises, telles, ne pas empêcher le directeur général des élections de parler aux électeurs, l’obligation de fournir des attestations de noms et d’adresses aux personnes qui le demandent, de ne pas permettre aux partis politiques de dépenser sans limites pour solliciter des fonds d’anciens donateurs (cela favoriserait le PC)... Cependant, il ne s’est pas prononcé sur la question la plus disputée qu’est celle de l’identification d’un électeur par un répondant.

Les conservateurs font tout pour changer la normalité. Ils s’en prennent aux bases même du système tel que défini comme immuable dans le passé, telles, la précision du recensement, l’obligation du gouvernement de répondre au parlement et, aujourd’hui, les élections justes, le droit et le devoir de chaque canadien de voter, l’encouragement aux électeurs à voter, la confiance dans l’intégrité de ceux qui dirigent les élections… Dans le passé, Élections Canada a fait des campagnes de stimulations dans les milieux où le niveau de votation était bas, par exemple, chez les étudiants. Les conservateurs s’y opposent car ils savent que la majorité des étudiants ne sont pas conservateurs. Ils accusent donc Élections Canada de faire de la politique et d’être en « conflits d’intérêts » parce que cet organisme gère les élections et stimule les électeurs à voter puisque c’est son mandat.

Depuis qu’ils sont au pouvoir, les Conservateurs sont comme les républicains américains qui, dans les quartiers noirs et hispaniques, normalement favorables aux démocrates, font tout pour réduire appréciablement le nombre d’électeurs, via le recensement, la diminution du nombre de bureaux de votation... Nous avons été témoins à la dernière élection présidentielle américaine des longues et interminables filées d’électeurs qui attendaient des heures pour voter. Ils étaient blancs, noirs, hispaniques et tous pauvres. Au Canada, nous ne faisons pas cela. Ce n’est pas normal. Tout le monde doit voter et aucune embûche ne doit motiver un électeur à ne pas voter. Les conservateurs, au contraire, par le Bill C-23 cherchent à restreindre le vote étudiant, celui des autochtones et celui de ceux qui doivent utiliser un répondant pour se faire identifier comme électeur, etc. C’est inacceptable.

Le leader de l’opposition Thomas Mulcair, heureux du rapport sénatorial, a décidé de talonné Poilievre et le suit pas à pas au parlement. Ses questions sont pertinentes et, peu à peu, les Canadiens comprennent mieux l’importance de ce débat. La crédibilité du gouvernement est miné jour après jour. Quant au chef libéral, Justin Trudeau, il promet d’annuler le projet de loi s’il est adopté, dès sa prise du pouvoir.

Face à la pression négative montante venant de divers milieux, depuis deux mois, Harper a réagi et a demandé à son ministre de se dire prêt à discuter de changements. C’est un début mais la bataille est loin d’être gagnée même si l’intraitable Poilievre annonce que dorénavant « il a l’esprit ouvert ». Peut-on y croire ? Je ne crois pas, car un tel dossier est complexe, sensible, important et apolitique. Il requiert de l’expérience, de la rigueur et une capacité d’écoute pour être mené à bonne fin. Ce que ce ministre n’a pas démontré avoir à ce jour.

Nous, Canadiens, devons rester sur nos gardes, car la stratégie conservatrice est de faire adopter la loi C-23 le plus vite possible. Des changements de cette importance prennent normalement beaucoup de temps, d’analyses et d’évaluations par tous ceux qui sont engagés et touchés par une telle législation. Ils ne peuvent être brusqués car la démocratie fonctionne bien s’il y a consultation, respect des différentes opinions et consensus. C’est la responsabilité de notre gouvernement fédéral d’agir ainsi.

Claude Dupras

3 commentaires:

Claude Dupras a dit…

GSD a écrit çe qui suit:

Très bon texte. Brao!!!
Comment vas-tu faire pour voter conservateur... et te regarder dans le miroir.
Bye
Gérard

Claude Dupras a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Hop Skip and a Jump Away a dit…

Loved rreading this thanks