vendredi 31 juillet 2009

Dérapages policiers


Deux incidents similaires, aux USA et en France, viennent d’être rapportés intensivement dans les médias en rapport avec des réactions de policiers face à des citoyens.

Celui des USA a fait le tour du monde et a porté le président Obama a commettre une de ses premières erreurs de jugement puisqu’il a admis avoir parlé sans connaître tous les faits. En début de soirée, un professeur américain de Harvard, le renommé Henry Gates, tente, avec un ami, de débloquer sa porte d’entrée à coup d’épaule. Il a oublié sa clef. Une voisine aperçoit les ombres des deux individus qui forcent la porte et elle décide d’appeler la Police en décrivant la scène. Elle n’est pas raciste et ne qualifie pas les intrus de noirs. Mais la Police dans sa dépêche aux policiers circulant dans la région affirme sur les ondes que ce sont deux noirs.

Gates affirme au policier qu’il est chez lui et rouspète en disant des mots qui raisonnent à l’oreille du policier comme des insultes. L’officier invoque alors qu’il « trouble l’ordre public » et le met sous arrestation. Dès que la nouvelle est répandue par les médias, les leaders noirs américains sont choqués de ce qui arrive à Gates puisqu’il est un de leurs héros car il enseigne l’histoire des noirs américains et est un documentaliste reconnu à la chaîne de télévision publique PBS.

Quant à l’officier, James Crawley, il est reconnu comme étant non raciste et l’a prouvé au début de sa carrière en cherchant désespérément à sauver la vie du célèbre joueur de basket américain noir Reggie Lewis, par le bouche-à-bouche.

Heureusement, tout est bien qui finit bien. Les charges contre Gates sont retirées et le président Obama, qui avait lancé de l’huile sur le feu en déclarant que le geste de Crawley était « stupide », a dit regretter son affirmation et a invité Gates et Crawley à venir à la Maison Blanche prendre un verre de bière ensemble avec lui-même et le vice-président Biden.

Deux jours plus tard, le 18 juillet 2009, en Avignon, en plein festival au moment où la foule est d’une densité hors de l’ordinaire, l’un de ces extraordinaires mimes qui se transforment en statue et que l’on voit maintenant dans toutes les grandes capitales du monde, donne son spectacle. Il est tout de blanc vêtu et son interprétation est impeccable. Je l’ai vu quelques fois et j’ai remarqué combien la foule apprécie son talent. Ce jour-là, un père de famille, fort impressionné, remet quelques pièces de monnaie à son fils de 15 ans pour qu’il les dépose dans la boîte face à l’artiste.

Il y a là aussi, à quelques pas, un CRS (corps policier français formé aux techniques anti-émeute) qui s’est accoté, les bras croisés, sur le devant d’une voiture et qui fixe le mime. Certains ont même l’impression que ce policier est aussi un mime. Certains sont confus. Le père prend son appareil photo et le gamin qui veut plaisanter, dépose la pièce à côté de la boîte, devant le policier en lui disant « vous le faîtes drôlement bien ». Plusieurs personnes rient car ce n’est pas méchant. L’agent, se sentant outragé, s’offusque de ce geste et lui demande ses papiers. Le père réagit et affirme que la demande est injustifiée. D’autres témoins s’en mêlent, s’opposent à l’arrestation et le débat augmente d’intensité.

Le CRS appelle de l’aide. Son groupe y voit un refus de contrôle et un début d’émeute et interpelle quatre personnes : le fils, le père et deux passants qui sont menottés et placés dans le fourgon. La foule y voit une escalade démesurée par rapport à ce qui venait de se passer et plusieurs personnes vont témoigner au Commissariat où le père passera obligatoirement la nuit. Le tout ira en cour. Et dire que la France est reconnue comme étant le pays des droits de l’homme.

Quant au policier à la base de cette triste histoire, on croirait qu’il aurait été réprimandé, mais non. Les journaux ont rapportés que deux de ceux qui sont intervenus ont obtenu deux jours de congé pour des "blessures aux poignets, au dos et des contusions".

Quelques jours plus tard, je suis témoin d’une altercation entre un policier de notre village et deux personnes âgées. Le tout a commencé lorsque ce policier dirige le trafic à un détour mis en place pour éviter quelques travaux de voirie. J’entends un policier qui crie avec une attitude dingue pour faire avancer les automobilistes. Une automobiliste qui arrive d’une autre direction s’arrête alors que le policier lui fait signe. Elle est confuse. Il lui crie tout fort après avec des mots comme « Avance, la conne… ». Un couple de personnes âgées, situé près de lui, s’avance pour lui faire part de leur étonnement face au langage qu’il utilise et lui demande de changer de ton et d’être plus poli. Ils deviennent vite sa cible et il se met à les enguirlander, du fond de ses poumons. Il ne veut rien comprendre et l’engueulade dure de longues minutes. Je suis de l’autre côté du chemin, témoin de cette dispute, comprenant fort bien que mon intervention ne changera rien. Le couple jure que cela ne se terminera pas comme cela et veut faire une plainte officielle auprès des élus de la ville. À un des élus que je rencontre, je décris l’incident et m’offre comme témoin. Le couple a été entendu, mais le policier n’a reçu qu’une simple réprimande de ne pas recommencer, sans aucune punition.

Tout cela pour souligner que les policiers se doivent d’utiliser leur jugement avant de procéder à une arrestation ou remplir leur devoir de protéger le public. Le policier américain Crawley aurait pu faire la part de choses et croire M. Gates qui lui affirmait qu’il voulait simplement rentrer dans sa résidence. Et même si ce dernier refusait, par principe, de lui montrer ses papiers, le policier aurait pu s’informer et agir avec plus de sagesse. Quant au CRS en pleine foule estivale, il aurait pu aussi agir plus intelligemment et profiter de l’occasion qui lui était présentée de tourner cela à son avantage en acceptant avec un sourire le geste du jeune de 15 ans, car personne n’y voyait de geste moqueur envers lui.

Les corps policiers se doivent d’être respectés. Il en va de l’ordre et du bien être de tous les citoyens. Mais les membres des forces policières doivent aussi savoir comment agir avec doigté et respect des droits de chacun. Il me semble que cet aspect de bonnes relations du policier avec la population n’est pas assez développé. Souventes fois, j’ai remarqué des réactions aussi incompréhensibles que révoltantes de la part de policiers alors que tout aurait été plus facile pour eux s’ils avaient su comment s’y prendre. Ils auraient ainsi pu contribuer à améliorer leur image auprès du public. Nous ne vivons pas dans un système policier. Aux USA, en France et au Canada, nous sommes en démocratie et il est impératif que les droits de chaque citoyen soient respectés en tout temps. Le citoyen n’est pas l’ennemi du policier et vice-versa.

Claude Dupras

dimanche 26 juillet 2009

Rêve ou réalité politique

Suite à mon précédent blog, « Un parti en déroute », mon ami algérien Mansour m’a fait parvenir un commentaire par lequel il exprime une opinion contraire à la mienne en rapport avec la solution aux problèmes électoraux du Parti Socialiste français. Il contient beaucoup de vrai et c’est la raison pour laquelle je le publie ici, en le commentant par la suite. Le voici :

Claude

Ton blog concernant la déliquescence du parti socialise, depuis pratiquement le départ de Mitterrand, m'a rappelé la fameuse déclaration du grand révolutionnaire français, Mirabeau, je crois, qui affirmait que la France était en fait un ensemble de peuples désunis. Et cette évaluation de la société française au 19e siècle reste valide à ce jour, à mon avis. Dans un sens, c'est ce qui fait le charme de cette société extraordinaire, qui est toujours capable aussi bien du pire que du meilleur.

Mais pour être sérieux, je crois que les partis de gauche à travers le monde occidental, y compris les USA, entre parenthèses, traversent un grand désert d'idées et sont incapables de s'adapter aux conditions mondiales du jour. Le monde autour du monde occidental se transforme à une vitesse que les Occidentaux refusent de suivre. D’un côté, il est apparemment facile aux idées de droite de puiser dans le puits du refus, de toute la société occidentale, d'accepter qu'elle ne pourra plus façonner l'avenir de toute l'humanité comme elle le désire. De l'autre coté, il semble impossible aux idées libérales de la gauche d'adapter ses principes de défenses des droits du travailleur, par exemple, à l’inévitable vague de la mondialisation.

A mon avis, le problème du Parti Socialiste français n'a rien à avoir avec le manque de leadership. Plus grave encore, il souffre d'un essoufflement de sa propre idéologie. Et ce qui est plus important, c'est que l'opinion publique en France, aussi bien qu'à travers l'Europe, est aujourd'hui plus conservatrice que jamais pour défendre les gains socio-économiques garnis depuis le 19e siècle, malgré le fait que tout le monde sait que ces jours fériés sont à jamais du passé. Qu'on le veuille ou non, nous assistons à une première guerre mondiale économique que l'Occident est sûr de perdre et il ne sait pas comment s'adapter à cette défaite. Les monstres de l'Asie et du Sud-est asiatique décideront de l'avenir de l'humanité dans les décennies et les siècles à venir.

Mansour


Je suis d’accord avec Mansour sur son analyse des réactions de la droite ou de la gauche en rapport avec les transformations de nos sociétés qui découlent de la mondialisation et de la montée des géants économiques de l’Asie. D’ailleurs, dans mon récent blog, j’ai reconnu qu’une vague de droite s’élève à l’horizon européen et que la mondialisation a de grands effets sur la politique.

Mais il ne faut pas oublier que la bataille est électorale.

Les socialistes de tous les pays européens sont aussi inquiets de l’effritement de leurs appuis électoraux, et c’est pourquoi, au parlement européen, le parti qui regroupe les députés socialistes de chaque pays, cherche de nouvelles alliances et veut changer de nom.

Et en France, l’échéance des prochaines élections présidentielles est dans trois ans. Ceux qui prédisent, aujourd’hui, que le président Sarkozy sera réélu, ne semblent pas savoir qu’une telle période de temps est longue en politique. Tout peut arriver. Il faut aussi qu’il réalise, qu’il le veuille ou non, que la politique est devenue en France, comme ailleurs, un commerce d’images et d’illusions.

Un nouveau chef élu par un très grand nombre de gens de gauche aura une crédibilité certaine surtout s’il réussit à présenter un programme politique réaliste qui s’adapte aux problèmes du temps et de l’avenir et qui n’est pas basé que sur des idéaux sentimentaux.

Certains proposent que le PS change de nom dans le plus bref délai. Ils pensent ainsi faciliter la venue des électeurs vers leur formation politique. Je ne partage pas cette opinion. On ne change pas de nom de parti comme on change de chemise. Ceux qui dans le passé ont réussi une telle mutation ne l’ont fait qu’à l’étape finale d’une transformation interne et sérieuse de leur parti. Lorsque le PS aura réformé sa structure, repensé et modernisé ses politiques, ouvert son « membership » et élu un chef crédible, il sera temps de donner à cet important renouvellement le nom qui l’identifie le mieux.

Si le Parti Socialiste français persiste dans sa voie actuelle, il est foutu. S’il écoute ses jeunes membres, réagit intelligemment et redevient dynamique, il ramènera les brebis égarées au bercail et aura une chance sérieuse de devenir un concurrent valable pour reconquérir la présidence française.

Claude Dupras

jeudi 23 juillet 2009

Un parti en déroute

Il y avait les Éléphants. Il y a maintenant les Éléphanteaux. Ils sont cinq jeunes députés socialistes français. Non, pas vraiment jeunes puisqu’ils dépassent les 45 ans. Leurs noms seront les grands noms de la politique française de demain : Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Pierre Moscovici, Benoît Hamon, Vincent Peillon. Ils en ont assez de voir leur parti glisser sur une pente descendante de plus en plus à pic. Ils n’en peuvent plus de se laisser manœuvrer par la vieille garde du parti qui a amené le Parti Socialiste français dans une obscurité qui devient de plus en plus profonde. Ils ont décidé de brasser la cage. Avec eux, le respecté Jack Lang, ex-ministre de la culture, vient de qualifier le parti d’ « arbre sec », c’est presqu’admettre que le parti est mort.

Le problème du PS en est un de leadership. Pas un de programme comme le dit et le répète Martine Aubry, la première secrétaire du parti et le « boss » actuel. Dès son élection, au congrès de Reims à l’automne dernier, j’ai affirmé dans un blog que le parti venait de faire une erreur fondamentale en choisissant « la femme des 35 heures ». Cette politique erronée du passé se devait d’être vitement oubliée, mais, malheureusement, les Éléphants n’ont pas compris cela et ont propulsé Martine Aubry sur l’avant-scène. Depuis, la cacophonie s’est installée et le parti accumule défaite sur défaite car plus personne ne l’entend. Il perd constamment ses adhérents au profit d’autres partis de gauche, anciens ou nouveaux.

La gauche française a d’innombrables idées. Le contenu ne manque pas. Il lui faut un chef qui proposera son programme auquel les Français pourront s’identifier. Pour ce faire, les jeunes députés socialistes veulent que le parti institue, sur tout le territoire français, une grande élection primaire à l’américaine, ouverte à tous les électeurs de gauche du pays quelque soit leur parti. Ils ont la conviction que le chef qui en émergera deviendra un leader capable de rallier toute la gauche et de l’unifier pour faire face à Nicolas Sarkozy lors de la prochaine élection présidentielle. Je crois que c’est une très bonne idée qui a le mérite d’être pratico-pratique car les électeurs français se partagent, plus ou moins également entre la gauche et la droite. Mais une importante vague droite pointe à l’horizon européen où la popularité de mesures politiques à la social-démocratie est en baisse et la mondialisation pèse. Cela rendra la vie plus difficile au PS s’il ne fait rien pour se dégager de sa torpeur actuelle.

Suite à une critique sévère de Valls sur l’état actuel du parti, Martine Aubry a fait l’erreur de lui répondre publiquement en le menaçant d’expulsion du parti, comme si le PS n’était plus un parti pluraliste. Aujourd’hui, après la réponse cinglante de Valls, elle perd la face en ne mettant pas en force sa menace, alors que les députés socialistes s’unissent pour demander une « Halte au feu » en affirmant que « chacun est libre de son expression, de son ambition, de l’épanouissement de son talent… ».

Ce n’est pas d’un appel au calme qu’a besoin le PS pour se redresser. C’est en laissant les jeunes députés dirent tout haut ce que la majorité des gens de la gauche pensent tout bas, en les écoutant et en les laissant prendre une place de leadership dans ce parti. Le parti doit être secoué vivement, sinon il est voué aux bancs de l’opposition pour longtemps.

Claude Dupras

lundi 13 juillet 2009

Avignon : capitale du théâtre

Quel évènement que le grand festival de théâtre d’Avignon !

D’année en année, il grandit au point que la présente cuvée présente plus de 950 spectacles au rythme de plus de 650 représentations par jour, pendant 23 jours. De tous les coins de la France et du monde, des troupes d’acteurs et d’actrices viennent jouer dans des salles, majoritairement improvisées, pouvant accueillir de 40 à 200 personnes.

Il y a le « in », le festival officiel qui présente une trentaine d’activités théâtrales et il y a le festival « off » qui regroupe tous les autres participants et leur permet de démontrer leur savoir-faire sur les planches avignonnaises. Tous les grands auteurs sont joués. Le festival devient une grande vitrine pour les promoteurs de théâtre du monde qui y viennent nombreux pour juger de la qualité et de l’excellence de chaque troupe et pour décider lesquelles ils veulent engager pour venir dans leur théâtre respectif.

J’ai eu l’occasion de voir, entre autres, « Victor Hugo, mon amour » un spectacle d’Anthéa Sogno qui a monté cette pièce à partir des 23,650 lettres d’amour que se sont échangés Victor Hugo et sa maîtresse Juliette Drouet. Mme Sogno a mis en scène « leur vie intime, littéraire et politique ». Elle y joue admirablement bien et se révèle une très grande actrice. C’est un spectacle d’une rare intensité, enthousiasmant et plein de sensibilité, d’humour et d’émotions. Les décors et les costumes sont superbes et sont « une vraie fête pour l’œil et l’oreille ». De quoi réjouir ceux qui sont animés de sentiments enflammés et prêts à tomber amoureux ! C’est un spectacle sublime que j’aimerais bien voir jouer à Montréal car je crois que les Montréalais et les Montréalaises en deviendraient vite passionnés. Ce spectacle vaut, à lui seul, le détour par Avignon.

J’ai vu aussi « le préjugé vaincu » de Marivaux. Je ne connaissais pas bien cet écrivain français du 18e siècle, mais on me dit que cette pièce, peu jouée, fut l’un de ses grands succès tant critique que public. Le metteur en scène, Jean-Luc Revol, a transposé l’action de ce siècle dans les années ’50 et montre que les conditions sociales et féminines du temps de Marivaux tout comme celles des temps modernes sont empreintes de préjugés à faire tomber. Cette pièce classique devient un véritable bijou, aux couleurs pops, de rire et de fantaisie sur des airs de Mambo tout en maintenant le français parlé du 18ième siècle, qui a piqué ma curiosité. Magnifique et fort divertissant !

Ce ne sont que deux exemples de ce festival unique de théâtre qu’est le Festival d’Avignon. Si vous, lecteurs de ce blog, planifiez des vacances au sud de la France en juillet, quelque soit l’année, n’hésitez pas à venir passer quelques jours à Avignon. Vous pourrez assister à deux, trois ou même quatre pièces de théâtre par jour qui rendront vos vacances inoubliables.

Claude Dupras

vendredi 3 juillet 2009

Le Jazz et les Montréalais

Le festival international du Jazz de Montréal est en pleine action. De partout au monde, les plus grandes vedettes mondiales de cette musique préférée des Montréalais sont au rendez-vous. Elles jouent devant des centaines de milliers de personnes venues d’innombrables pays pour assister avec nous à l’extraordinaire programme élaboré pour le festival durant douze jours. C’est le nouvel âge d’or du jazz à Montréal.

Pour les Montréalais, l’amour du jazz n’a pas commencé en 1980 lors du spectacle inaugural du premier festival, donné par Ray Charles à la Place des Nations de l’île Sainte-Hélène. Non, longtemps avant et dès les débuts du jazz dans les années ’20, les Montréalais se sont entichés de ce genre de musique créé aux États-Unis par les noirs américains.

Ce sont les années ’40 qui furent le premier âge d’or du jazz à Montréal, surnommée alors « ville ouverte ». Le point focal était surnommé the corner, situé à l’intersection de la rue Ste-Antoine et de la rue de la Montagne, à Montréal. Le Rockhead’s Paradise et le Café St-Michel y étaient installés.

C’est la période durant laquelle Oscar Peterson devint un pianiste de jazz reconnu. Les blancs opinaient que le talent de Peterson trouvait son influence dans les compositeurs européens comme Liszt, tandis que les noirs argumentaient que c’est Duke Ellington et la communauté noire qui étaient son inspiration. Le Duke préférait utiliser l’expression « negro music » plutôt que jazz.

Des musiciens qui se disaient « de jazz » jouaient cette musique pour le plaisir des clients de cabarets à travers la ville. Mais ce sont alors des musiciens blancs, avec leur forme de jazz, qui étaient engagés pour les spectacles de showgirls, de comédiens et de chanteurs ainsi que pour les orchestres de danse de jitterbug et de mambo. Les propriétaires de cabarets engageaient normalement deux orchestres : un pour les spectacles qu’ils présentaient et l’autre pour la musique d’ambiance entre les spectacles. C’est durant la prestation de cette dernière que les musiciens noirs profitaient de l’occasion pour incorporer de la musique bebop dans leur présentation, sans trop exagérer afin d’éviter les critiques du propriétaire.

C’est au Aldo’s de la rue Crescent que se produisait le musicien de renom et autodidacte Steep Wade, pianiste et saxophoniste de bebop, qui influença Oscar Peterson. Il prit ce dernier sous son aile en lui rappelant que les espoirs de la communauté noire reposaient sur ses succès. Aldo’s était mon endroit préféré où j’allais écouter Oscar Peterson et d’autres excellents musiciens noirs.

Peterson croyait alors que le jazz n’avait pas le respect qu’il méritait comme forme artistique et que les blancs se montraient incapables d’accepter le talent artistique et les succès des noirs.

Des jam sessions chez Aldo’s, et a un très grand nombre d’autres endroits, étaient populaires et permettaient aux musiciens de se laisser aller et de créer leur musique. Avec les boîtes de nuit ouvertes jusqu’à tôt le matin, les clients avaient l’opportunité d’entendre des sessions incroyables et les propriétaires en profitaient car les musiciens n’étaient pas payés à ces heures tardives. Ces jam sessions servaient aussi à mesurer et à classer le travail des jeunes musiciens et des nouveaux arrivés en ville.

Le jazz permettait aux musiciens noirs de vivre de leur musique dans les boîtes de nuit. Par contre, Peterson constatait qu’aucun musicien noir ne jouait dans un orchestre à Montréal ou à Toronto et il ne se gênait pas pour le dire.

Pour sa part, Rufus Rockead, propriétaire du Rockhead Paradise, n’engageait que des musiciens noirs dans son orchestre mais faisait exception en retenant les services de musiciens blancs pour son lounge qu’il opérait au sous-sol de sa boîte de nuit. Une visite au Rockhead Paradise, tard le soir, était une expérience inoubliable que j’eus l’occasion de vivre en deux occasions.

Ce n’est que plus tard que j’appris les commentaires de Peterson et je lui donnai raison. Par le passé, j’avais engagé, une dizaine de fois, des orchestres parmi les meilleurs de Montréal et jamais je n’avais vu un musicien noir en faisant partie. Il en était de même pour les orchestres qui animaient les nombreux bals et danses auxquels notre jeunesse participait. Pourtant ces orchestres étaient multiethniques et composés de Français, d’Anglais, d’Italiens, de Cubains, d’Espagnols et d’individus d’autres nationalités, mais pas de noirs. Ce n’est qu’alors que je réalisai la discrimination raciale qui existait dans le monde de la musique montréalaise envers les noirs. La raison d’être de cette situation m’était inconnue car, pour moi, ceux-ci étaient de grands musiciens.

Finalement, le jazz perdra de sa popularité à Montréal. D’après les connaisseurs, ce serait suite à l’élection de Jean Drapeau comme maire de Montréal en 1954. Sa politique d’éliminer le crime organisé affecta considérablement les revenus des boîtes de nuit qui diminuèrent radicalement. Les propriétaires de celles-ci se virent obligés de réduire considérablement leurs budgets de musiciens pour faire face aux nouvelles contraintes budgétaires. L’émergence de la musique rock attira l’attention. De plus, la venue de la télévision encouragea les banlieusards à demeurer chez eux pour se divertir. Les propriétaires de boîtes de nuit désespérés se tournèrent vers le striptease. Chez Paree deviendra la boîte de nuit la plus populaire.

Avec la disparition des boîtes de jazz qui pullulaient depuis les années ’40, disparaissaient les endroits qui servaient effectivement de site d’entraînement pour les musiciens de jazz. A la fin des années ’70, il n’en existera plus un où ils pouvaient jouer leur musique dans un endroit dédié au jazz, la créer et bien gagner leur vie.

À ce moment-là, Oscar Peterson ne croyait plus dans le futur du jazz à Montréal car il appréhendait que sans ces boîtes de nuit, de nouveaux talents hors de l’ordinaire ne pouvaient que difficilement émerger. Mais il était quand même heureux de constater combien Montréal avait contribué au développement du jazz dans le monde.

Les jeunes Montréalais des années ’40 et ’50 et Peterson devront attendre le Festival International de Jazz de Montréal en 1980 pour retrouver le jazz de leur temps, assister à des performances de qualité et pouvoir apprécier les artistes et la musique qu’ils aiment avec des milliers d’autres de leurs concitoyens. Encore une fois, Montréal contribue, par son très important festival, à la propagation du jazz sur la planète.

Claude Dupras

Ps. Ce texte est en grande partie composé d’extraits de mon livre qui est affiché sur mon site : Et dire que j’étais là ! L’itinéraire d’un p’tit gars de Verdun.