jeudi 25 octobre 2012

Mitt Romney : le caméléon

Fils d’un ex-gouverneur du Michigan qui chercha en vain à devenir candidat présidentiel de son parti, candidat défait au sénat contre Ted Kennedy, élu gouverneur du Massachussetts, aspirant défait à la candidature présidentielle républicaine en 2008 et finalement candidat républicain contre le président Barack Obama en 2012, Mitt Romney a une longue expérience électorale et politique qui lui a permis de comprendre mieux que quiconque que la politique est un commerce d’images et d’illusions.

Il y a à peine quelques mois, lors des primaires du parti républicain qui précédèrent la convention du parti à Tampa en fin d’août dernier, le discours de Romney se situait à droite et à droite de la droite. Ce fut sa stratégie pour gagner la majorité de ces élections et devenir le candidat présidentiel de son parti. Le parti était dominé par les teapartyers, les évangélistes, les riches, les pétrolières, les fabricants de produits pharmaceutiques, etc., et, depuis 2010 par une nouvelle majorité à la Chambre des Représentants, élus grâce à leur politique de droite radicale.

Romney s’adapta à chaque occasion et n’y alla pas avec le dos de la cuillère pour se montrer sympathique. Les principes politiques ne pesaient pas lourds dans son argumentation. Il s’agissait pour lui de dire, tout en ayant l’air sérieux, ce que les républicains de ces États voulaient entendre, nonobstant ce que pouvait en penser une majorité d’Américains qui exprimaient leur désaccord dans les sondages.

Il atteignit son objectif et sortit victorieux de Tampa. Puis, avec sa nomination en poche, le toujours pragmatique Romney changea sa stratégie du tout au tout dans le but de convaincre une majorité d’Américains qu’il serait un bon président. Pour satisfaire son clan de droite, il choisit leur idole, le représentant Paul Ryan pour être son vice-président. Puis, il se repositionna politiquement. Sans gêne, il devint, par ses discours, centriste avec un penchant soit à gauche, soit à droite, dépendant des circonstances, avec le défi de maintenir sa crédibilité.

Et Romney l’a fait, et le fait très bien. Au point que le sondage de ce matin (24/10/12) de Gallup lui donne une avance de 5% des électeurs probables. Un revirement sensationnel qui découle principalement du premier des trois débats entre les deux opposants. Lors de cette rencontre, Obama, sûr de l’avance qu’il avait à ce moment-là dans les sondages, a cherché à maintenir le statuquo. De son côté, Romney a adopté un ton positif, poli, respectueux, dynamique, intelligent et clair. Il a démontré une attitude présidentielle qu’on ne lui connaissait pas. Il a réussi sa prestation au point qu’il a placé Obama sur la défensive. Il a agréablement surpris et les Américains l’ont soudainement aimé.

On sait que lors d’élections, les électeurs donnent généralement plus d’importance au caractère du candidat qu’à ses politiques. « Est-ce que je l’aime ? », pensent-ils. Récemment, les campagnes anti-sarkozistes et anti-charestistes en sont une démonstration et les ont amenés à ne pas aimer Nicolas Sarkozy ou Jean Charest.

Les citoyens ne comprennent pas tout ce qui se dit en période électorale mais ils veulent avoir le sentiment que le candidat sait de quoi il parle. C’est l’impression que Romney a laissée. Depuis, il grimpe dans les sondages. Les deux autres débats qui ont suivi, ont été gagnés par Obama, mais Romney n’a pas perdu de plumes. Pourquoi ?

Gallup nous donne des indices en soulignant l’effritement du vote des femmes, des latinos et de la gauche qui étaient à la base de la victoire de 2008 d’Obama.

Les femmes critiquent Obama pour avoir éviter de parler, durant le débat, de la contraception, du salaire égal et de l’attitude qui règne à Washington envers les femmes et leur rôle en politique.

Les latinos sont profondément déçus d’Obama à cause de son manque d’action pour la réforme des lois d’immigration.

La gauche américaine exprime son désappointement envers Obama à cause de promesses électorales non respectées : taxes des riches, Guantanamo…

Les sondages ne veulent pas nécessairement dire que Romney va gagner car un président américain n’est pas élu directement par le suffrage de tous les américains, mais par les grands électeurs de chaque État dont le nombre est lié à sa population. Ces électeurs sont choisis en proportion des votes recueillis par chacun des candidats dans chacun des États.

Il y a 538 grands électeurs et la majorité à atteindre pour devenir président des USA est de 270. Comme ailleurs, il y a des États qui sont fortement probables ou solides pour les démocrates ou les républicains. Ils représentent actuellement, selon les observateurs avertis, 201 grands électeurs pour Obama et 206 pour Romney. L’élection se joue donc dans les États indécis : Colorado (9 grands électeurs), Floride (29), Iowa (6), Michigan (16), Nevada (6), New Hampshire (4), Ohio (18) Pennsylvanie (20), Virginie (13) et le Wisconsin (10). Sur ces 131 grands électeurs de ces États, Obama doit en gagner 69 et Romney 63 pour être élu. De toute évidence, c’est très serré !

Pour rallier les États indécis à sa cause, chaque candidat devra s’adresser directement aux problèmes de chacun. En voici quelques exemples :

Au Michigan, où Mitt Romney à grandi et où son père a été fabricant d’automobiles et gouverneur, c’est la relance des grandes compagnies GM, Chrysler, etc… qui prime.

En Floride, c’est le très grand nombre de retraités qui craint les coupures dans la sécurité sociale et le Medicare.

L’économie de l’Ohio est malade et la classe moyenne souffre. Là, plus qu’ailleurs, on blâme la mondialisation pour la perte d’emplois et les coupures draconiennes proposées par les républicains de l’État.

En Pennsylvanie, c’est la population qui diminue.

Paul Ryan est un élu du Wisconsin. Mais il y a beaucoup de méfiance envers lui à cause de son approche budgétaire et de sa volonté de transférer au privé le plus grand nombre de programmes sociaux pour couper dans les dépenses.

En Virginie, comme ailleurs dans le sud américain, où le nombre de latinos et de noir croît, il y a des tensions nouvelles qui se dessinent.

La population de l’Iowa est généralement plus âgée et pour elle la stabilité des programmes sociaux et de santé est importante. L’agriculture est capitale et compte sur la continuation des subsides fédéraux.

Le Colorado change vite. Sa population estudiantine augmente rapidement ainsi que le nombre des latinos qui représente 22% de la population. L’économie est relativement bonne.

Le Nevada a un des plus hauts taux de chômage du pays. Il en est de même pour le nombre de familles qui ont perdu leur maison. Le manque d’emplois et la diminution des valeurs immobilières sont les problèmes principaux.

À ce jour, il semble que le caméléon Romney est sur la bonne voie. Mais rien n’est certain, puisque durant les derniers jours, la cote d’Obama s’est améliorée de 2% dans le Gallup.

Mais si j’étais Obama, je serais nerveux suite à des propos d’anciens supporteurs importants. Ted Turner, le fondateur de CNN, vient d’affirmer « Même si je ne suis pas en accord avec beaucoup de ce que Romney dit, je crois qu’il fera un bon président ». De même, Georges Soros, milliardaire américain, philanthrope, décrit l’administration Obama comme étant fatiguée. L’ex-président Jimmy Carter reconnaît que Romney a montré sa compétence comme gouverneur et organisateur des JO de l’Utah et ajoute « je serais confortable avec Romney comme président ».

Je crois que les électeurs américains doivent se poser la question « qui est le vrai Romney ? ». C’est la réponse qui déterminera qui sera le prochain président des États-Unis.

Claude Dupras

jeudi 18 octobre 2012

Et si les Anglais n’étaient pas partis !


C’est en lisant l’article « As Quebec decays, Toronto seizes greatness » (Alors que le Québec se détériore, Toronto s’imprègne de grandeur) de lord Black dans le National Post que le sujet de ce billet m’est venu.

Conrad Black est né au Québec. Diplômé, dans les années ’70, en droit à l’université Laval de Québec et en histoire à McGill, il achète le journal Sherbrooke Record qui dessert la minorité anglophone des Cantons-de-l’est. Ce sera le début d’une épopée extraordinaire durant laquelle il deviendra propriétaire d’innombrables et importants journaux canadiens, américains et britanniques, un baron de la presse. Il quitte le Québec pour Toronto et plus tard renonce à sa citoyenneté canadienne pour devenir citoyen du Royaume-Uni où il devient membre de la chambre des lords britanniques. Mais certaines de ses transactions d’affaires attirent l’attention de la SEC, l'organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers. En 2007, il se retrouve au milieu d’un scandale financier en rapport avec les entreprises de son holding et est traduit en cour pour fraude. En 2007, il écope de six ans et six mois de prison. On le libère sous caution en juillet 2010 et il attend le résultat de son appel à la condamnation, puisqu’il se considère innocent des charges portées contre lui. Black est aussi biographe et a écrit l’histoire de Maurice Duplessis, premier ministre du Québec et des présidents américains F. D. Roosevelt et Richard Nixon.

En tôle, Black écrit sur l’actualité politique et le National Post, qu’il a créé, reproduit ses textes. Depuis sa libération, il continue. Son plus récent, mentionné précédemment, a choqué un grand nombre de Québécois. Blogueurs et chroniqueurs francophones l’ont décrié. Black y explique les raisons de l’exode hors-Québec de 500 000 Québécois anglophones durant les années ’60 à ’90. Il blâme les pressions nationalistes, les hauts taux de taxes non-compétitives, la redéfinition sans fin de l’utilisation de la langue anglaise comme si c’était un privilège et que l’on peut amender sans cesse par des lois comme la loi 101, etc.

Plus de cent sièges sociaux de compagnies importantes et d'un grand nombre de leurs sous-traitants ont quitté le Québec. Le « brain drain » a coûté plus de 100 000 diplômés de nos universités qui nous ont quittés pour s’installer hors-Québec. Des hommes et des femmes d’affaires d’envergure, des professionnels expérimentés, des créateurs reconnus et autres de bon calibre nous ont laissé pour aller travailler ailleurs. Et je pourrais continuer… Mais mon propos n’est pas de ressasser tout ça, mais de poser la question : Et si les Anglais n’étaient pas partis ?

Mais avant d’attaquer directement cette question, on peut se demander si nos concitoyens anglais ont eu raison de nous quitter. Selon eux, leurs droits étaient bafoués, leur identité sociale diminuée, leur langue et leurs traditions attaquées malicieusement. À tort ou à raison, ils ne sentaient plus bien dans leur peau. Ils ont cru que l’air frais d’ailleurs leur permettrait de reprendre goût à la vie. Pour eux, le bonheur s’y trouvait, là était la liberté de faire ce qu’ils voulaient dans leur langue, là ils seraient respectés. Ils quittèrent la terre de leurs ancêtres pour mieux vivre sans contrainte. Pour aller vers ce rêve, ils ont laissé leurs parents, leurs amis, leur maison, leur milieu, leurs habitudes… Ce fut pour chacun une décision difficile à prendre. Je le sais car plusieurs étaient mes amis. Je m’imagine me retrouver dans une telle situation et comment ce serait douloureux de tout quitter. Il faut être vraiment découragé par ce qui se passe autour de soi pour en arriver à ce point. Ils l’ont fait.

Par contre, les a-t-on vraiment brimés dans leurs droits ? L’avocat québécois Christian Néron nous éclaire sur cette question. Diplômé en histoire et en psychopédagogie, il a réagit à l’article de Lord Black sur l’Aut’journal (http://lautjournal.info/) dans un article intitulé « Lord Black is wrong ».

Me Néron souligne qu’il n’y a pas de droit sans loi. Sa « genèse des droits linguistiques au Canada » nous ramène à la case de départ et à Louis XIV qui en 1663 fait adopter un « Édit de création » pour objet de mettre en vigueur dans la colonie, l’universalité des lois et coutumes qui ont cours dans le parlement de Paris. En matière de langue, le français devient la langue officielle de l’État et le roi l’impose comme langue des relations internationales, aux dépens du latin ».

En 1763, le Canada change de roi pour celui de l’Angleterre et de régime. Le statut de la langue française changera-t-il ? Non, car le gouvernement anglais applique une règle à l’effet que toute colonie acquise par conquête se doit de maintenir en place ses propres lois et coutumes à l’exception de celles contraires à la religion. Ils sont brillants, ces Anglais !

En 1774, le parlement de Westminster adopte l’Acte de Québec. Le français demeure la seule langue officielle du pays. La langue anglaise fait sa place dans les « usages », mais ce ne sont ni des lois ni des droits. Le français… était même favorisé par la « common law » applicable aux colonies de peuplement. Par contre, sur le plan judiciaire, l’Acte garanti pour la première fois des droits linguistiques aux anglophones de la province de Québec… et leur reconnaît le droit de conserver et de diriger leurs écoles sur une base confessionnelle.

En 1986, la loi sur la santé et les services sociaux permet aux anglophones de réclamer des services et des soins de santé dans leur langue
.

Je crois que l’on peut conclure, comme Me Néron que les « humiliations » ressenties par les anglophones suite à certaines politiques linguistiques du gouvernement du Québec découlent d’une méconnaissance du droit et d’attentes irréalistes fondées uniquement sur des droits supposés ou imaginés. La loi 101 est légale et a été reconnue comme telle par la cour Suprême du Canada. Les anglophones n’ont pas perdu de droits et la langue anglaise a conservé tous ses attributs.

Lord Black ne tient pas compte de l’histoire des lois linguistiques au Canada et semble croire que les « usages » de la période coloniale anglaise tiennent lieu de lois et de droits.

Quant aux centaines de milliers d’anglophones qui sont restés au Québec, ils se sont adaptés et ont bien gagné leur vie. Ils ont vécu les changements linguistiques. Ils ont envoyé leurs enfants dans les écoles élémentaires et secondaires de langue française. Ils les ont vus plus tard fréquenter et marier un ou une francophone (50% d’entre eux l’ont fait)). Ils ont constaté que leur communauté est devenue à 70% bilingue. Ils ont respecté le français comme langue d’affichage, le travail en français et les autres conditions de la loi 101. Certes, ce ne fut pas facile et plusieurs ont regimbé, mais généralement tout est tombé en place. Aujourd’hui, ils sont généralement heureux. Cependant, ils s’inquiètent des ondes négatives qu’émet le nouveau gouvernement Marois. Ils sont surpris qu’il ne reconnaisse pas tout le trajet qu’ils ont parcouru en rapport avec leur adaptation à la langue française.

Et si les exilés n’étaient pas partis, où en seraient-ils ? Où en serions-nous ?

. Ceux qui sont restés nous démontrent qu’ils auraient eu les mêmes opportunités qu’ailleurs.

. La loi 101 serait toujours en vigueur et leurs enfants seraient bilingues et non unilingues comme ils le sont aujourd’hui.

. Leur vie familiale et d’affaires auraient été normales puisque les contraintes d’opportunités qu’ils appréhendaient ne se sont jamais réalisées.

. Montréal serait toujours la métropole canadienne et au lieu d’être au 17e rang mondial comme centre de services financiers, elle occuperait probablement une des premières places (Toronto est 3ième).

. L’importance et l’influence de Montréal au pays et dans le monde seraient demeurées intactes puisqu’elle serait la ville où les deux nations fondatrices du pays vivent ensemble.

. Avec les études, mieux préparés et plus expérimentés, les francophones feraient partie de la direction et du management des compagnies, quelles qu’elles soient. Ils participeraient activement et contribueraient également aux succès des entreprises canadiennes.

. La population de Montréal compterait un million de plus de résidents et la très grande majorité serait bilingue.

. Montréal à cause de ses facettes bilingues et la compétence de ses citoyens et citoyennes serait devenue un aimant capable d’attirer les compagnies étrangères voulant un pied à terre en Amérique.

. Les sièges sociaux des grandes compagnies se seraient multipliés, tout comme ceux des compagnies de sous-traitance qui leur fournissent services et produits.

. Les carnets de commandes des fournisseurs et des sous-traitants installés à Montréal augmenteraient considérablement puisqu’ils seraient situés à proximité des départements d’achats des sièges sociaux des compagnies.

. On n’entendrait plus, lorsqu’on veut placer une commande pour un objet particulier « c’est back-order Toronto ».

. L’offre d’emploi serait supérieure dans tous les domaines.

. Le nombre de payeurs de taxes seraient fortement augmenté, particulièrement dans la catégorie des plus hauts salariés.

. Avec plus de citoyens, le Québec aurait beaucoup plus de députés au parlement canadien et son poids y serait proportionnellement plus influent.

Et je pourrais continuer cette liste… Mais pour terminer, j’en ajoute un, qui me touche personnellement : l’architecture.

Avant la crise linguistique, Montréal a connu un boom architectural remarquable grâce à la collaboration des plus grands architectes du monde. Parmi ceux-ci, il y a eu la Place Ville Marie de l’architecte Ieoh Ming Pei, la ville souterraine de l’urbaniste américain devenu montréalais Vincent Ponte, l’édifice de la Banque Canadienne Impériale de Commerce de l’architecte britannique Peter Dickinson, la place Westmount de l’architecte américain Mies Van der Rohe, la tour de la Bourse des architectes italiens Luigi Moretti et Pier Luigi Nervi, la biosphère de l’architecte-futuriste américain Buckminster Fuller, le stade olympique du français Roger Tailibert, Habitat 67 de Moshe Safdie, le Château Champlain de l’architecte québécois Roger Dastous qui réalisa plus tard le village Olympique et plusieurs autres projets d'architectes renommés qui ont changé le visage de Montréal.

Depuis, Toronto donne le pas avec des projets des plus grands architectes du monde. On nous dit qu’à Montréal on ne pourrait se payer un bâtiment comme le musée de Bilbao, construit dans la ville industrielle espagnole et dont l’architecture attire des centaines de milliers de visiteurs. Ce musée est l’œuvre d’un canadien, le célère architecte canadien Frank Gehry. Pourtant à Toronto, il vient d’être engagé à nouveau pour un projet important, qui s’annonce extraordinaire, de trois tours de 80 étages dans le district des théâtres.

À considérer les faits mentionnés précédemment, on peut conclure que le départ des Anglais de Montréal fut injustifié. Les malheurs qu'entrevoyaient leurs craintes ne se sont pas matérialisées. Montréal, eux et nous serions aujourd’hui en meilleure position s’ils étaient restés au Québec. Plusieurs justifient leur décision d’alors par la peur. Je crois que malheureusement, ils ont eu peur d’avoir peur.

Claude Dupras

samedi 6 octobre 2012

« How am I not une vraie québécoise ? »

Son nom est Jennifer Sykucki de Saint-Hubert, Québec. Elle est désespérée face à son statut de québécoise. Dans une chronique du journal « the Montreal Gazette », elle vient d’exprimer l’angoisse qu’elle vit en rapport avec son identité. Je connais plusieurs personnes qui vivent une telle situation.

Jennifer a fait ses classes élémentaires et secondaires en langue française. Mariée depuis 19 ans à un Québécois pur-laine, ils ont deux adolescents parfaitement bilingues. Chez elle, on parle le français et l’anglais. Avec ses amis et les enfants du voisinage c’est le français. Son identité est trahie par son accent et la façon anglaise qu’elle a de s’exprimer.

Le cimetière de l’île d’Orléans témoigne que ses ancêtres maternels sont des Québécois de souche remontant jusqu’au 17e siècle à Dieppe. Il y a plus de soixante ans, ses grands parents paternels arrivent au Québec, avec leur fils, leur vie et rien d’autres, de la Pologne et de l’Allemagne, pays occupés par les nazis. Son père parle l’anglais et le français avec un fort accent.

Jennifer est fière de ses deux branches d’ancêtres qui lui enseignent ce que ce sont le travail et la liberté. Jeune, elle est affectée par la discorde linguistique autour de la loi 101. La tension entre les communautés anglophone et francophone monte dans son milieu de la Rive-sud. Elle devient aux yeux de plusieurs, l’« anglaise ». Durant cette période difficile, elle rêve aux USA, un endroit où elle se sentirait complètement à l’aise intellectuellement et linguistiquement, pense-t-elle. Finalement elle ne part pas et vingt-deux ans plus tard, elle est en amour avec le Québec.

Elle lit le français et l’écrit parfaitement sans devoir référer à une grammaire. Elle parle les deux langues et n’en préfère aucune. Avec son mari et ses enfants, elle utilise les deux langues. Pour ses parents c’est le français, pour son père c’est l’anglais.

Chez le dentiste, le médecin ou pour autres services, on lui demande dans quelle langue veut-elle être servie, elle répond celle que son interlocuteur préfère. Quelques fois, elle oublie un mot français ou un mot anglais. Mais cela, ça arrive à tout le monde !

Jennifer aime les langues française et anglaise et se dit bénie de les connaître toutes les deux. Elle explique que lorsqu’elle va partout au Québec, au Canada, aux USA, en France et autres nations francophones et anglophones,elle n’est jamais perdue et comprend toutes les indications routières ou les explications verbales de ceux qui l’aident à trouver son chemin. Dans le monde, on la voit comme une canadienne-française.

Malgré tout cela, elle se considère une québécoise anglophone. Si elle devient émotionnelle, c’est l’anglais qui ressort. Si elle devient passionnée pour un sujet, c’est en anglais qu’elle exprime mieux ses sentiments.

Son fils, comme sa mère, se voit comme un anglophone. Une fois, à l’école maternelle où elle l’avait inscrit pour mieux apprendre son français, il rencontre des parents d’élèves et se présente en anglais. Un père lui fait remarquer sèchement : « Parle français, on est au Québec…icitte ». Cet incident la marque négativement et elle s’en rappelle encore. Il y a à peine quelques jours, suite à l’élection du nouveau gouvernement, son fils revient de l’école avec un air blessé et dit à sa mère : « aujourd’hui on m’a dit à l’école que je n’étais pas un Québécois ! ». Encore une fois, Jennifer ressent son cœur souffrir.

Si le gouvernement oblige les francophones à fréquenter exclusivement les CEGEPS français, son fils devra s’y inscrire même si un CEGEP anglais correspondrait mieux à ses ambitions académiques et futures. Le fait qu’il soit parfaitement bilingue ne change rien. Jennifer se souvient de son rêve de jeunesse et espère que son fils n’arrivera pas à la même conclusion soit celle d’aller vivre sur le sol américain.

Jennifer et ses enfants se sentent réprimés. Elle pose des questions :

Ne serait-ce pas votre sentiment, si votre gouvernement vous rappellait quotidiennement qu’il veut faire voter des lois pour vous mettre à votre place ?

Ne serait-ce pas votre sentiment, si les gens qui vivent près de vous, vous regardaient avec un certain mépris et vous disaient que même si vous avez vécu toute votre vie avec eux dans la même communauté vous n’êtes pas un des leurs ?

Ne serait-cas votre sentiment, si toute votre vie vous aviez fait tous les efforts pour être un vraie québécoise, apprendre la langue française… que vos concitoyens vous méprisaient comme si vous n’en aviez pas fait assez ?

Ne serait-ce pas votre sentiment, si comme adulte vous viviez dans un des meilleurs pays du monde libre et que vous ne pouviez pas choisir l’éducation la mieux adaptée à vos besoins ?

Le gouvernement Marois ne pourra probablement pas mettre en application les lois qu’il préconise à cause du fait qu’il est minoritaire, mais c’est surtout le tort qu’il représente pour les anglophones qui les effraie.

Jennifer est choquée parce que son fils se sent comme un citoyen de seconde classe. Elle est née au Québec, y a vécu toute sa vie et veut y mourir. Pour elle, le Québec du PQ, n’est pas son Québec. Elle parle français. Elle parle anglais. Elle est une anglophone. Elle est une Québécoise.

Le texte qui précède est puisé presqu’entièrement dans celui de Jennifer qui a paru le 1er octobre dans le journal Gazette. J’ai cru bon l’utiliser pour en faire un billet de mon blog. Je crois qu’il nous faut, nous les francophones, réfléchir sur les sentiments qui animent nos voisins et amis anglophones.

Jennifer est un vraie Québécoise même si son texte s’intitule « How am I not une vraie québécoise ? ». Avec ses parents et son mari, elle a toujours travaillé durement pour assurer à sa famille une bonne éducation, une bonne vie. Ils sont tous bilingues. Je comprends leurs frustrations devant les discours de certains politiciens qui parlent comme si au Québec, il n’y avait que des francophones. Ce n’est pas correct.

L’accès obligatoire des francophones aux CEGEPS français, que veut imposer le nouveau gouvernement, est non seulement pas nécessaire mais, à mon point de vue, un accroc à la liberté de l’individu.

Nos enfants sont francophones parce qu’ils sont issus d’un milieu familial français. Suite à leur éducation primaire et secondaire, ils ont, actuellement, le choix d’entreprendre leurs études collégiales dans un CEGEP français ou anglais. Il en est de même pour l’université. Parmi eux, une minorité choisit le CEGEP anglais, soit pour parfaire sa connaissance de la langue anglaise, soit pour profiter du curriculum particulier d’une de ces institutions ou encore des ouvertures qu’elle génère sur le milieu du travail. C’est son choix. C’est don droit. Une chose est certaine, on ne fera jamais un anglophone d’un enfant francophone.

Ceux qui comme le fils de Jennifer grandissent dans un milieu familial bilingue avec un père français et une mère anglaise ou vice versa, ont la possibilité d’être francophone ou anglophone. Certains diront que c’est un avantage. Lorsque le fils de Jennifer a choisi d’être anglophone, cela a choqué son père, même s’il est parfaitement bilingue et qu’il soit qualifié de francophone par la loi (à cause de la langue de son père). C’est son choix. C’est son droit. Lui enlever le droit d’accéder à un CEGEP anglais est un geste injuste et pas correct.

Par ailleurs, certains jeunes anglophones choisissent le CEGEP français pour améliorer leur capacité de parler français. C’est leur choix. C’est leur droit. Est-ce que la nouvelle loi les empêchera d’accéder à un tel collège ? Sûrement pas. Alors….

Le nouveau gouvernement doit oublier cette promesse électorale qui viendra tout chambarder, ouvrir de vieilles blessures et qui est tissée d’injustices.

J’espère que le cri de désespoir de Jennifer sera entendu.


Claude Dupras

mercredi 3 octobre 2012

Où étaient-ils les responsables de la construction à Montréal ?

Le 13 mai 2009, cinq mois avant que la députée Sylvie Roy demande à l’Assemblée Nationale la tenue d’une enquête sur la construction au Québec, j’écrivais le billet suivant sur mon blog :

Des prix de fous !

Rien ne va plus dans les coûts de construction à Montréal. Les dépassements des estimés prévus pour les grands projets d’infrastructures et de bâtiments importants sont incompréhensibles…. Tout passe du simple au double quand ce n’est pas au triple.

Nous avons tous constaté la flambée des prix de la construction de l’extension du métro à Laval, du projet de l’autoroute Ville-Marie, du contrat des compteurs d’eau de la ville de Montréal, des prévisions budgétaires pour les garages et les centres d’entretien pour l’Agence métropolitaine de transport (AMT), du Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM) pour ne mentionner que ceux-là… car il y en a des dizaines d’autres. Les observateurs avertis sont surpris de cette situation tout comme le sont les citoyens qui y voient des augmentations futures de taxes foncières et autres.

Que se passe-t-il ? Sommes-nous victimes de fraudeurs ? Les estimateurs sont-ils de complets ignorants ? Y-a-t-il une mafia qui s’est installée dans le domaine de la construction avec comme but de souffler les prix et les profits ? Ce ne sont pas les questions qui manquent…

…J’ai oeuvré dans le domaine de la construction durant plus de 40 ans. J’ai créé, avec des associés, un bureau d’ingénieur-conseil qui fut très actif dans le domaine de la mécanique et d’électricité, en informatique et en gérance de travaux de construction… Jamais ai-je été témoin d’augmentation si sauvage des coûts de construction !...

…Le battage journalistique des derniers mois sur les différents projets de construction de la ville de Montréal et des autres organismes gouvernementaux, mentionnés précédemment, a marqué profondément une majorité des Montréalais qui y voient des scandales honteux. Les personnages impliqués par les médias sont venus, tour à tour, sur la place publique pour se défendre des insinuations qui pèsent sur eux et leurs entreprises.

Frank Zampino, l’ex-président du comité exécutif de la ville de Montréal, Jean-Pierre Sauriol, président du groupe d’ingénieurs-constructeurs DESSAU et les présidents des associations des constructeurs de routes et de grands travaux du Québec (ACRGTQ) et de la construction du Québec (ACQ), se sont tous expliqués. Pour eux, tout est beau et « tout le monde il est gentil » car ils ne voient pas vraiment de problèmes puisque tous les intervenants de leurs groupes respectifs sont qualifiés, efficaces, productifs, compétitifs et respectueux de l’éthique corporative et professionnelle…. À peine quelques uns admettent-ils la présence de quelques moutons noirs dans leurs rangs mais ils seront vite, disent-ils, chassés de la bergerie.

La Sûreté du Québec fait actuellement enquête sur certaines entreprises et plusieurs y voient là la solution au problème actuel. Je ne le crois pas, car la police ne traitera pas de ce que j’estime être les racines du mal qui ronge la construction, soient : une collusion malsaine chez plusieurs entrepreneurs, fournisseurs de matériaux et d’équipements; une improductivité grandissante chez les travailleurs; une incompétence évidente dans la planification des projets; une inexpérience manifeste dans l’estimation des coûts des projets; un manque de contrôle et de surveillance chez les donneurs d’ouvrage; une complicité malsaine entre les politiciens, les entrepreneurs et les professionnels; un manque de respect du principe des soumissions publiques dans le domaine publique; une éthique inexistante chez plusieurs intervenants, etc…

Une vraie solution serait la mise sur pied par le gouvernement du Québec d’une commission d’enquête sur les coûts de construction. Il est urgent de bien comprendre ce qui se passe afin de faire les corrections nécessaires car le Québec va entreprendre dans les cinq prochaines années plus de 45 milliards $ de travaux d’infrastructures….

CD


Pour lire ce billet en entier, voici le lien:
http://claudedupras.blogspot.fr/2009/05/rien-ne-va-plus-dans-les-couts-de.html">


Avec les premières révélations de la commission Charbonneau, mandaté pour enquêter sur la construction, tout devient plus clair. Oui, il y a eu collusions d’entrepreneurs, de fournisseurs de matériaux, et oui les prix ont flambé à cause d’elles ? etc..

Si je reproduis ce billet aujourd’hui, c’est pour demander pourquoi, lors de la flambée des prix, les responsables-experts de la construction n’ont pas posé publiquement les vraies questions ? Où étaient-ils ?

Où étaient ceux qui préparaient les plans et devis et soumettaient avec ces documents leurs estimations des coûts des travaux à entreprendre ?

Où étaient les experts-estimateurs, engagés par les clients, qui avaient comme seule mission de s’assurer que le projet était bien soumissionné et que les prix étaient réalistes, corrects et respectés ?

Où étaient tous ces professionnels lorsque les demandes de changements et les prix les accompagnant prenaient des grandeurs inhabituelles et scandaleuses même si les documents de construction du projet avaient été élaborés sur la base de programmes techniques bien définis et un budget très réaliste ?

Où étaient les chefs de services techniques des villes, responsables de la bonne réalisation de ces projets, dont le personnel ou les professionnels privés qu’ils engageaient avaient comme tâche de veiller à la bonne exécution des travaux, au respect des plans, devis et budgets ?

Où étaient les fonctionnaires provinciaux responsables pour le gouvernement du bon contrôle de ses projets de construction et que les consignes budgétaires du gouvernement soient respectées.

N’y-a-t-il pas eu suffisamment d’alertes, à gauche et à droite, pour que tous les responsables se réveillent, déterminent les sources de ces flambées de prix et avisent les élus que quelques chose ne tournait pas rond ?

Où étaient leurs associations professionnelles pour dénoncer cette situation fortement anormale. La Corporation des Architectes et l’Ordre des Ingénieurs ont demandé une enquête de la construction mais pourquoi le silence du côté des associations particulières ?

Comment est-ce possible qu’au moment où les prix grimpaient par coup de 30% et plus, des intervenants importants comme ceux mentionnés dans mon billet du 13 mai 2009 (Zampino, Sauriol, et les présidents des organismes), répondent des conneries à des questions importantes ?

Où étaient ceux qui exerçaient le pouvoir : maires, députés, leaders politiques ? Alors que les budgets de construction éclataient, que journalistes après journalistes exposaient de nouveaux faits dans leur média, pourquoi ces élus n’ont-ils pas exprimé tout haut leur incompréhension devant l’évolution irrationnelle des projets de construction ? Et malgré que les demandes d’une enquête publique venaient de tous bords, pourquoi le parti libéral résistait-il ? Pourquoi le maire de Montréal devant la hausse incompréhensible des prix de construction, affirmait-il qu’il n’y avait pas de problème à Montréal puisque le système des soumissions publiques était bien implanté ?

Certes, le gouvernement du Québec a mis sur pied des unités policières pour enquêter mais seulement après que la gangrène des prix soufflés aient atteint toutes les parties du corps gouvernemental. Quant aux partis d’opposition, ils ont joué leur rôle, mais leurs critiques ont surtout concentré sur des questions de patronage, qu’il fallait dénoncer, mais sans toutefois attaquer de plein fouet la question de la flambée des coûts de construction.

Et le rôle de la mafia ? Pourquoi, la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) qui connaissait tous les joueurs de cette association criminelle de Montréal et qui savait, avec preuves à l’appui, que la collusion dans la construction à Montréal était organisée par le milieu depuis 2002, n’a-t-elle pas mis en garde les responsables politiques du Québec. Combien d’argent les gouvernements et les villes auraient-ils sauvé s’ils avaient vu clair dans la combine des entrepreneurs protégés par la mafia ?

Si la GRC ne voulait pas que ses sources soient dévoilées, elle aurait pu au minimum aviser le PM du Québec et le maire de Montréal afin qu’ils réagissent. L’a-t-elle fait ? Le maire de Montréal Gérald Tremblay affirme pour sa part qu’il n’en savait rien alors que sa ville, par son exécutif et son président d’alors Frank Zampino, n’a cessé d'accorder des contrats lucratifs de façon répétée suite à des soumissions « paquetées ». Jean Charest le savait-il ? Si Charest ne l’a pas appris. C’est grave. S’il le savait c’est encore plus grave. La vérité sur cette question doit être révélée aux Québécois. La GRC doit s’expliquer.

Tant d’interrogations et si peu de réponses.

J’espère que la Commission Charbonneau nous éclairera afin que la situation soit complètement changée. J’espère qu’elle s’attaquera aussi à l’improductivité grandissante chez les travailleurs; la baisse de l’éthique professionnelle; la collusion des fournisseurs de produits de construction, de matériaux et d’équipements; les manigances des syndicats avec des membres du groupe qui fraudaient Montréal, le manque de contrôle des donneurs d’ouvrage; la culture de corruption qui existe dans beaucoup de sphères de la construction dont celle des professionnels et autres éléments qui affectent les coûts de construction à la hausse.

Claude Dupras