jeudi 24 juillet 2014

Critiquer Israël


Écrire un texte qui critique Israël, sa politique et ses chefs est risqué. Si on ne partage pas l’opinion du gouvernement d’Israël ou si on dénonce ses politiques ou ses chefs, on risque d’être taxé d’antisémite.
J’ai un grand respect et une admiration profonde pour le peuple juif. J’ai lu beaucoup sur son évolution. J’ai été surpris des oppositions constantes qui ont affecté son histoire, à travers les siècles, et de sa force de caractère pour en sortir la tête haute. J’ai apprécié ses Prix Nobel, si nombreux dans tous les domaines, qui ont démontré au monde entier l’excellence de ce peuple dans les arts, les lettres, la science, la philosophie, la médecine, etc… et son sens de l’invention.
J’ai constaté sa richesse culturelle, sa domination incontestée dans tous ses domaines et sa générosité sans borne pour les arts. J’ai été témoin de son sens des affaires, ses capacités d’analyse, sa logique, ses décisions, son sens du risque bien calculé. Je l’ai vu être d’avant-garde, initiateur, investisseur, bâtisseur… en somme réalisateur de grands projets, de grandes choses.  Oui, il sait agir comme  un réalisateur hors-pair dont les actions sont basées sur ses connaissances du passé et son sens extraordinaire de ce que sera le futur.
Le peuple juif est un grand peuple doté d’une haute intelligence et d’un sens pratique remarquable.
Par contre, je n’ai pas aimé ce qui a découlé de la décision des Nations-Unies en 1948, avec laquelle j’étais en accord, qui a reconnu l’État d’Israël et lui a attribué un territoire en Palestine. Depuis, les arabes de ce territoire se ressentent dépossédés, défranchis, bousculés et sont devenus des réfugiés dans leur propre pays.  Depuis, ils contestent et le chaos règne. D’un gouvernement israélite à l’autre, c’est une résistance constante.  Les arabes revendiquent, contestent, veulent reprendre leur habitation, leur terrain… Israël avec les armements ultramodernes de son arsenal, ses soldats bien entraînés, l’appui inconditionnel autant politique, monétaire que militaire des USA, est devenue dominante et gagne du terrain sans cesse.  
Les arabes, toujours battus et humiliés, sont inconsolables mais demeurent déterminés. Ils contestent sans cesse de façon de plus en plus sophistiquée. Ils réclament leur butin, souventes fois avec raison.
Aujourd’hui, encore une fois, le monde est devant un nouveau conflit israélo-palestinien. Gaza est envahie par l’armée israélienne qui se justifie en faisant allusion aux attaques arabes incessantes par roquettes et autres moyens. Le gouvernement israélien veut y mettre fin et son prétexte est de découvrir et de démolir des tunnels construits par les palestiniens par lesquels du matériel de guerre et des produits pouvant répondre aux besoins domestiques des familles palestiniennes sont importés.
Je viens tout juste de trouver, dans mes affaires, un article de la Une du journal français MIDI LIBRE, datée du 28 avril 1945, 20 jours après la fin de la 2e guerre mondiale. Il laisse à réfléchir sur la situation actuelle en Palestine. 
 
Il est intitulé : « Le rapport de la délégation britannique sur Buchenwald ». Le voici :
Londres 27 avril 1945 – Les membres de la délégation britannique qui a visité le camp allemand de Buchenwald ont été unanimes à déclarer qu’à leur avis les nazis appliquaient depuis longtemps une méthode délibérée d’extermination des internés par la famine et les mauvais traitements.
Ils estiment que les Allemands ont aussi atteint le plus bas degré de dégradation qu’ait jamais touché la conscience humaine.
Le rapport de la délégation, qui a été publié sous la forme d’un livre blanc, déclare que jusqu’au 1er avril 1944, le nombre de tué ou morts à Buchenwald s’élève à 54,072. Dix-sept mille au moins d’entre eux sont morts depuis le 1er janvier dernier.
Le rapport précise que l’une des baraques du camp était affectée à un usage spécial : certains prisonniers de marque y rencontraient pendant une vingtaine de minutes des femmes amenées d’autres camps. Celles-ci, par la menace ou la promesse d’un meilleur traitement étaient contraintes de se prostituer. Elles étaient tuées ensuite.
Il existait une baraque de la mort. Les internés y accédaient soit en descendant un escalier de pierre abrupt, soit en tombant par une trappe qui s’ouvrait sous leurs pieds. Les internés jugés réfractaires ou incapables de travailler y étaient précipités.
Selon le rapport des membres de la délégation, on avait enlevé le testicule gauche d’un homme de 29 ans.
De nombreux sujets d’expérience sont morts et la politique d’extermination semble avoir été mieux appliquée que celle de la stérilisation. Mme Koch, femme du commandant du camp, collectionnait des objets confectionnés avec de la peau humaine. Un de ces objets qui a été examiné par Sir Bernard Spilsbury et identifié par lui comme étant de la chair humaine, était un petit-abat-jour.
Il est confirmé que les enfants comme les adultes étaient astreints à un travail de 8 heures au minimum sept jours par semaine. On croit qu’il reste encore 800 enfants dans le camp.
Quelques anciens déportés nous ont confié que les opérations avaient lieu sans qu’on employât d’anesthésique, sur des tables de cuisine, au milieu des autres prisonniers.
Enfin les internés dormaient sur des planches, sans matelas, bien entendu. Ceux qui en avaient encore la force poussaient les morts dans l’allée. Tous les soirs, les cadavres étaient rassemblés à un bout de la baraque et le matin ils étaient emportés au four crématoire ou à la dissection.
Les membres de la délégation ont pu voir également dans le sous-sol une lourde massue de bois, de 60 cm de longueur environ qui servait à assommer ceux qui mouraient trop lentement. Cette massue était encore tachée de sang.
Dans la cour voisine du four crématoire, des chariots apportaient de nombreux cadavres d’internés morts de la dysenterie et provenant des divers baraquements. Le dernier de ces lugubres chargements a pu être examiné par les délégués. Aucun des corps des malheureuses victimes ne portait trace de mort violente. Toutes paraissaient avoir succombé à la faim et à la maladie.
On assure que différentes méthodes de stérilisation ont été pratiquées dans ce camp sur des juifs internés. Deux membres de la délégation ont vu un juif polonais qui avait subi une opération de ce genre.

À ce moment-là, il existait plus de quarante camps d’extermination dont plusieurs étaient du genre de Buchenwald. Mais six camps étaient particuliers et beaucoup plus horribles. Ils étaient dédiés à l'exécution organisée et massive d'êtres humains, dont une écrasante majorité de Juifs : Auschwitz 1 et 2, Chelmno 1, Majdanek, Sobibor et Treblinka. Ils avaient été mandatés pour ce faire, suite de la décision de la « Conférence nazie sur la solution finale » qui a décrétée la mise à mort rapide de tous les juifs. Les camps devenaient un processus de type industriel pour éliminer tous les juifs à tout jamais.
J’ai visité Buchenwald et Auschwitz et j’en suis sorti bouleversé. J’ai aussi visité le mémorial de Yad Vashem à Jérusalem qui occupe, avec raison, une place centrale dans la volonté des juifs de maintenir le souvenir des six millions de leurs compatriotes assassinés par les nazis et leurs complices. J’en suis sorti abasourdi. Je comprends la profondeur de la mémoire juive. Aucun peuple n’a subi de telles souffrances, de tels préjudices.
C’est de là que vient la difficulté de critiquer le gouvernement israélite. Faire la part des choses n’est pas facile, mais elle doit être faite. Particulièrement aujourd’hui, dans les relations de l’état juif avec la Palestine arabe. Cette dernière n’a rien à voir avec les plans d’extermination des nazis. Elle est aussi, jusqu’à un certain point, victime des nazis. La décision de 1948 de créer l’État Juif en Palestine est venue des Nations Unies dans la foulée des crimes nazis contre les juifs européens, après la deuxième guerre mondiale. Depuis ce jour, rien ne va plus pour les arabes palestiniens. Leur qualité de vie n’a rien à voir avec celle des israélites d’autant plus que Gaza est une petite zone parmi les plus densément peuplée du monde. Le mouvement islamiste Hamas a été porté au pouvoir par les Gazaouis à l’élection de 2006 et il est très revendicateur des droits palestiniens et contestateur de l’état hébreu. De plus, la frontière avec l’Égypte est pratiquement fermée. Évidemment, cela n’aide pas.   
Dans le conflit actuel en Gaza, on peut disserter longuement pour déterminer le vrai responsable de l’enveniment de cette situation. Une chose certaine, la force militaire entre les deux parties est totalement disproportionnée. Beaucoup plus d’arabes sont tués dont des femmes et des enfants. Des familles palestiniennes perdent leur logement, leur maison. Les embargos sur la nourriture et autres produits essentiels font mal et des enfants en souffrent. Certaines écoles sont fermées et d’autres démolies. Les hôpitaux sont endommagés. Rien de va plus dans la vie des arabes palestiniens.
La vraie solution à cette situation intenable est la négociation. Une vraie. Palestiniens et Israélites sont aujourd’hui devant un fait accompli. Ils doivent vivre ensemble. Les israélites ont l’argent et dans une nouvelle paix négociée, ils devraient agir et investir massivement pour que la partie arabe atteigne le plus vite possible un niveau de vie de qualité. Ce n’est pas pour demain, mais c’est possible à la longue. Ainsi la jeunesse palestinienne montante ne se ressentira pas frustrée et verra la possibilité d’une vie meilleure dans son pays et ailleurs. Demain, ils seront les dirigeants de leur nation et, à ce moment-là, ils se rappelleront les erreurs passées et voudront sûrement ne pas les répéter.
Entre temps, il faut dénoncer la rentrée barbare de l’armée israélienne en Gaza. Oui, il y a des roquettes et nonobstant les agissements de l’armée, il y aura toujours des roquettes ou autres choses. La solution n’est pas dans la méthode dure pour les éliminer car l’être humain sait toujours trouver un moyen pour se défendre. Elle est ailleurs.

Claude Dupras

lundi 21 juillet 2014

La femme du français

Elle est née en Haïti. En 1968, sous la dictature de François « papa doc » Duvalier, sa famille fuit son pays pour s’établir à Thetford Mines, la ville de l’amiante québécoise au Canada, où il n’y a aucune famille noire. Elle a onze ans.
Ses études la mènent à l’université de Montréal où elle obtient un baccalauréat langues et littérature espagnoles et italiennes. Durant et après ses études, elle démontre une sensibilité particulière pour les femmes victimes de violence conjugale. Puis, les dirigeants du réseau français de Radio-Canada la remarque dans un documentaire de l’Office National du Film canadien et lui offre un emploi. Elle n’a que vingt ans. Elle devient reporter et animatrice et sept ans plus tard lectrice de l’émission de nouvelles « Le Téléjournal ». Elle est de plus, interviewer de personnalités canadiennes et d’autres pays.
Son nom est Michaëlle Jean et les Canadiens n’ont pas fini d’en entendre parler.
Elle épouse un français, cinéaste et philosophe, Jean Daniel Lafond. Ils adoptent une jeune fille haïtienne.
Bilingue parfaite, la chaine anglophone de Radio-Canada, quatre ans plus tard, l’invite à se joindre aussi à elle. Puis, elle devient animatrice du Téléjournal, et en 2004 anime sa propre émission « Michaëlle » diffusée en français.
En 2005, une surprise attend tous les Canadiens. Le 4 août, le premier ministre Paul Martin annonce que Michaëlle Jean devient Gouverneur Général du Canada, le 27ième. Les canadiens-haïtiens sont fous de joie, les autres étonnés. Elle est la première personne noire à remplir ce poste. Elle a 37 ans. Mais comme elle est aussi de nationalité française, acquise lors de son mariage, elle doit renoncer à celle-ci étant donné qu’elle sera la commandante-en-chef des Forces Armées Canadiennes. Ainsi est faite la constitution.  Elle rencontre, avec sa famille, la reine Élizabeth à sa maison d’été de Balmoral pour respecter la tradition et devient la vice-royale canadienne.
Son discours inaugural met l’accent sur ce qu’elle identifie comme les « deux solitudes » canadiennes. Elle veut instaurer un pacte de solidarité entre les peuples fondateurs du pays. Mais son discours va plus loin, et touche les relations entre les différentes communautés ethniques, linguistiques, culturelles et de genre.
La nouvelle Gouverneur générale est très active et représente la Canada partout : JO d’hiver en Italie, festival d’Iqaluit au Nunavut, en Algérie, au Mali, au Ghana, en Afrique du sud, au Maroc, en Argentine, en Haïti. Partout elle encourage les droits des femmes, particulièrement dans les pays musulmans. En Afghanistan, elle prend position pour la mission de paix affirmant que « le Canada est fier de faire partie des 37 pays qui ont entrepris de restaurer la stabilité et la reconstruction du pays ». Elle est à Vimy pour la commémoration du 90ième anniversaire de la bataille. Et encore… 
Elle rencontre les chefs d’état de multiples pays, dont la présidente du Chili, l’héritier et nouveau roi d’Espagne, le président hongrois et des dizaines d’autres.
En 2008, elle doit gérer une crise politique inédite au Canada. Le gouvernement minoritaire Harper est en difficulté après que l’opposition ait rejeté son énoncé économique. Les partis d’opposition lui proposent de se substituer au gouvernement en créant un gouvernement de coalition. Une première en politique canadienne. Elle refuse et décide de proroger la session parlementaire de deux mois jusqu’au dépôt du budget. Harper est sauvé.
À la fin du mandat de Michaëlle Jean, Harper crée une surprise en ne le renouvelant pas. Elle le voulait, il ne l’a pas voulu. Pourtant ses  prédécesseurs l’avaient fait pour les gouverneurs généraux du passé. Et cela, malgré que 57% des Canadiens approuvent son travail et considèrent qu’elle les a toujours représentés dignement et avec compétence. Harper est du genre conservateur-républicain-américain et veut avoir le contrôle total sur les affaires de l’état et comme elle montrait un peu d'indépendance...
L’ONU qui a remarqué les talents de Michaëlle Jean, la nomme « envoyée spéciale pour l’éducation, la science et la culture en Haïti » dans le but d’obtenir des fonds pour la reconstruction et l’éducation dans ce pays. Puis, le sénégalais Abdou Diouf, secrétaire général de la Francophonie, la nomme comme « grand témoin » pour les JO d’été de Londres afin de promouvoir la langue française. Entre temps, elle préside le conseil d’administration de l’Institut québécois des hautes études internationales à l’université de Laval et devient la chancelière de l’Université d’Ottawa.
Abdou Diouf démissionne de son poste en 2014 et Michaëlle Jean exprime son intention de le remplacer. C’est un poste très important. Mais elle n’est pas seule à viser cette nomination. Il y a aussi Pierre Buyoya, l’ancien président du Burundi, et le socialiste Bertrand Delanoë, l’ex-maire de Paris. Buyoya mise sur les suffrages de l’Afrique Centrale ce qui lui donne des créances démocratiques, tandis que Delanoë compte sur le fait qu’il est socialiste et qu’il a appuyé le président socialiste François Hollande lors des primaires de son parti pour le choix du candidat.
Michaëlle Jean ne désespère pas car elle a beaucoup d’atouts. N’est–elle pas un symbole de la francophonie plurielle ? N’a-t-elle pas l’esprit de résistance de son peuple comme elle l’a si bien démontré au Canada ? Ne s’est-elle pas investie dans le combat social canadien en travaillant auprès de femmes en difficultés ?  Malgré son travail intellectuel, n’a-t-elle pas toujours montré son sens pratique pour aider les femmes violentées ? Lors du terrible tremblement de terre  en Haïti, n’a-t-elle pas transformé son bureau en centrale téléphonique pour les initiatives de secours sur la base des informations reçues ?
Comme les Haïtiens dont la vie est difficile et qui souffrent, elle a démontré qu’elle sait composer avec le chaos et qu’elle a une capacité de résistance et d’organisation dans toutes situations. Tous les liens qu’elle a tissés avec les pays africains, dans sa carrière de journaliste et de chef d’État, ont créé une sympathie envers elle et naturellement Haïti, où étaient « menés des millions d’Africains lors de la traite négrière ». Elle propose aujourd’hui, une « francophonie de la diversité culturelle et du pluralisme », dont elle est l’exemple, « assise sur la francophonie politique, les valeurs démocratiques et l’état de droit » réalisés par les présidents passés de l’organisme.
Elle met surtout l’accent sur le développement économique qui est, pour elle, le vrai espoir des jeunes. « A quoi sert de produire des milliers de diplômés si c’est pour en faire des chômeurs ou des demandeurs d’asile ? », demande-elle ?
Elle réclame aussi le respect des droits de l’Homme qui pour elle « préservent les valeurs du peuple et son rayonnement plus grand que ses ressources », citant le Sénégal comme exemple.
Malgré que le Canada appuie sa candidature, c’est aussi un aspect négatif pour elle à cause du comportement offensif de sociétés minières canadiennes en Afrique. « J’entends mettre l’accent sur la responsabilité sociale des entreprises… », assure-t-elle pour obvier à ces craintes.
Michaëlle Jean a toutes les qualités pour bien remplir l’importante tâche de secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie. Elle incarne la francophonie du futur, celle du bon sens économique. Elle est la candidate idéale pour être dans le monde, la femme du français.
Mais à ce jour, la France la boude. Elle se montre sceptique aux propositions de Michaëlle Jean, pour une francophonie plurielle et diverse qui s’ouvre sur le monde. Le malheur pour la candidate canadienne est que la France assure plus de 70% du budget de l’organisation, ce qui fait que sa voix est prépondérante. Je ne serais pas surpris que le gouvernement français opte pour un ses siens qui se cherche un emploi, le socialiste Bertrand Delanoë, ex-maire de Paris. Ce n’est pas le meilleur candidat, mais il est "du bon bord". 
Claude Dupras

lundi 14 juillet 2014

Un entretien avec Nicolas Sarkozy


Nicolas Sarkozy a eu un entretien avec l’écrivain français Jean-Marie Rouart sur la littérature, l’histoire et le pouvoir. Ce texte, publié dans le magazine Paris-Match du 10-16 juillet 2014, traite, inévitablement, de politique, même si ce n’était pas le sujet de la conversation. Il est fort intéressant et démontre un aspect important de l’homme politique. Voici quelques extraits des dires de l’ex-président français sur la politique et sur ce qui la touche :

« L’avantage avec la littérature c’est que ce n’est pas de l’ordre de la décision, mais de l’ordre de l’émotion… c’est l’histoire d’une vie et d’une permanence… elle n’est pas dans l’actualité.

Tout dans la vie est une question de partage. On a l’habitude dans la politique de parler du partage des revenus, du partage des responsabilités. Moi, au fond, ce que j’aime le plus c’est le partage des émotions. C’est le plus important. C’est ce qui est éternel. C’est ce qui ne change jamais.

Être journaliste est un métier magnifique. Parfois je me demande si tous ceux qui l’exercent ont gardé la même curiosité et le même appétit d’expliquer. Je pense que le journalisme doit être d’abord dans l’explication. Aujourd’hui il est trop systématiquement dans la démonstration.

…le pouvoir est un symptôme. C’est une conséquence. Ce n’est pas une fin. L’homme est brûlé par ses passions, et parfois il les place dans le pouvoir. Mais le pouvoir n’est qu’une conséquence d’un état incandescent et passionné.

…l’analyse froide, insensible d’un document dit parfois moins que le caractère chirurgical du romancier qui va plonger dans la tête et dans le cœur du personnage qu’il décrit.

Je conteste cette expression des « horreurs de la politique ». Je ne suis pas quelqu’un qui crache dans la soupe. …Il n’y a pas d’horreurs de la politique. Il y a la difficulté de la vie. La seule chose qui est vraie, c’est que la vie est dure, difficile, et qu’au fond c’est un coup de chance quand on est en bonne santé. C’est un miracle quand on n’a pas d’ennuis… Et d’ailleurs les ennuis n’arrivent jamais par d’où on les attend. Ce n’est pas la politique qui est dure, c’est la vie.

Franchement, la politique c’est une grande aventure humaine et je n’arrive pas à me limiter chez un homme à la seule description des actes et des évènements. Je m’intéresse plus à ce qu’il y a derrière.

Les onze années que le général de Gaulle passe à Colombey entre 1947 et 1958, sa psychologie, ses moments de doute, de désespoir, d’espérance, les trahisons qu’il subit, tout cela m’intéresse. Et le général de Gaulle, lâché par tout le monde en 1968, qui joue son va-tout en 1969 !

Il faut juger Napoléon…dans la continuité de l’Histoire de la France. De la monarchie à la IIIe république, il y a une logique : trop de stabilité avec les rois, trop d’instabilité avec la révolution et trop d’autorité avec l’empereur. Il a fallu toutes ces étapes pour arriver à la démocratie. …la Révolution française…a commencé avec les intellectuels et a fini avec les brutes. Napoléon est né de cela. L’empereur est le produit du chaos révolutionnaire. …Je pense à la collaboration et à Pétain. Il y a un continuum. Notre pays est fait de tout cela.

… la littérature, le cinéma, la peinture, l’art n’entrent pas dans l’ordre de l’exploitation politicienne. Je n’ai pas eu envie, dans le cadre du combat politique qui était le mien de me servir de la culture comme objet de communication. …alors que j’étais entouré de tant de souffrances et d’angoisses des Français, j’étais gêné à l’idée…de passer une minute… à disserter sur des sujets littéraires. Le président à mieux à faire que de commenter le football ou de parler de ses lectures.

Il y a trois choses consubstantielles à l’âme humaine : …la famille; ce que l’homme fait depuis l’origine : il prie…; …la création artistique.

…le rôle du créateur n’est pas un rôle politique. C’est une fonction de la transcendance. La seule chose qui restera de nos époques, c’est ce qu’on aura créé: l’art.

…Droite ou gauche, dans la littérature cela ne veut rien dire.

Il y a une fascination des hommes d’État pour les artistes et les écrivains. …l’homme d’État est au rythme de la démocratie, l’artiste tutoie l’éternité. C’est la grande inégalité entre eux.

Je suis résolument contre l’aplatissement du monde : une seule langue, une seule tradition. Je veux dire à ceux qui ne croient pas dans la pensée française, que le jour où ils n’auront plus de pensée, plus d’identité, qu'est-ce qu’ils auront à partager?

…quand on voit le cortège des cathédrales et des églises, comment peut-on contester nos origines ? La France n’est pas chrétienne, mais ses racines sont chrétiennes. Ce fut une erreur de ne pas parler des racines chrétiennes de l’Europe.

Je n’ai aucun obstacle à lire et à admirer des écrivains dont je ne partage pas les opinions. … Que Sartre ait des combats politiques très éloignés des miens, cela ne m’empêche pas de dire que c’est un géant quand il écrit.

Une passion vous consume à jamais. .. passion pour son pays, passion de convaincre… passion de partager. La question n’est pas de savoir si cette passion vous quitte, mais comment vous la vivez. C’est toute la question de l’âge. Accepter son âge, c’est d’être moins bon dans certains domaines, et de s’améliorer dans d’autres. La passion, c’est la même chose. Elle ne vous quitte pas, mais il faut pouvoir la vivre d’une autre façon »
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Les liens que les grands responsables politiques entretiennent avec la littérature, à travers les livres qu’ils ont lus ou lisent, livrent une vérité souvent plus large que leurs discours politiques.

En terminant son entrevue, Nicolas Sarkozy résume son entretien avec Jean-Marie Rouart « L’amour et l’art sont les deux seuls domaines où il n’y a pas de progrès ». Et la politique ?

Claude Dupras