mardi 13 août 2013

Oui, à Énergie-Est

De son origine au sud de l’Alberta, le nouvel oléoduc Énergie-est s’étendra sur 4 300 km en direction du Nouveau-Brunswick, via la Saskatchewan, le Manitoba, l’Ontario et le Québec. Chacune des provinces devra donner son accord. Si l’une d’elle bloque, tout bloque à moins que l’oléoduc soit dévié via un des États américains à son sud pour la contourner.

La section au Québec comprend, en plus, la traversée du fleuve Saint-Laurent, la construction d’un terminal à Québec avec stations de pompages et réservoirs de stockage nécessaires à l’acheminement du pétrole vers les raffineries de Québec et de Montréal ainsi que des installations maritimes destinées au chargement de navires-citernes pour livraison du pétrole à l’étranger. C’est un très gros projet qui nécessitera, pour sa réalisation, des professionnels et des travailleurs qualifiés et bien rémunérés. Quant aux emplois permanents qui suivront, il reste à en déterminer impartialement le nombre pour juger de l’impact réel sur le marché du travail.

La télévision rapportait, hier, les complaintes d’agriculteurs qui affirmaient que l’oléoduc traversera leur terre et qu’ils n’ont pas été consultés. Ils doivent comprendre que le projet est à l’étape préliminaire et que le tracé exact n’est pas déterminé.

Le parti libéral du Québec (PLQ) et la Coalition Avenir Québec (CAQ) ont émis une opinion favorable dès l’annonce du projet par le premier ministre (PM) Stephen Harper. Leurs déclarations ne sont qu’un ramassis de lieux communs. Ça ne fait pas sérieux dans les circonstances !

Quant à la première ministre Pauline Marois, que fera-t-elle? Étudiera-t-elle à fond ce projet, ses retombées et les conséquents de sa décision ? Où se limitera-t-elle à ses promesses électorales pour s’opposer ?

Certains observateurs affirment que la réalisation du projet augmentera le montant de péréquation que recevra le Québec dans les années prochaines parce que l’Alberta sera plus riche. Il n’en est rien. Le système de péréquation est un programme fédéral payé par le gouvernement canadien à même les revenus qu’il prélève. Originalement, plus il en percevait, plus il en redistribuait aux provinces dîtes « pauvres » pour les aider à financer des services publics de qualité comparables à ceux des provinces « riches ». Ce fut ainsi jusqu’en 2008, lorsque le gouvernement Harper (pour répondre aux complaintes des Albertains) a imposé un plafond au total des paiements en péréquation à distribuer afin qu’il ne croisse pas plus vite que l’économie canadienne.

En 2013-14, le Québec recevra environ 7,8 milliards, en baisse de 1 milliards $ par rapport à 2010-2011. Il demeure une province « pauvre » puisque sa capacité fiscale est encore moindre que la moyenne canadienne. Mais cela peut changer radicalement dans l’avenir, pour différentes raisons. Premièrement, la fiscalité québécoise s’améliore plus rapidement que celles des autres provinces. Deuxièmement, l’économie canadienne plafonne, comme l’explique l’économiste Pierre Fortin : « la reprise mondiale est lente et, vieillissement oblige, la population en âge de travailler augmente moins vite ». Troisièmement, l’économie de l’Ontario va de mal en pis par rapport à celles des autres provinces et cela se traduira par des paiements de péréquation augmentés pour l’Ontario et, par conséquent, diminués pour les provinces « pauvres ».

De plus, la fiscalité québécoise serait plus forte si l’Hydro-Québec (HQ) versait des dividendes plus importants au gouvernement, son unique actionnaire. Les profits d’HQ sont bas à cause de tarifs bas. Les autres provinces rechignent et qualifient de « subvention déguisée » la différence de ces tarifs par rapport aux leurs. Elles insinuent qu’en fait ce sont les versements de péréquation au Québec qui la payent. Si le mode de calcul futur de la péréquation en tient compte, et c’est possible, le Québec recevra encore moins.

D’un autre côté, l’oléoduc Energie-Est, ajoutera aux revenus du Canada et de l’Alberta. Et si les oléoducs Keystone XL vers le sud et le Northern Gateway vers le Pacifique sont construits, et c’est possible, ce sera alors le Klondike pour le Canada et l’Alberta. Le gouvernement canadien sera en position de baisser appréciablement les impôts canadiens. Et, un autre gouvernement pourrait éliminer le plafond Harper sur la péréquation pour les bonnes raisons que l’exploitation des sables bitumineux a été rendue possible à ses débuts grâce au financement important du gouvernement fédéral (plus de 23 milliards $ sous le gouvernement Mulroney seulement) et que les sables bitumineux sont une source de richesse importante pour les Canadien et que chacun doit pouvoir en profiter.

Le frein à cette manne est l’effet négatif sur l’environnement. Chaque personne responsable, qui a visité le site des sables en revient généralement choquée. Combien de rapports négatifs avons-nous lus suite à ces visites ? C’en est décourageant. Les compagnies pétrolières, qui y voient leur intérêt attaqué, s’inquiètent constamment des répercussions des critiques et ne pouvant les faire taire cherchent par tous les moyens à réagir positivement. De nombreuses innovations techniques ont été réalisées pour améliorer la qualité de l’exploitation et le niveau de pollution a diminué sensiblement. Mais c’est encore insuffisant et les compagnies peuvent et doivent faire mieux. C’est ce qu’exigent les pays du monde, dont ceux d’Europe et les USA, acheteurs possibles du pétrole des sables.

Le PM Harper et ses ministres n’aident pas la cause en fonçant à pleine vitesse pour persuader les acheteurs, Avec des discours aux arguments exagérés et souventes fois faux, ils donnent l’impression d’être vendus aux pétrolières et de ne vouloir faire aucun effort pour leur forcer la main afin de réduire les gaz à effets de serre (GES). Pour ces politiciens, tout est beau et bon et ce sont les gouvernements-acheteurs qui ont tort de critiquer la qualité de l’exploitation des sables bitumineux. Et, ils insistent. A cette allure, ils ne vont nulle part.

Je crois que le Québec devrait donner le pas car il y va de son intérêt. Le gouvernement Marois se doit, pour montrer sa bonne foi, d’accepter le plus tôt possible le principe du passage de l’oléoduc Energie-Est sur le territoire québécois, en ajoutant quelques conditions importantes et réalistes, telles :

1. La tenue d’une consultation publique.

2. Une analyse par les organismes de règlementations.

3. La démonstration par les pétrolières qu’elles s’appliqueront à diminuer le rythme des émissions de GES pour la production du million de b/j de pétrole qu’Énergie-Est transportera. Tout comme l’exige le président américain pour le Keystone XL.

4. TransCanada Pipeline (TCP), propriétaire et constructrice de l’oléoduc, devra protéger en cas d’accident, par assurances ou autres garanties, les victimes pour qu’elles soient indemnisées totalement pour dommages à leurs biens et blessures à leur personne.

5. TCP, les pétrolières et les propriétaires de navires-citernes doivent, en cas de désastre, être tenus responsables des dommages et du nettoyage total de l’environnement, particulièrement dans le fleuve Saint Laurent. Que l’on négocie ces responsabilités en gardant à la mémoire, les accidents créés par le pétrolier l’Exxon Valdez en 1989 qui a pollué le Pacifique et ses rives avec 180 000 tonnes de pétrole, et celui de la plateforme BP dans le golfe du Mexique en 2010, qui, suite à un incendie, a laissé échapper 4,9 millions de litres de pétrole brut et pollué la mer et les rives de la Louisiane.

6. Les législations canadiennes et québécoises pour le transport maritime doivent s’adapter aux modifications significatives apportées à la législation américaine suite aux situations mentionnées précédemment.

7. Le gouvernement du Québec, comme celui de la Colombie Britannique, doit évaluer la possibilité d’établir un droit de passage annuel de l’oléoduc calculé sur la base du volume de pétrole transporté.

Ce sera une négociation difficile. Le Québec est en bonne position. Quant aux pétrolières et TCP, elles s’adapteront à ces exigences. L’enjeu est trop grand pour les deux parties pour que chacune refuse des compromis, comme il est trop grand pour nous pour le rejeter du revers de la main.

Je dis « Oui » à Énergie-Est.

Claude Dupras

samedi 3 août 2013

Le « showdown » Keystone XL approche

Le débat sur la construction de l’oléoduc Keystone XL, du nord de l’Alberta à l’État d’Oklahoma, devient de plus en plus intéressant et captivant. Il met en vedette le président américain Barack Obama face au premier ministre (PM) canadien Stephen Harper.

Au tout début de la planification du projet, il y a cinq ans, l’American Petroleum Institute avait prédit que 500 000 emplois seraient créés. Puis, le State Departement a évalué les nouveaux emplois pour la fabrication et la construction du Keystone XL à 42 100. Enfin, il y a quelques jours, TransCanada Pipeline a émis son estimé et le fixe à 20 000 nouveaux emplois, sur deux ans.

Dans un récent discours, Obama, se méfiant du rapport du State Department qu’il jugeait faussé (le temps démontre que ce fut le cas puisque la firme britannique ERM, retenu par le State Department pour faire l’étude et le rapport, avait des liens d’affaires avec Trans Canada Pipeline, le constructeur de l’oléoduc), a utilisé les statistiques d’une étude sur la construction de l’oléoduc faite par l’Institut de recherches « Global labor » de l’université de Cornell. Celui-ci estime que la partie sud de l’oléoduc étant déjà construite, la partie nord ne nécessitera que 500 travailleurs par segments et comme il y en a 10 à faire, cela donne 5 000 travailleurs en deux ans, 2 500 par an plus de 50 à 100 permanents par la suite. Si Obama a raison, on peut donc conclure que l’emploi n’est pas un argument crucial pour cette décision importante.

Les républicains, qui depuis le début du débat utilisent les statistiques du rapport faussé du State Department pour justifier leur appui au projet, sont pris au piège. Nonobstant cela, aujourd’hui, ils braquent tous leurs canons sur Obama en l’accusant d’être insensible aux emplois de travailleurs, d’avoir truqué les chiffres, d’utiliser cet argument pour retarder à nouveau l’accord du projet, d’avoir zéro de crédibilité lorsqu’il parle de chiffres, d’avoir arbitrairement changé le mode d’’approbation des projets inter-pays, etc.. Il menace même d’enlever à Obama le pouvoir de décision sur la construction de cet oléoduc...

Obama a réitéré son argument principal à l’effet qu’il approuvera le projet seulement si les émissions de gaz à effet de serre (GES) produites pour obtenir le volume de pétrole transporté par le Keystone XL n’augmentent que sensiblement par rapport au taux d’aujourd’hui. Il a ajouté « le Canada devrait faire plus ».

De son côté, Harper n’est pas heureux. Adepte des oléoducs et du pétrole des sables bitumineux, il affirme que les régions canadiennes bénéficient des oléoducs puisque le pétrole qu’ils transportent augmente la sécurité énergétique du pays. « C’est le moyen le plus sécuritaire pour le transport du pétrole » vient-il de préciser à Québec. Quel Québécoise ou Québécois depuis la catastrophe de Lac Mégantic, dira le contraire ?

Il profita de sa visite pour annoncer la construction d’une extension de l’oléoduc Energie-est, vers l’est du Canada, qui traversera le Québec pour se terminer à la raffinerie d’Irving Oil du Nouveau-Brunswick où il livrera chaque jour plus d’un million de barils de pétrole brut des sables bitumineux.

Il reste au gouvernement du Québec à approuver le passage de cet oléoduc sur son territoire, pour qu’il devienne réalité. Se ralliera-t-il aux positions du président Obama pour retarder ce projet ? Ou, oubliera-t-il simplement ses promesses électorales sur le sujet afin de protéger les retombées de péréquation de milliards de $ qu’il reçoit du Canada, en bonne partie à cause de ce que rapporte l’exploitation des sables bitumineux au pays.

Harper a aussi assuré les Canadiens que chaque nouvel oléoduc était sujet à « une rigoureuse analyse scientifique indépendante » qui tient compte des effets environnementaux et économiques et que « le nombre des emplois créés par la construction d’un oléoduc est important ».

Ce faisant, Harper dit le contraire d’Obama qui affirme que l’Oléoduc Keystone XL créera peu d’emploi, pourtant 10 fois plus important que l’Energie-est. Quant à la diminution des GES, Harper évite de confirmer si les analyses scientifiques mentionnées précédemment tiennent compte des GES. Il est clair qu’en ne répondant pas, il laisse à penser que les analyses n’en tiennent pas compte. Et, comme ces dernières ne sont pas rendues publiques, on ne peut vérifier ce qui en est vraiment. En fait, Harper s’oppose aux conditions posées par Obama pour donner son accord au Keystone XL.

Harper agit-il par intérêt politique ? Il est député d’Alberta où se situent les sables bitumineux. Comme je l’ai écrit dans un récent blog, il croit que la lutte contre les GES est « un complot socialiste pour enlever de l’argent aux pays riches ». Depuis huit ans PM, il a donné une nouvelle direction au Canada qui ne tient compte que de l’émergence de cette richesse pétrolière. Il a mis fin à l’accord du Canada à Kyoto car ce dernier contraignait l’exploitation des sables bitumineux en contrôlant les GES. Il s’est fait le porte-parole des républicains américains contre les critiques environnementalistes, même en personne à la télé-américaine de Fox News. Et, il est devenu, peu à peu et de plus en plus ouvertement, un porte-parole pour l’intérêt des pétrolières.

Je n’ai rien contre les pétrolières ni les oléoducs et je sais que l’exploitation des sables bitumineux deviendra un super avantage économique pour le Canada et par conséquent pour le Québec. Une condition, cependant, me semble essentielle : le pétrole produit doit être « propre ».

J’aime rappeler, car on oublie trop vite ce que sont les sables bitumineux, la description que j’en faisais dans mon blog du 6 août 2009, intitulé « Les sables bitumineux du Canada » :
Au Canada, nous possédons une réserve pétrolifère en Alberta qui représente plus de 300 milliards de barils. C’est plus important qu’en Arabie. Pour mon pays et le monde occidental, c’est un atout stratégique majeur. C’est devenu une richesse inouïe pour les Canadiens. Malheureusement, notre réserve est sous la forêt boréale, en Alberta, à 60 mètres sous terre et contenue dans des sables bitumineux. Les sables bitumineux sont un mélange de pétrole brut, de sable, d’argile minérale et d’eau. Pour en extraire le pétrole, il faut creuser les 60 mètres de terre, injecter dans les sables de la vapeur d’eau à faible pression afin d’augmenter la température du bitume et diminuer sa viscosité. Une fois ramolli, le bitume est pompé, l’eau rejetée et la terre remise en place.

Le coût d’exploitation est élevé et l’impact environnemental est dévastateur puisqu’une tonne et demie de sables bitumineux donne à peine un baril de pétrole brut, qu’il faut trois barils d’eau douce pour le fabriquer et, pour créer la vapeur d’eau, on doit brûler beaucoup de gaz naturel, soit l’équivalent de deux barils de pétrole brut pour en faire trois, ce qui ajoute un taux inacceptable de gaz à effets de serre (GES) à l’atmosphère. Peut-on vraiment imaginer l’impact total de cette entreprise colossale qui s’étend sur un territoire grand comme le quart de la France métropolitaine ?

L’eau vient des rivières et des sources (déjà on constate l’assèchement du territoire et la baisse de la nappe phréatique) et l’eau usée est traitée et rejetée dans des bassins qui longent la rivière Athabaska. Malgré tout, cette eau reste fortement polluée, demeure toxique et est une sorte de bouillie de produits dangereux. Elle trouve son chemin jusqu’à la rivière, aux sources… Le risque est qu’à la longue, cette pollution fasse partie, un jour, des sédiments et des écosystèmes pour ensuite s’installer dans la nappe phréatique.


Depuis, il est vrai, les pétrolières ont fait beaucoup pour améliorer la qualité de leur production, mais c’est loin d’être suffisant. Barack Obama le sait puisqu’il affirme que « le Canada devrait faire mieux ».

Harper est-il assez fort avec l’appui des républicains pour renverser Obama ? Ou doit-il, pour satisfaire ce dernier, faire pression sur les pétrolières pour qu’elles investissent davantage afin de diminuer les GES tout en ayant une opération plus propre ? Le « showdown » approche !

Claude Dupras