lundi 26 janvier 2015

L’intégration au lieu de la laïcité imposée

La Laïcité n’est pas un sujet facile à traiter au Québec. Les opinions sont très partagées sur sa définition, son importance et divisent les québécois.

Le Parti Québécois (PQ) qui cherche souvent à calquer ses politiques sur celle de la France, prétexte, de nos jours, que la laïcité est essentielle pour notre mode de vie future puisqu’elle assure, entre autres, la neutralité religieuse, l’égalité hommes-femmes et la paix sociale. De tous les pays du monde, seule la France a adopté une loi sur la laïcité. Est-ce à dire qu’ailleurs, sur toute la planète, il n’y a pas de neutralité, d’égalité ou de paix ? Évidemment, non. Aux USA, par exemple, le pays le plus d’avant-garde du monde où les immigrés se sentent les mieux intégrés et l’affirment en grand nombre, le dollar comporte l’inscription In God we Trust.
Pourquoi veut-il précipiter le Québec dans l’adoption d’une telle loi. Il est clair qu’il cherche à profiter des émotions générées par l’agression de Charlie Hebdo pour gagner des points politiques. Pourtant, aujourd’hui, il y a plusieurs français et étrangers qui concluent que la laïcité est devenue en fait une arme de destruction de leur pays.
L’ex-gouvernement Marois a divisé profondément notre société avec sa Charte des valeurs québécoises. Il avait créé un comité parlementaire pour recevoir les dépositions des auteurs de mémoires. Celui-ci devint un vrai cirque où des opinions plus bizarres les unes que les autres furent émises. Cet opportunisme véreux fut vite détecté par la population qui réserva, par la suite, une raclée électorale hors de l’ordinaire au PQ.
Dès sa venue au pouvoir, le nouveau gouvernement libéral du PM Couillard mit fin au comité parlementaire tout en promettant de présenter un nouveau projet de loi pour compléter ce qui existe déjà et le confirmer.
Aujourd’hui, le PQ insiste sur l’urgence d’une loi sur la laïcité pour, dit-il, combattre l’intégrisme, nonobstant la vraie priorité qui est de régler les problèmes budgétaire et financier du Québec et de créer un grand nombre de nouveaux emplois. Pourtant, la France est laïque depuis longtemps et la menace terroriste y est fortement installé, comme ailleurs dans le monde. On voit bien que la laïcité de l’État n’a rien à voir avec le combat contre la radicalisation.
De toute évidence, l’adoption d’une telle loi n’est pas urgente car depuis des décennies, toutes les lois québécoises sont indépendantes de conceptions religieuses et les dirigeants religieux n’ont aucun pouvoir politique ou administratif. Dieu n’est pas mentionné, ni les religions. Dans toutes les activités humaines telles, l’éducation, les soins de santé, la vie sociale … les québécois et les québécoises ont les mêmes opportunités, les mêmes protections et les mêmes droits à tous les niveaux. Certes, il y a encore des difficultés notamment dans le travail mais avec le temps, les statistiques montrent qu’elles s’amenuisent.
De plus, nous vivons depuis des décennies dans une réelle paix sociale.
Mais soyons francs, ce qui est à la base de toute cette discussion est la présence grandissante de musulmans dans notre société. Certains de nos concitoyens sont mal à l’aise avec des personnes étrangères surtout celles qui sont vêtues de façon non conformiste. Mais de tels sentiments ne justifient pas l’adoption d’une loi sur la laïcité qui ne changera rien. mais qui peut diviser.
Le monde musulman existe principalement au Maghreb, en Libye, en Turquie, en Égypte, en Arabie Saoudite, en Syrie, en Irak, en Iran, au Pakistan, en Indonésie, en Afrique noire, en Inde… Il regroupe plus d’un milliard d’individus sur la planète. En France, ils sont 8% de la population. Au Canada, c’est 5%. Au Québec, 3%. Les musulmans québécois ne sont donc pas tous arabes, pas tous du même courant (sunnite ou chiite), pas tous du même pays ou du même continent. Ils sont vraiment différents les uns des autres. Au Québec, plus de 100 nationalités coexistent et un très grand nombre des religions de la terre y sont représentées.
Les gouvernements libéral et péquiste du passé étaient en accord pour augmenter le nombre des immigrants et encourageaient particulièrement les parlant français, dont les maghrébins, à venir chez nous. Ils voulaient en plus profiter de l’apport économique important que ces immigrants génèreraient.
Ayant eu l’opportunité de travailler en Algérie de nombreuses années, j’ai eu le privilège de me faire plusieurs amis algériens. J’ai connu leurs épouses, leurs familles, leurs modes de vie et leur approche à la société. Depuis, j’ai pu y retourner en touriste et partout on m’a toujours accueilli à bras ouverts, généreusement et amicalement. Ce sont tous des gens bien. J’en connais plusieurs à Montréal et c’est la même chose.
Dans le débat actuel au Québec, en entend plusieurs affirmations en rapport avec la religion et le comportement culturel des musulmans. Trop sont inventées de toute pièce et amplifiées pour faire peur. Pour les crieurs de malheur, la religion musulmane n’est pas compatible avec notre mode de vie et nous sommes en danger. Pourquoi proférer de telles faussetés ? Pour alimenter un mouvement islamophobe dans le but de les chasser de notre territoire ?  
Les musulmans ne sont pas une menace au sens que certains voudraient nous le faire croire. Ils ne sont pas culturellement incompatibles avec nous. Face à ce que plusieurs qualifient de menace fondamentaliste, il faut avoir la tête froide et ne pas crier des absurdités mal définies et faire la part des choses. Il nous faut trouver et réaliser les politiques publiques les plus susceptibles de faciliter et de maximiser leur intégration.
Oui, la solution est l’intégration. Elle est rattachée aux opportunités disponibles pour que les néo-québécois puissent participer à la vie économique du Québec. Il faut trouver les moyens pour les aider et les inciter à le faire comme en Angleterre et en Allemagne où ils sont mieux intégrés avec leurs enfants parce que les marchés du travail de ces pays sont peu réglementés alors que la France, avec un système quasi byzantin de lois sur le travail, obtient un résultat nettement moins bon.
En somme, lorsqu’on ne bloque pas artificiellement l’intégration, les immigrants voient moins d'avantages à la réclusion et préfèrent s'intégrer comme les Canadiens-français l'ont fait aux États-Unis et comme les Italiens, les Irlandais, les Grecs, les Écossais, les Slaves l'ont fait au Québec. P
Pour le reste, cela n’empêche pas d’avoir de bonnes politiques pour rechercher et expulser les éléments islamistes radicaux très minoritaires qui violent leurs conditions de citoyenneté en prêchant la violence au nom de l’Islam. L’intégration veut dire aussi que la société civile dénonce les éléments extrémistes dans son sein afin que tous sachent la perfidie de leurs propos.
Pour l'ensemble de l'Europe, les démographes ont constaté que « le taux de croissance de la population musulmane a chuté de 2,2% par année pendant la décennie 1990-2000 à 1% pendant la décennie 2000-2010. Ce taux continuera de chuter progressivement au fur et à mesure que les différences du taux de fertilité entre les femmes non-musulmanes et celui des autres femmes s'estomperont d'ici 2030. Aux États-Unis, la différence est encore plus petite puisque les musulmans ont un taux de fertilité déjà très proche de la moyenne nationale ». Au Canada et au Québec ce sera éventuellement de même.
Les promoteurs de la laïcité parlent encore d’éliminer les signes religieux tels, la croix accrochée au mur principal de l’Assemblée nationale. Ils y voient un signe de dépendance à une autorité religieuse alors qu’elle est devenue un symbole de notre passé. L’exemple de la France sur ce sujet devrait les éclairer. Alors qu’elle est supposément très neutre religieusement, la France nomme encore ses jours fériés avec des noms de fêtes religieuses : lundi de Pâques, jeudi de l’Ascension, lundi de la Pentecôte, l’Assomption, la Toussaint. Elle ne craint pas de montrer son passé religieux.
De plus, ils affirment que la laïcité protégera toutes les religions et leur pratique alors qu’ils s’opposent à ce que les fonctionnaires portent un vêtement ou un objet ayant rapport avec une religion (musulmane, juive, sikh) contrairement avec ce qui se fait en France. C’est un manque de respect à la liberté démocratique de ces individus.
Les églises de France sont devenues la propriété du gouvernement pour les protéger contre des démolitions sauvages. Il les entretient pour les mettre à la disposition des fidèles. Dans un petit village de Provence, que je connais bien et qui ressemble à tous les autres, l’église est le lieu de messes dominicales, de baptêmes et de funérailles. Son clocher carillonne à toutes les heures et demi-heures et le son se répercute dans la vallée. Les musulmans de leur côté prient à leur mosquée, les juifs à leur synagogue et les protestants à leur temple.
Au Québec, on vend les églises pour en faire des condos, des centres communautaires, etc.. ou on les détruit comme la belle église de pierres de Notre-Dame-de-la-paix à Verdun. Même l’église de la paroisse de Lamothe en Abitibi, celle du cardinal Marc Ouellet qui fut considéré comme un papabile lors du dernier conclave à Rome, est devenue un centre d’activités communautaires.
Le PQ propose la laïcité pour régler un problème qui n’existe pas. Un tel projet est un instrument de division et ne réglera aucune des craintes générées par les fondamentalistes radicaux comme on vient de le voir en France.
En somme, les promoteurs de la laïcité du Québec sont plus catholiques que le pape.
Claude Dupras

vendredi 16 janvier 2015

La limite de la liberté d'expression

La France vient de traverser des jours très difficiles. Des évènements meurtriers l’ont touchée profondément et c’est dans les rues de ses villes, dont surtout celles de Paris, que les Français ont démontré leur angoisse et leur détresse alors qu’ils étaient en plein désarroi. La réaction fut générale et spontanée.

Du Canada, comme la plupart des Canadiens j’ai suivi ces évènements. D’autant plus que nous étions sensibles devant tant de folie puisque que nous venions de vivre des actes de terrorisme à St-Jean-d’Iberville au Québec et dans notre capitale Ottawa durant lesquels deux de nos braves militaires furent tués sauvagement. Et, il en fallut de peu pour que le nombre de morts soit plus grand.
Depuis des années, le journal Charlie Hebdo se moque des religions. Et particulièrement du prophète Mahomet, du pape et d’autres. Même si la direction de ce journal savait qu’un très grand nombre de musulmans du monde étaient offusqués de voir leur prophète être le sujet de ses caricatures, pas toujours flatteuses, et que cela lui avait été souventes fois exprimé par des mouvements musulmans de par le monde qui leur demandaient de cesser cette pratique, elle continuait de ridiculiser Mahomet. De plus, elle connaissait, comme tout le monde, le sort de Salman Rushdie qui avait généré une vague d'émotions dans le monde musulman pour devenir l’objet d’une fatwa (décret d’une société religieuse) de mort suite à la parution de son livre « les versets sataniques » et les violences qui ont suivi.
La direction se défendait par le fait qu’en France, il y a la liberté d’expression. Oui, et cela est une bonne chose à laquelle une très forte majorité de français comme de canadiens, américains et occidentaux en général souscrivent. C’est la base de notre démocratie et c’est défendable. Mais peut-on tout faire et tout dire sans croire qu’aucune vive réaction ne surgisse suite à certains propos verbaux, écrits ou caricaturés ? Et s'il y a réaction doit-on simplement dire d’offrir l’autre joue ?
On peut circuler en auto partout, mais il ne faut pas dépasser la ligne blanche ou passer tout droit au feu rouge. On peut chanter et crier mais pas la nuit dans un milieu résidentiel. La liberté d’expression nous permet-elle de tout dire et de tout faire ?
Le pape François est en voyage pastoral aux Philippines et au Sri Lanka. Il est en Asie dans une partie du monde à forte majorité musulmane. Il ne faut pas oublier que 25% des individus de la planète sont musulmans. Profitant de ce voyage, il a parlé aux journalistes dans l’avion papal qui le mène à sa destination pour répondre clairement à leurs questions justement sur la question de la liberté d’expression.
Pour lui, « deux droits humains sont fondamentaux : la liberté d’expression et la liberté religieuse. On ne peut empêcher tout individu de pratiquer librement sa religion sans offenser personne. On ne peut ni offenser, ni faire la guerre, ni tuer au nom de Dieu à cause de sa religion ». Il a rappelé l’Histoire du  monde durant laquelle des guerriers ont conquis des territoires entiers et tué des millions de personnes au nom de la religion. « Une aberration » a-t-il dit. « La liberté religieuse, on doit l’exercer avec liberté, sans offenser, sans l’imposer et sans tuer ».
« Non seulement chacun a la liberté du droit d’expression et il a aussi l’obligation de dire ce qu’il pense pour aider le bien commun ».  
« On ne peut pas insulter la foi des autres ». Ni insulter ceux qui ne pratiquent aucune religion.
« Il ne faut pas réagir violemment, mais si mon ami M. Gaspari (c’est son organisateur de voyages qui est près de lui durant sa rencontre avec la presse), dit un gros mot sur ma mère, il doit s’attendre à recevoir un coup de poing ! C’est normal ». C’est le pape qui parle. « On ne peut pas provoquer, on ne peut pas insulter la foi des autres, on ne peut pas se moquer de la foi ».
Son message est clair. On ne devrait pas se moquer impunément des religions des autres qui ont de la dignité et qui respectent la vie humaine et l’homme. Le droit religieux de chacun est sa foi. C’est la limite du droit d’expression.

Claude Dupras

lundi 12 janvier 2015

Le PM Couillard et la légitimité

Au Québec, les séparatistes prétendent que le premier ministre Philippe Couillard n’a pas la légitimité démocratique pour entreprendre les profondes transformations qu’il a entreprises pour assainir les dépenses publiques. Ils estiment cette légitimité sur la base des suffrages que son parti a obtenus à l’élection qui l’a porté au pouvoir par rapport au nombre d’électeurs inscrits sur les listes électorales. Et cela, même si son parti a remporté une forte majorité parlementaire et que le gouvernement sortant-de-charge du parti Québécois (PQ) a subi sa pire défaite depuis des décennies, venant même près de perdre le rôle de l’opposition officielle à l’Assemblée Nationale aux mains du parti Coalition Avenir Québec (CAQ). Ils prétendent que le PM ne peut agir comme il le fait car son parti n’a obtenu que 41,52% des voix alors que seulement 71,44% de l’électorat a voté. En réalité, ils calculent en multipliant les deux pourcentages pour affirmer que le PLQ n’a obtenu que 29,6% du nombre d’électeurs inscrits sur la liste électorale. Donc, pour eux, il n’a pas l’appui d’une majorité réelle de la population et, par conséquent, pas de légitimité pour entreprendre ses réformes importantes.   

Si on accepte ce raisonnement, on doit reconnaître qu’aucun parti politique ou chef québécois du passé n’a eu la légitimité d’entreprendre de grandes réformes, car aucun n’a obtenu une telle majorité. Par exemple, en 1960, Jean Lesage a pris le pouvoir en ne remportant que 41,95% du nombre d’électeurs inscrits. Pour l’élection de 1962, celle de la nationalisation de l’électricité, il a obtenu 44,8%. Robert Bourassa en 1970 a obtenu 38,2% et 43,9% en 1973. René Lévesque à l'élection de 1976 a obtenu 35,27% et a organisé un référendum en 1980 sur la séparation du Québec de l’ensemble canadien. Puis il obtint 40,6% en 1981 pour faire « un bon gouvernement ». Toutes ces années passées sont celles de la « révolution tranquille » durant laquelle des politiques importantes ont changé profondément la société québécoise pour lui donner un nouveau départ.

Plus tard, Gérard Parizeau imposa un second référendum après avoir obtenu 36,5% en 1994. Quatre ans plus tard, Lucien Bouchard obtenait 33,5% et imposa des coupures budgétaires draconiennes suite auxquelles des milliers de fonctionnaires compétents furent mis à la retraite et de nombreuses villes, dont celles de l’île de Montréal, fusionnées. Jean Charest ne fit pas mieux avec 32,3% en 2003, 23,5% en 2007 et 24,16% en 2008. Quant à Pauline Marois, elle obtint 23,8% en 2012 pour former un gouvernement minoritaire et son ministre des finances s’apprêtait à couper dans les dépenses. Les bas-scores depuis 1994 s’expliquent par la présence de tiers partis qui sont appuyés par de bonnes franges de l’électorat et qui en fait divisent le vote.

Je souligne à nouveau, les pourcentages précédents sont toujours sur la base des électeurs inscrits sur la liste électorale.

Tous ces chefs politiques avaient le droit de faire ce qu’ils ont fait et ils l’ont utilisé pour bien réorienter les politiques, économiques, sociales et culturelles du Québec. Ils ont agi avec responsabilité malgré de nombreuses et sévères critiques venant des milieux traditionnels, religieux et autres. Ils ont même perdu leurs élections par la suite.

De plus, on se rappellera que lors de la dernière élection, le sujet principal débattu a été la nécessité de réorganiser les dépenses gouvernementales pour protéger financièrement l’avenir du Québec. Le plus grand propagandiste de cette difficile politique fut le chef de la CAQ, François Legault. Sur toutes les tribunes, il a martelé sans cesse l’importance d’assainir les dépenses gouvernementales et de les réduire. Alors que les sondages le plaçaient très bas dans l’opinion publique en début de la campagne, il est revenu en force à la fin de celle-ci en obtenant 23,05% des suffrages et 22 députés alors que le gouvernement péquiste sortant-de-charge obtenait 25,38% des suffrages et 30 députés.

De son côté, le chef libéral Couillard développait longuement le même sujet dans ses discours. Avec moins d’ardeur que Legault, il est vrai, mais avec autant de conviction. Ils étaient, sur le sujet des finances, sur la même longueur d’ondes à quelques différences près.

Même si on cumule les suffrages en leur faveur, PLQ 41,52% et CAQ 23,05%, ils ne représentent que 46,12% du nombre d’électeurs inscrits. Encore là, le 50% n’est pas atteint.

Notre système politique est ainsi fait. Certains diront : la solution, c’est un système électoral comme en France avec deux tours de votation. Analysons la dernière élection présidentielle en France où Hollande a obtenu, au deuxième tour, 51,64% des suffrages. Ce résultat ne représente en fait que 41,49% des français ayant le droit de vote. Donc pas de telle majorité là non plus.

Tout ça démontre bien que l’on ne peut accuser un chef politique au pouvoir ou son parti de manquer de légitimité sur la base du nombre de suffrages qu’il a reçus. Si on le fait pour un, on doit le faire pour tous les autres. C’est ridicule et teinté de démagogie.

La légitimité est le fondement de notre vie sociale et politique. Un élu qui n’a pas un sens naturel de la justice, qui ne respecte pas les droits de chacun ou qui décide de façon partiale perd sa légitimité même s’il a été élu avec une majorité absolue.

Claude Dupras

samedi 10 janvier 2015

Le PM Couillard et la légitimité

Au Québec, les séparatistes prétendent que le premier ministre Philippe Couillard n’a pas la légitimité démocratique pour entreprendre les profondes transformations qu’il a entreprises pour assainir les dépenses publiques. Ils estiment cette légitimité sur la base des suffrages que son parti a obtenus à l’élection qui l’a porté au pouvoir par rapport au nombre d’électeurs inscrits sur les listes électorales. Et cela, même si son parti a remporté une forte majorité parlementaire et que le gouvernement sortant-de-charge du parti Québécois (PQ) a subi sa pire défaite depuis des décennies, venant même près de perdre le rôle de l’opposition officielle à l’Assemblée Nationale aux mains du parti Coalition Avenir Québec (CAQ). Ils prétendent que le PM ne peut agir comme il le fait car son parti n’a obtenu que 41,52% des voix alors que seulement 71,44% de l’électorat a voté. En réalité, calculent-ils en multipliant les deux pourcentages, le PLQ n’a obtenu que 29,6% du nombre d’électeurs inscrits sur la liste électorale. Donc, pour eux, il n’a pas l’appui d’une majorité réelle de la population et, par conséquent, pas de légitimité pour entreprendre ses réformes importantes.   

Si on accepte ce raisonnement, on doit reconnaître qu’aucun parti politique ou chef québécois du passé n’a eu la légitimité d’entreprendre de grandes réformes, car aucun n’a obtenu une telle majorité. Par exemple, en 1960, Jean Lesage a pris le pouvoir en ne remportant que 41,95% du nombre d’électeurs inscrits. Pour l’élection de 1962, celle de la nationalisation de l’électricité, il a obtenu 44,8%. Robert Bourassa en 1970 a obtenu 38,2% et 43,9% en 1973. René Lévesque à l'élection de 1976 a obtenu 35,27% et a organisé un référendum en 1980 sur la séparation du Québec de l’ensemble canadien. Puis il obtint 40,6% en 1981 pour faire « un bon gouvernement ». Toutes ces années passées sont celles de la « révolution tranquille » durant laquelle des politiques importantes ont changé profondément la société québécoise pour lui donner un nouveau départ.
Plus tard, Gérard Parizeau imposa un second référendum après avoir obtenu 36,5% en 1994. Quatre ans plus tard, Lucien Bouchard obtenait 33,5% et imposa des coupures budgétaires draconiennes suite auxquelles des milliers de fonctionnaires compétents furent mis à la retraite et de nombreuses villes, dont celles de l’île de Montréal, fusionnées. Jean Charest ne fit pas mieux avec 32,3% en 2003, 23,5% en 2007 et 24,16% en 2008. Quant à Pauline Marois, elle obtint 23,8% en 2012 pour former un gouvernement minoritaire et son ministre des finances s’apprêtait à couper dans les dépenses. Les bas-scores depuis 1994 s’expliquent par la présence de tiers partis qui sont appuyés par de bonnes franges de l’électorat et qui en fait divisent le vote.
Je souligne à nouveau, les pourcentages précédents sont toujours sur la base des électeurs inscrits sur la liste électorale.
Tous ces chefs politiques avaient le droit de faire ce qu’ils ont fait et ils l’ont utilisé pour bien réorienter les politiques, économiques, sociales et culturelles du Québec. Ils ont agi avec responsabilité malgré de nombreuses et sévères critiques venant des milieux traditionnels, religieux et autres. Ils ont même perdu leurs élections par la suite.
De plus, on se rappellera que lors de la dernière élection, le sujet principal débattu a été la nécessité de réorganiser les dépenses gouvernementales pour protéger financièrement l’avenir du Québec. Le plus grand propagandiste de cette difficile politique fut le chef de la CAQ, François Legault. Sur toutes les tribunes, il a martelé sans cesse l’importance d’assainir les dépenses gouvernementales et de les réduire. Alors que les sondages le plaçaient très bas dans l’opinion publique en début de la campagne, il est revenu en force à la fin de celle-ci en obtenant 23,05% des suffrages et 22 députés alors que le gouvernement péquiste sortant-de-charge obtenait 25,38% des suffrages et 30 députés.
De son côté, le chef libéral Couillard développait longuement le même sujet dans ses discours. Avec moins d’ardeur que Legault, il est vrai, mais avec autant de conviction. Ils étaient, sur le sujet des finances, sur la même longueur d’ondes à quelques différences près.
Même si on cumule les suffrages en leur faveur, PLQ 41,52% et CAQ 23,05%, ils ne représentent que 46,12% du nombre d’électeurs inscrits. Encore là, le 50% n’est pas atteint.
Notre système politique est ainsi fait. Certains diront : la solution, c’est un système électoral comme en France avec deux tours de votation. Analysons la dernière élection présidentielle en France où Hollande a obtenu, au deuxième tour, 51,64% des suffrages. Ce résultat ne représente en fait que 41,49% des français ayant le droit de vote. Donc pas de telle majorité là non plus.
Tout ça démontre bien que l’on ne peut accuser un chef politique au pouvoir ou son parti de manquer de légitimité sur la base du nombre de suffrages qu’il a reçus. Si on le fait pour un, on doit le faire pour tous les autres. C’est ridicule et teinté de démagogie.
La légitimité est le fondement de notre vie sociale et politique. Un élu qui n’a pas un sens naturel de la justice, qui ne respecte pas les droits de chacun ou qui décide de façon partiale perd sa légitimité même s’il a été élu avec une majorité absolue.

Claude Dupras