lundi 11 janvier 2010

La politique politicienne canadienne

Le parti libéral du Canada vient d’entreprendre une campagne publicitaire négative contre le PM Stephen Harper sur les ondes de la télévision et le la radio. Il cherche à le diminuer dans l’opinion publique afin de reprendre du poil de la bête dans les sondages. Il imite ainsi le Parti Conservateur du Canada d’Harper qui par deux fois a fait de telles campagnes. Dans un premier temps, pour salir la réputation de l’ex-chef libéral Stéphane Dion et récemment, pour dénigrer le chef actuel Michel Ignatieff. Dans les deux cas, ces campagnes ont apporté leurs fruits puisque les deux chefs visés ont plongé dans les sondages quelque temps après.

J’avais alors dénoncé ce type de publicité et je le fais encore aujourd’hui. Comment avoir confiance dans nos hommes et femmes politiques s’ils s’adonnent à de telles pratiques d’insinuations mensongères qui n’ont rien à voir avec les problèmes qui nous confrontent ? C’est la raison pour laquelle les citoyens s’intéressent de moins en moins à la politique.

Cette tactique politique de salir impunément l’adversaire nous vient des campagnes électorales américaines où elle est utilisée abondamment par les républicains américains. Ce sont les Conservateurs actuels qui ont initié les Canadiens à cette propagande. Les Libéraux l’avaient alors dénoncée fortement avec raison et décriée sur tous les toits. Dion, un homme d’une intégrité absolue, avait rejeté les suggestions venant de son parti pour répliquer de la même façon car il refusait absolument d’abaisser le débat politique à ce niveau de ruelle. Malheureusement, Ignatieff vient de décider d’imiter Harper et cherche à salir son adversaire. Ce n’est pas à son honneur.

Michel Ignatieff est un bon homme. Il a l’intellect et la préparation pour bien diriger le Canada. Son malheur c’est qu’il ne démontre pas qu’il a le sens politique capable de rallier les Canadiens à sa pensée. Il est loin d’être un Trudeau, un Chrétien, un Diefenbaker ou un Mulroney, pour ne mentionner que ceux-là. Il donne l’impression qu’il n’y a pas dans son entourage des personnes capables de l’aider à gravir les marches du pouvoir.

Un bon exemple est la prorogation du parlement par le PM Harper. Voilà un geste inique. Certes Ignatieff a réagi et a attaqué cette décision de son adversaire mais sa parole s’envole et ne laisse pas de trace. Ce sont les éditorialistes et les intellectuels du Canada qui font la bataille. Ce sont eux qui soulèvent les citoyens contre cet affront à la démocratie canadienne. Certes le sujet est difficile à comprendre et c’est justement pourquoi c’est à Ignatieff que revient la responsabilité de bien l’expliquer aux Canadiens afin qu’ils reconnaissent l’ampleur de la faute. Ils doivent comprendre que la prorogation est une mesure exceptionnelle pour temps de crise ou pour relancer un gouvernement qui a complété l'essentiel de son programme législatif et non un moyen pour servir les intérêts du parti au pouvoir, que la décision du PM est une tentative de mettre fin à la controverse des détenus afghans et le désir de prendre le contrôle total des comités du Sénat grâce aux cinq nouveaux sénateurs qu’il nommera bientôt et qui lui donneront une majorité conservatrice à la chambre rouge, pour la première fois.

De l’ouest à l’est, comme vient de le souligner Le Devoir, on peut lire des analyses solides dans les éditoriaux des journaux pour contrer les raisons invoquées par le PM pour justifier la fermeture du parlement pour trois mois.

Dans l’ouest, où le PC est fortement majoritaire, le Calgary Herald qualifie la décision de «coup politique cynique» et de «calcul politique brut». L’Edmonton Journal, d’« une manoeuvre politique évidente» qui «est répréhensible et déshonorante». Le Regina Leader-Post parle « d’un premier ministre canadien qui manipule le système pour accommoder ses intérêts politiques » et d'un « mépris jamais vu pour les principes démocratiques ». Le Winnipeg Free Press souligne que « les politiciens devraient se rappeler que les causes nobles ne font pas fi des principes, elles s'appuient sur eux ».

En Ontario, l’Hamilton Spectator affirme que cela « n'a rien à voir avec ce qui est bon pour le Canada, la démocratie ou les Olympiques, mais avec ce que Harper croit bon pour les conservateurs fédéraux » et qu’ « il s'agit d'un abus effrayant du processus démocratique, ce qui n'était pas l'intention derrière le mécanisme de la prorogation ». L’Ottawa Citizen parle de « l'arrogance » du PM et souligne qu’il ne rate pas une occasion « d'être cynique, secret et radicalement partisan, même quand cela n'est pas nécessaire » et conclut « cela est devenu une bien laide habitude ». Le Globe and Mail de Toronto explique « ces gestes sont une insulte à l'endroit du Parlement, y compris à l'endroit de la gouverneure générale Michaëlle Jean, et ne servent qu'à rabaisser les institutions nationales du Canada ».

Quant à l’éditorialiste montréalais de La Presse, André Pratte, il écrit « Stephen Harper est arrogant? Oui. Partisan? À l'excès. Ce n'est pas une raison pour décrire la prorogation comme s'il s'agissait d'un coup d'État ». Je n’ai entendu personne qualifier ainsi la prorogation.

Michel Ignatieff ne semble pas capable de saisir la balle au bond. Au lieu d’engager une campagne négative contre la personne de Stephen Harper, c’est sur le sujet de la prorogation que devrait porter ses « spots » publicitaires avec des arguments qui sont réels, tels : que notre pays est en guerre, qu’un débat sur notre politique de défense devient nécessaire, que le parlement est la seule institution capable de demander des comptes au gouvernement, que la prorogation prend sa vraie dimension dans l’examen de tout le comportement de ce gouvernement, que les comités de la chambre des commune et du sénat sont en pleine action, que 106 projets de lois sont au feuilleton, etc.

Le PM Harper s’avère être un expert de la politique politicienne. Il sera difficile à déloger de son poste de PM car, comme sa machine électorale qui est bien rôdée et financée, il est prêt à tout faire pour gagner. Il sait que les élections sont un commerce d’images et d’illusions. Il n’hésite pas à abuser des traditions parlementaires, avec une arrogance autocratique, pour ses propres fins. C’est là la dimension du défi de l’opposition et particulièrement du parti libéral du Canada. Michel Ignatieff doit trouver d’ici la prochaine élection le moyen de s’imposer dans l’opinion publique. Il ne peut constamment changer de position ou utiliser des arguments qui ne frappent pas le clou sur la tête. Il ne doit pas s’abaisser au niveau des tactiques de son adversaire pour gagner. S’il continue sur la voie actuelle, il est foutu et son parti aussi. Il doit être perçu comme un grand homme, solide, convaincu et prêt à être le leader du pays. Il doit être suffisamment habile et un pédagogue convaincant pour secouer l’opinion publique et la sortir de sa torpeur. En est-il capable ? J’en doute.

Claude Dupras

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