dimanche 31 mars 2013

La Chinafrique : « gagnant-gagnant »

Durant les années 80’ j’ai eu l’occasion de travailler en Algérie. Ce n’était pas facile. Non pas que le pays ne soit pas beau, il est extraordinaire. Non pas que les Algériens ne veuillent pas travailler, le contraire est vrai. Mais la réalisation de projets de construction était en mode ralenti pour toutes sortes de raison. J’ai visité entre autres celui de l’université de Constantine, dessiné par l’architecte brésilien Oscar Niemeyer. Les travaux s’éternisaient et la qualité d’exécution était minable. Il en était de même, avec l’aéroport international d’Alger, de la construction de tours à logements (dont la demande était très forte), etc… Cependant certains projets comme celui du monument aux Martyrs Algériens entrepris par Lavalin se déroulait rondement puisque tous les gérants de projets et les travailleurs étaient Canadiens dont la base de vie était un bateau de croisière amarré au port d’Alger.

Une quinzaine d’années plus tard, je retournai à Alger pour constater un changement radical. L’aéroport était enfin terminé, de multiples tours à logements de plus de 15 étages étaient construites et de bonne qualité, une autoroute Maroc-Tunis était en construction, etc. C’était l’œuvre du président Bouteflika qui, profitant des importants revenus de gaz et de pétrole algérien, a voulu réaliser les grandes infrastructures nécessaires à son pays. Pour ce faire, il a négocié des ententes avec le gouvernement de Chine et des compagnies chinoises. Les travailleurs étaient chinois et algériens. Le mix était bon et les résultats concrets et spectaculaires.

De même, j’ai eu l’occasion, il y a dix ans, de visiter Arusha, deuxième ville importante de la Tanzanie. J’y suis retourné en juillet dernier. Encore là, la ville avait beaucoup changé. Durant cette période, de grands bâtiments gouvernementaux, hôteliers, privés furent réalisés, des routes pavées, des écoles construites, l’internet disponible, et tout cela grâce, entre autres et surtout, à des ententes sino-tanzaniennes.

Depuis, j’ai mis la main sur le livre « Chinafrique », des français Serge Michel et Michel Beuret. J’y ai trouvé une belle synthèse de l’effort chinois sur le continent noir.

Depuis longtemps, la Chine a compris que ses besoins d’hydrocarbures, de métaux et autres pouvaient être comblés par l’Afrique qui en contient de très grandes quantités. Pour les obtenir, elle a pensé s’y installer en aidant les pays africains à « créer des opportunités pour diversifier leurs économies, créer des emplois, améliorer la santé et l’éducation, soutenir l’agriculture, l’industrie manufacturière et les PME par des infrastructures ».

La Chine est devenue le premier partenaire économique de l’Afrique. Contrairement aux pays occidentaux ou évangélisateurs, la Chine n’attache pas ses investissements à la tenue d’élections démocratiques, ni à la défense des droits de l’homme, ni à la protection de l’environnement, etc… Non, la Chine est là pour faire des affaires en aidant les pays africains à se donner les outils nécessaires à leur développement économique futur.

C’est en 2000 que les relations sino-africaines ont pris leur envol. De 10 milliards $ d’investissements au départ, ceux-ci atteignent maintenant plus de 150 milliards $. Aujourd’hui, la Chine œuvre dans 21 pays africains : Algérie, Niger, Nigéria, Cameroun, Gabon, Guinée Équatoriale, Égypte, Tchad, Soudan, Éthiopie, Mauritanie, Guinée, Sénégal, Congo, république du Congo, Angola, Zambie, Tanzanie, Zimbabwe, Mozambique et Afrique du Sud. De plus, elle coopère militairement avec cinq pays : Mali, Ghana, république Centre-Afrique, Namibie et Botswana.

Par contre, elle n’est pas active dans 19 pays : Maroc, Sahara occidental, Mauritanie, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Liberia, Sierra Leone, Togo, Benin, Malawi, Ouganda, Kenya, Madagascar, Rwanda, Somalie, Djbouti, Érythrée, Lybie et Tunisie. Cependant, dans quelques uns de ces derniers pays, la Chine collabore aux forces de maintien des opérations de la paix de l’ONU, ou encore dirige des centres culturels chinois.

Par sa participation au développement de l’Afrique, la Chine a redonné une vraie valeur aux Africains et aux investissements étrangers. Elle a suscité un nouvel intérêt, d’une grandeur jamais vue, chez les Américains, les Européens, les Japonais et les Australiens. Ces derniers pays ont réalisé qu’ils ont manqué le bateau et veulent maintenant y revenir. « Si c’est bon pour les Chinois, c’est sûrement bon pour nous », concluent-ils.

L’Afrique a un potentiel économique extraordinaire. En plus des matières premières mentionnées précédemment, elle a une démographie exponentielle, d’énormes besoins en infrastructures, en énergie et sa classe moyenne se développe rapidement. Durant les cinq dernières années, les investissements étrangers ont augmenté de près de 25% par année car la Chine n’est pas la seule à lorgner économiquement l’Afrique. Son exemple a fouetté l’intérêt des autres pays émergents qui s’y installent de plus en plus, dont : le Brésil, la Russie, l’Inde et l’Afrique du Sud. Ce groupe avec la Chine, identifié « les BRICS » vient de tenir un cinquième sommet de ses membres pour créer des partenariats stratégiques visant à ce que le développement de la richesse africaine soit fait en collaboration étroite avec chacun des pays intéressés. Ils discutent même de créer une banque BRICS pour financer les infrastructures et les projets de développement durable.

Le succès de la Chine en Afrique repose sur des avantages très particuliers. Elle est riche avec des réserves de change qui dépassent les 1,500 milliards $, elle peut déménager en quelques semaines des dizaines de milliers d’ouvriers chinois sur n’importe quel chantier de n’importe quel pays. À cause de ses coûts de revient qui sont bas, elle offre des prix très bas et elle garantit de très courts temps de réalisation. Toujours en garantissant une non-ingérence et une non-interférence dans les affaires de l’État-client. Ce dernier apprécie qu’elle prenne des risques, qu’elle soit là pour le long terme et qu’elle ne se mêle pas de ses affaires. Qui dit mieux ?

Ce qui est extraordinaire, c’est qu’enfin l’Afrique obtient, ou se donne, les infrastructures dont elle a un si grand besoin : barrages hydro-électriques; réseaux de trains; routes trans-Afrique; exploitations de gisements pétrolifères, construction de raffineries, distribution du pétrole; usines de désalinisation; développements miniers modernes (uranium, fer, cobalt, diamants, or, coltan et autres); construction de bâtiments à logements, hospitaliers et gouvernementaux; exploitation du bois; construction d’écoles, d’universités, d’aéroports, de complexes industriels, de réseaux de télécommunications; développement du tourisme; modernisation de l’agriculture; mise sur pieds de commerces de toutes sortes avec l’entraînement du personnel; financement de banques, etc…

Les adversaires ou les jaloux du succès des Chinois insinuent que l’intrusion de ces derniers en Afrique est du néo-colonialisme. Y a-t-il vraiment un danger que l’Africain se laisse enfermer dans une « relation inégale » comme ce fut le cas avec les colonisateurs occidentaux ? Pour y contrer et par transparence, la Chine a édicté son code d’éthique pour les entreprises chinoises à l’étranger, publiques ou privées. Elles doivent obéir aux lois locales, répondre aux appels d’offres avec transparence, respecter le droit du travail des employés autochtones, protéger l’environnement, etc. Elles ont aussi eu les directives de ne pas s’ingérer dans les affaires du pays et de respecter les gouvernements.

Il est certain que tout ne tourne pas toujours à la vitesse grand V et que des problèmes de toutes natures, humains, gouvernementaux ou financiers, se présentent ! Certains dirigeants africains d’opposition affirment que la Chine vient prendre toutes les richesses nationales de leur pays. De plus, quelques fois, des projets très importants sont arrêtés par l’État pour des raisons politiques et d’autres fois par des compagnies chinoises, comme ce fut le cas, suite à la plongée des prix du cuivre. Il y a aussi les multiples entreprises chinoises privées dispersées sur tout le continent africain : Restaurateurs, importateurs, distributeurs, revendeurs de produits chinois, manufacturiers, constructeurs, etc.. Beaucoup d’entre elles ont été créées par de jeunes chinois et font de très bonnes affaires. Malheureusement, leurs agissements ne sont pas toujours sans reproche puisque certains ne respectent pas toujours le code d’éthique et ne créent que peu d’emplois puisqu’ils font venir en masse leurs propres travailleurs de Chine. Ce sont des problèmes pour lesquels la Chine devra trouver les solutions.

La Chine sait que ses attaches chinoises sur le continent sont récentes et fragiles. Elle sait aussi que les autres pays du BRICS lui soufflent dans le cou et que la compétition peut devenir de plus en plus vive. C’est la raison pour laquelle le nouveau président chinois Xi Jinping, en début de mandat, vient de passer plus d’une semaine en Afrique. Il reconnaît que la soupe est chaude et vient tout juste de déclarer : « La Chine continuera de renforcer la coopération avec les autres pays BRICS, afin de rendre la croissance économique des pays BRICS plus robuste et leur coopération plus structurée et plus productive »
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Malgré la forte présence de la Chine en Afrique et son influence grandissante, le président Obama, contrairement aux républicains américains, voit cela d’un bon oeil puisqu’elle apporte un « capital dont l’économie africaine a un besoin vital », n’occupe pas militairement les pays où elle œuvre et que son but est de faire des affaires.

Au total, la Chine a entrepris plus de 900 projets importants. C’est beaucoup, mais peu si on considère que l’Afrique est le second plus grand continent du monde. La Chine veut l’aider à réaliser les grands projets essentiels à son développement et au bien-être des Africains, tout en s’assurant les sources de matières premières nécessaires pour ses besoins immédiats et futurs.

C’est une situation « gagnant-gagnant ».

Claude Dupras

mercredi 20 mars 2013

L’affaire n’est pas dans le sac pour Justin

Pierre-Elliot Trudeau fut un grand premier ministre du Canada. Éduqué par les jésuites, avocat, il a parcouru le monde durant sa jeunesse. Racé, coloré, libre penseur, il a marqué la politique canadienne. C’est en 1965 qu’il fut invité par le premier ministre canadien Lester Pearson à se joindre au Parti Libéral du Canada (PLC) avec deux autres éminents Québécois, Jean Marchand et Gérard Pelletier. Les « trois colombes », qualificatif choisi par les médias, acceptèrent. Trudeau croyait dans la confédération canadienne et c’est ce qui l’incita à se joindre à un parti politique fédéral. Élu facilement député, il devint secrétaire parlementaire du PM.

Deux ans plus tard, en 1967, une conférence constitutionnelle des premiers ministres, canadien et provinciaux, fut organisée et c’est là, en tant que ministre de la Justice, que Trudeau, grâce à ses interventions dans les débats, fut reconnu comme un homme qui prendrait une place importante dans la politique canadienne. Au congrès pour la chefferie libérale qui suivit la démission de Pearson, il contra tous les obstacles et fut élu au quatrième tour pour devenir le quinzième premier ministre (PM) canadien.

Trudeau ne refusa aucune bataille, constitutionnelle ou autre. Intelligent, articulé, ayant un bon jugement, debater exceptionnel et persuasif, il avait un franc-parler qui laissait bouche bée ses adversaires.

Il se maria alors qu’il était premier ministre et eut trois fils, dont son ainé Justin.

A sa retraite, il entreprit de combattre, presque seul, l’important accord constitutionnel du Lac Meech qui, finalement, ne fut pas ratifié au grand dam du PM Brian Mulroney. Décédé en 2000, il est demeuré dans la mémoire des Canadiens, même de ceux qui ne l’ont pas aimé, un politicien pas comme les autres, situé à plusieurs coches au-dessus.

Nous voilà en 2013, au moment où le Parti Libéral du Canada est dans une situation dramatique. Jadis si puissant, il est maintenant la 2ième opposition à la Chambre des Communes, dépassé par les socialistes du Nouveau Parti Démocrate (NDP). Depuis sa descente aux enfers, il a tout fait pour se redresser. Il cherche le chef-miracle capable de ramener les Canadiens à son bercail. Dans un premier temps il a choisi lors d’un congrès palpitant et surprenant, l’intellectuel Stéphane Dion, député de Montréal. Malgré son intelligence, sa clarté de vue, son bon vouloir, Dion a été balayé aux élections par Stephen Harper, chef du Parti conservateur (PC). Puis, Michael Ignatieff, aussi intellectuel mais de Toronto, fut choisi pour diriger les destinées du parti. Lui aussi subit une dégelée électorale aux mains d’Harper et du NPD. Dion et Ignatieff auraient été de bons premiers ministres mais ils n’avaient pas le charisme nécessaire à la victoire politique.

Malgré ses revers et grâce à son chef intérimaire, Bob Rae, le parti a su se tenir la tête hors l’eau. Il a repris quelques forces, mais sa résistance est fragile. Une nouvelle course au leadership a été déclenchée. Et, pour élire ce chef, le PLC a imaginé une méthode originale mais bizarre : tous les Canadiens sympathiques à la cause du parti, membres ou non, peuvent voter. Le coût d’inscription est de 4$, il faut avoir atteint 18 ans, être un électeur qualifié, non-membre d’un autre parti et se déclarer « supporteur ». A ce jour, le parti a plus de 300 000 membres et supporteurs, mais seulement 40% d’entre-eux se sont inscrits pour voter le 14 avril 2013.

Huit candidats se disputent actuellement le leadership, depuis que l’ex-astronaute Marc Garneau s’est retiré de la course, la semaine dernière. Quatre de ces candidats sont des femmes qui ont toutes de grandes qualités. Un autre candidat est Justin Trudeau, le fils de Pierre-Elliot. Il a 36 ans et aime se faire appeler, simplement, Justin.

Il a étudié la littérature anglaise à l'université McGill, l'éducation à l'université de Colombie-Britannique. Il a fait des études de génie à l’École Polytechnique de Montréal, mais a quitté après deux ans. Il s’est engagé dans une maîtrise en géographie environnementale à l'université McGill mais, encore une fois, a quitté avant de terminer. En somme, il a butiné d’école en école, sans obtenir de diplôme, piquant ici et là des bribes de connaissances. Marié, il a deux enfants de 4 et 6 ans.

À l’élection générale de 2008, Justin est élu député fédéral du comté de Papineau à Montréal malgré qu’il n’était pas le favori à cause d’une vague populaire qui transporta le Bloc Québécois. Il est réélu en 2011, nonobstant, cette-fois, la vague NPD qui remporta presque tout le Québec. Chaque fois, il s’avère être un bon « campaigner » qui sait gagner la faveur des électeurs ouvriers et multiethniques. Un gagnant !

Le 31 mars 2012, il met KO par décision, alors qu’il n’est pas favori, le sénateur conservateur Patrick Brazeau lors d'un combat de boxe à l'occasion d'un gala de bienfaisance pour la lutte contre le cancer.

En septembre, Justin annonce qu'il sera candidat à la chefferie du Parti libéral du Canada.

Depuis le début de sa carrière politique fédérale de 5 ans, Justin est porté à gaffer. Quelques exemples : en 2007, il critique « la séparation en éducation des anglophones et des francophones au Nouveau-Brunswick ». En 2011, il s'exprime indirectement en faveur de la souveraineté du Québec, disant que « sa loyauté au Canada dépend de si le gouvernement de l'heure correspondait à ses valeurs personnelles ». Il accuse faussement « le gouvernement Harper de vouloir rendre illégaux l'avortement et le mariage gay ». En 2012, il lance que « le Canada ne va pas bien parce que ce sont des Albertains qui contrôlent nos communautés et notre agenda socio-démocratique ».

Les médias, les fédéralistes, les Albertains, les Acadiens, les Québécois et évidemment ses adversaires qualifient les propos de Justin d’irréfléchis, d’arrogants, d’haineux, de diviseurs et de discriminatoires. À mon avis, il aime frôler la démagogie et ce faisant démontre un manque de jugement. Encore plus, les excuses, que Justin présente pour se sortir des pétrins dans lesquels il se fourre sans attention, sont maladroites et non persuasives.

Malgré ses fautes politiques, rien ne colle à Justin comme le démontre un récent sondage interne au PLC qui indique qu’il remportera plus de 60% des votes au congrès de leadership. Il est le candidat « teflon ». Comme si l’adage politique « en politique peu importe ce que vous dîtes, l’important c’est que l’on parle de vous.. » était vrai.

De toute évidence, Justin Trudeau n’est pas prêt à être chef d’un des plus grands partis politique du Canada. Il n’a, à ce moment-ci de sa carrière politique, ni la formation, ni l’expérience pour devenir premier ministre du Canada. Ses seules forces sont son nom, sa belle face, son entregent. Il mise sur le fait que la politique est un commerce d’images et d’illusions. Mais, malheureusement, pour lui et le parti, il n’est pas Pierre-Elliot Trudeau. Ce dernier avait l’intellect, la connaissance, le caractère, l’envergure, le « flower power » qui lui donnaient la capacité de persuader les Canadiens et Canadiennes de le porter à la tête du pays. Justin ne semble avoir rien de cela, sauf le charisme.

Les libéraux qui avaient misé sur les qualités intellectuelles de Dion et Ignatieff gagent maintenant sur l’image. À mon avis, ils font, à nouveau, une erreur.

C’est triste car deux des candidates au leadership libéral sont exceptionnelles et capables de gagner éventuellement une élection générale. Ce sont Martha Hall Findlay et Joyce Murray. Elles ont chacune l’éducation, l’expérience, la capacité et l’image requises. Quelle belle opportunité s’offre aux membres du parti ! Ils se doivent de réaliser que les Canadiens et Canadiennes, depuis quelques années, votent, partout au pays, pour des candidates féminines, puisque cinq d’entre elles sont premiers ministres de dix des provinces canadiennes : Pauline Marois au Québec, Alison Redford en Alberta, Christy Clark en Colombie–Britannique, Kathleen Wynne en Ontario et Kathy Dunderdale au Terreneuve-Labrador. Ensemble, elles représentent plus 81% de la population canadienne.

Justin deviendra probablement le nouveau leader de son parti. Mais l’affaire n’est pas dans le sac pour la prochaine élection générale.

Claude Dupras

samedi 16 mars 2013

Un pape low-cost

Fumée blanche, retentissement à toutes volées des cloches de la basilique St-Pierre, « Habemus Papam » prononcé par le cardinal Jean-claude Lautran du haut du balcon principal de cette dernière, tous annonçaient qu’un nouveau pape, chef de l’église catholique, avait été élu au cinquième tour de votation par les 115 cardinaux réunis en conclave dans la chapelle Sixtine.

Malheureusement, l’annonce de son nom fut un « flop » car le cardinal Lautran a complètement failli à la tâche importante qu’on lui avait confiée, soit celle d’annoncer aux fidèles du monde entier le nom du nouveau pape. Il l’a balbutié et nous ne l’avons pas compris. L’attente, avant que son nom soit finalement confirmé par Radio-Vatican, parue longue. C’était celui du cardinal argentin Jorge Bergogli, 76 ans, qui avait choisi le nom de François. Pas François 1er, mais François tout court. Négligé des bookmakers britanniques, ce fut une surprise.

Mais François ne prit que quelques minutes pour se faire connaître. En un tour de main, presque par pure magie de communication, il nous a ébahis et le désappointement initial qui nous traversa, puisque notre cardinal préféré n’avait pas été choisi, s’envola subitement. "Les cardinaux sont allés me chercher au bout du monde pour être l’évêque de Rome" dit-il. Il improvisait, souriait, saluait la foule et dégageait une chaleureuse sympathie. Il était réconfortant. Avant de donner sa première bénédiction papale aux fidèles, il leur demanda d’être béni par eux. Il se plia et appuya sa tête sur la balustrade. Aussitôt, une absence totale de bruit et une émotion profonde enveloppa l’immense place St-Pierre et ses 60 000 fidèles. On en vit les doigts croisés en prière et la larme à l’œil, implorer le Seigneur d’aider ce nouveau chef de l’Église catholique. Combien de fois une telle situation s’est-elle produite dans ce gigantesque endroit où il y a toujours des gens ? Pas souvent, sûrement. Je me rappelle d’y être allé vers 2hres le matin pour voir l’éclairage de la basilique et celui des statues de saints qui trônent sur le haut des colonnes de marbre qui entourent la place. J’avais été fortement étonné d’y entendre les murmures d’au moins un millier de personnes.

Puis les commentateurs de la télé, remis de leur surprise, récupérèrent les données sur la vie du pape François et en donnèrent les grandes lignes. Sa vie simple fut particulièrement soulignée. Fils d’immigrés italiens, il naquit à Bueno Aires. Technicien, philosophe, détenteur d’un doctorat, il se joint à la Compagnie de Jésus, les jésuites, et est ordonné prêtre à 33 ans. Peu bavard, on le dit timide, disponible et humble. Durant sa jeunesse, il subit l’ablation d’un poumon. Il devient évêque, archevêque, cardinal nommé par Jean-Paul II, primat de l’Église d’Argentine. Il aime la lecture (Dostoïevski..) l’opéra comme tout ceux qui ont du sang italien et est un supporteur indéfectible de l’équipe de football (soccer) San Lorenzo.

Tout comme Jean-Paul II et Benoit XVI, il s’est opposé fermement au mariage gai, à l’avortement (interdit en Argentine) et au droit des transsexuels de changer de sexe à l’état civil. Il a cependant critiqué les prêtres qui refusaient de baptiser les enfants nés hors-mariage, allant même à les qualifier d’hypocrites.

François vivait comme ses paroissiens dans un logement simple et non au somptueux palais cardinalice, voyageait non accompagné dans les transports en commun, préparait ses propres mets, vivait le plus près possible des pauvres et des indigents pour mieux les écouter, les comprendre, les soulager. Tout comme le faisait l’ami des pauvres Saint-François-d’Assise, auquel il a emprunté le nom pour bien marquer le sens qu’il veut donner à son pontificat.

Bon pasteur, il n’a pas craint de s’élever contre les puissants pour leur rappeler leurs responsabilités sociales envers les classes miséreuses du pays. Théologien, premier pape issu de la Compagnie de Jésus, il devient le premier pape de l’Amérique du Sud où vivent maintenant près de 48% des catholiques du monde, et encore… Tout ce que nous apprenions nous démontrait que les sages cardinaux avaient choisi le bon homme.

Après sa présentations au balcon de St-Pierre, il refusa de prendre une auto privée qui lui était offerte mais opta, habillé de blanc, d’embarquer dans le bus qui ramenait les cardinaux à leur hôtel. Plus tard, de sa chambre, il appela directement le directeur des Jésuites à Rome et parla au réceptionniste, au secrétaire du directeur et à ce dernier. Toujours dans la plus grande simplicité. C’est là que le jeune jésuite-réceptionniste, prenant l’appel du pape qui s’identifia comme le pape François, crut en une mauvaise farce et lui dit : « ah oui, eh bien moi je suis Napoléon ». Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il réalisa que c’était bien le pape François au téléphone ! Le lendemain, François alla lui-même récupérer sa valise à l’hôtel, où il logeait durant le conclave, paya sa facture et remercia les dirigeants pour leur hospitalité, toujours vêtu de blanc.

Devant les cardinaux, réunis pour sa première messe à la chapelle Sixtine, il refusa le texte préparé par le Vatican pour l’homélie et décida de l’improviser. Habillé de vêtements liturgiques simples le pape François parla en italien et non en latin comme le veut la coutume et il n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. « Celui qui ne prie pas le Seigneur, prie le diable ». « Si l'on ne suit pas le Christ, l'Eglise n'est qu'"une pitoyable ONG ». Ce qui a fait dire à Jean-Marie Guénois, journaliste spécialiste des questions religieuses au Figaro, "Jamais un pape – même Jean Paul II – n'a osé parler aussi crûment en public". Il estime que le nouveau pontificat « s'annonce décapant, …une critique acerbe d'une Église sans âme ». François a tenu un discours traditionnaliste d’un simple curé de paroisse qui va provoquer les milieux de gauche. « ce pape va nous "dérouiller" dans le bon sens pour que nous puissions voyager plus léger », ajoute un autre tweeter.

« Le protocole voulait qu'il parle assis, mitre en tête et crosse en main », il « a parlé sans mitre, sans crosse, et debout (...) comme un simple curé de paroisse ». D'où l'enthousiasme que la venue du pape François suscite chez les catholiques et l'intérêt qu'il éveille chez les non-catholiques.

Nous vivons à l’ère du low-cost qui offre aux consommateurs des prix attractifs pour des services réduits à l’essentiel. Le pape François propose une église attractive qui offrira l’essentiel. Un pape moderne qui même en continuant de respecter intégralement les préceptes religieux de l’Église, comme ses prédécesseurs, saura mieux les faire comprendre, voir accepter, grâce à une approche simple, sympathique, accessible, réaliste et compréhensible.

Ce fut un choix audacieux, une vraie surprise. Je crois que nous, catholiques, ne serons pas déçus.

Claude Dupras

mercredi 6 mars 2013

Hugo Chavez : le Robin des bois vénézuélien

Hugo Chavez est mort. Ce n’était pas n’importe qui ! Énergique, passionné, tribun, populaire, politiquement talentueux, il semblait indestructible. Il a été élu 12 fois et pourtant les critiques le disaient antidémocrate. Les pauvres l’aimaient et Dieu sait qu’au Venezuela, à son arrivée au pouvoir, il y en avait des millions dans les favélas qui entourent Caracas, et partout au pays. J’ai visité deux fois le pays à ce moment-là et j’ai été éberlué par la paupérisation de son peuple. On pouvait le constater même à l’aéroport international, au centre-ville, partout.

Atteint de cancer, Chavez a cru être guéri l’automne dernier (du moins c’est ce qu’il a dit) et a entrepris sa dernière campagne électorale qui le reporta au pouvoir pour six ans. Mais la maladie était toujours en lui et ses proches ont vite compris qu’il était irrémédiablement perdu. Il retourna vite à ses médecins cubains et une dernière opération scella son sort. Il ne put être assermenté pour son nouveau mandat comme l’exigeait la constitution de son pays. Il avait à peine 58 ans.

Les pauvres le pleurent puisqu’ils ont perdu leur « Robin des bois ». Pour eux, Chavez prenait aux riches pour leur donner leur butin.

Advenant son décès, Chavez avait indiqué vouloir être remplacé par son vice-président Nicolas Maduro. Les observateurs avertis estiment que ce dernier sera élu grâce au vote de sympathie que génèrera la mort du caudillo vénézuélien. Mais ce n’est pas certain puisque l’adversaire de Maduro sera le jeune centriste Henrique Capriles, le même qui s’opposa à Chavez à la dernière élection et qui avait réussi à diminuer sa majorité de 15% l’abaissant ainsi à 11%. Ce sera une élection intéressante à suivre.

Mais remplacer Chavez ne sera pas facile. Ses lectures de jeunesse lui avaient fait découvrir le vénézuélien Simon Bolivar, le grand révolutionnaire de l’Amérique du sud et il avait calqué sa politique sur celle de son idole au point de nommer le Venezuela, république bolivarienne. Chavez est devenu le chef politique le plus connu de l’Amérique du sud et dans le monde entier, presqu’autant que son ami Fidel Castro. Il avait une main ferme sur la conduite du pays au point que plusieurs de ses adversaires dans son pays et ailleurs, le traitaient de dictateur, de corrompu et qualifiaient son régime d’autocratie financée par le pétrole.

Né pauvre, de parents instituteurs, il rêvait dans sa jeunesse de devenir un joueur de baseball professionnel. Peut être que les Montréalais l’auraient connu autrement, durant les années 75-90, s’il était devenu membre de l’équipe des Expos de Montréal en compagnie de son compatriote Andrés Galarraga. Pour atteindre son rêve, il joignit l’académie militaire parce qu’elle avait un bon club de baseball. Mais de pensée gauche, il regroupait autour de lui ses amis pour parler d’avenir et conspirait contre le gouvernement. Petit à petit naissaient ses ambitions politiques.

À ce moment-là, le prix du pétrole plongea. Un régime d’austérité fut imposé. La pauvreté se répandit. La corruption s’implanta. Des manifestations anti-gouvernementales éclatèrent et l’armée, cherchant à maintenir les foules, tua près de 400 personnes. Hugo Chavez crut son moment arrivé. Devenu lieutenant-colonel d’un bataillon de parachutistes, il entreprit de renverser le président Andrés Perez. Il fit une erreur et fut jeté en prison pour deux ans. Ses nombreuses lectures lui firent comprendre que l’histoire d’un pays s’écrit par de grands hommes. Surtout de grands militaires. À sa sortie de tôle, en 1994, il rendit visite à son idole Fidel Castro pour trouver conseils auprès du père de la révolution cubaine.

Démocrate, il avait la conviction que la voie électorale était un chemin plus sûr vers le pouvoir que la force. Il devint candidat à la présidence en décembre 1998 et remporta 56% des suffrages. Sa campagne porta sur la mise en place d’une nouvelle constitution par référendum, la fin de la pauvreté et de la corruption. Il gagnera trois autres élections présidentielles avec de bonnes majorités. Cependant, comme chef de la nation, il était impatient et ne voulait pas attendre qu’un consensus se développe pour agir. Cela lui causa des problèmes, au point qu’en 2002 l’armée lui soutira son appui, suite à des émeutes anti-Chavez. Il démissionna mais, quelque temps après, l’armée se ravisa et le restaura au pouvoir devant la montée des conservateurs. Hugo Chavez venait de prendre une bonne leçon et en peu temps plaça à tous les postes clefs, même dans les cours de justice, des individus qui lui étaient loyaux. Il alla jusqu’à enlever quelques pouvoirs aux gouvernements des États et à l’Assemblée Nationale pour assurer son autorité.

Puis, le pétrole vint à la rescousse de Chavez. Le prix mondial du précieux liquide grimpa spectaculairement et comme c’était le principal produit d’exportation du Venezuela, les revenus du pays s’amplifièrent rapidement. Profitant de la situation et voulant aider ses pauvres, Hugo Chavez fit une entente humanitaire avec Fidel Castro. Le Venezuela vendrait son pétrole à Cuba à prix de rabais et en retour Cuba fournirait médecins et infirmières pour les soins primaires de santé. De plus, Cuba fournirait des enseignants pour l’éducation des adultes. D’autres missions suivraient. Ainsi chaque pays serait bien servi. Cuba avait un taux de personnel médical trop élevé et un grand besoin de pétrole et les services sociaux du Venezuela étaient inadéquats et insuffisants pour sa population grandissante et pauvre. De plus, pour assurer sa sécurité, Chavez s’entoura de gardes cubains.

Puis vint GWBush. Chavez profitant de l’impopularité mondiale de GWBush se moqua de ce dernier sur toutes les tribunes dont celle de l’ONU. Ses positions anti-américaines renforcèrent sa position politique au pays, particulièrement chez les pauvres, et il put résister au coup monté par les Américains en 2002 pour le renverser.

Grâce à l’entente avec Cuba, Chavez gagna le référendum de 2004 visant à le démettre de sa fonction. Le lendemain, il s’attaqua aux médias privés qui s’étaient rangés contre lui et devint impitoyable face aux signataires de la demande de référendum.

En 2006, suite à une victoire électorale sensationnelle, Chavez annonça l’implantation du socialisme dans son pays. Il nationalisa de grands pans de l’économie, comme les télécommunications, l’électricité, l’agriculture, le ciment et ce qui restait de l’industrie pétrolière encore aux mains d’entreprises privées.

En 2007, voulant rendre constitutionnelles ses propositions de changements, il lança un référendum. À sa surprise, il le perdit. Par la suite, il se permit de contourner cette embûche par décrets présidentiels.

Durant son règne, le nombre de fonctionnaires doubla, une milice de 125 000 hommes qui relevait de lui fut crée et il finança des conseils communautaires qui prenaient les décisions relevant normalement de gouvernements locaux. Pour lui, c’était de la démocratie directe; pour ses critiques, une main mise du président pour conserver son pouvoir.

Avec le temps, l’économie vénézuélienne dépendait de plus en plus du pétrole et des importations. La production des fermes nationalisées diminuait. L’inflation s’installait malgré le contrôle des prix. Les infrastructures s’usaient. Les pannes de courant plus fréquentes. Les hôpitaux mal entretenus. Le crime revenait avec la violence d’antan et Caracas devint un point d’entrée de la drogue à cause d’agents de sécurité soudoyés.

Malgré cette situation de plus en plus insoutenable, les Vénézuéliens ne blâmèrent pas Hugo Chavez, l’« homme des pauvres ». Son intelligence, sa sincérité et son instinct politique les charmaient. Les statistiques nous démontrent pourquoi : la pauvreté se situait à 49% à son arrivée, elle est à 29% à son décès. Durant le même temps, elle diminua de 14% en Amérique latine. L'indigence passa de 22,2%à 12,7%.

À l’étranger, Chavez se servit de son pétrole pour monter une front anti-influence-américaine. La Bolivie et l’Équateur votèrent pour des partis de gauche. Il en fut de même de petits États de l’Amérique centrale et des Caraïbes. Il a maintenu une alliance avec les « guérillos » de Colombie. Il contribua à l’élection de Christina Fernandez d’Argentine. Il collabora avec le président brésilien Lula et la présidente actuelle. Avec chacun, il organisa des marchés de biens et de services inter-états du sud. De plus, il forgea des alliances avec l’Iran d’Ahmadinejad, l’Irak de Saddam, le Zimbabwe de Mugabe, la Syrie d’Assad et la Russie de Poutine. Aujourd’hui, lendemain de son décès, on peut voir dans les médias tous les hommages rendus par ces chefs d’États à Hugo Chavez.

Le futur n’est pas rose pour son successeur Maduro qui n’a ni l’autorité ni le talent de Chavez pour communiquer avec la masse. L’économie a ralenti et il y a pénurie de biens importants et essentiels. Le bolivar vénézuélien vient d’être déprécié de 32%. L’état qui a été mal gouverné n’est plus capable de concurrencer sur les marchés mondiaux. Les millions de nouveaux étudiants universitaires risquent d’être fortement désappointés lorsqu’ils seront diplômés.

Chavez a-t-il manqué l’opportunité de donner à son pays, suite au boom du pétrole, une infrastructure de classe mondiale avec le meilleur système d’aide sociale qui soit ou a-t-il réussi à le sortir de l’abime de la pauvreté dans lequel il était condamné pour lui permettre de mieux s’élancer dans l’avenir. Les Vénézuéliens de demain le diront.

Quoiqu’on en dise, Hugo Chavez n’était pas un leader comme les autres.

Claude Dupras