mercredi 23 décembre 2009

Un beau jour de Noël

À chaque Noël, je revois les souvenirs qui me reviennent du temps de Noël de mon jeune âge. Quelles bonnes sensations !

Voici le récit d’une de ces fêtes de Noël, vers 1943, qui ressemble, j’en ai la conviction, à celle que vivaient la plupart des familles canadiennes-françaises :

« Cette année-là, mon frère et moi attendions fiévreusement les vacances de Noël. Nous étions heureux de quitter le pensionnat pour onze jours. Chemin faisant mon père arrêta au marché Atwater pour acheter notre « arbre de Noël », ce qui nous plongea aussitôt dans l’ambiance des fêtes. Nous choisîmes un grand sapin, « bien fourni ». Arrivés à la maison on le déposa dans le portique pour le « faire dégeler ». Ma mère qui nous attentait, nous embrassa et nous fit vite passer à la cuisine où la table était mise pour un bon souper familial. En apercevant le sapin, elle s’exclama « il est bien trop gros ». C’est alors que nous prîmes soudainement conscience de sa dimension. Il nous sembla deux fois plus gros qu’à l’achat. Et ma mère d’ajouter : « C’est la même chose à chaque année ! On dirait Émile que tu fais exprès pour acheter le plus gros ! ». Remplis de joie, nous riions pour un oui ou pour un non.

Pressés de « faire l’arbre de Noël », on avala le souper en vitesse. Une fois dans le salon, nous constatâmes qu’effectivement le sapin avait au moins trois pieds de trop et ses branches envahissaient la fenêtre du salon. Qu’à cela ne tienne ! Mon père, scie en main, coupa « le fouet » et les branches trop longues. Finalement calé sur sa base, droit et fier, le roi des forêts était vraiment magnifique. Il remplissait le salon à lui seul. Ma mère avait récupéré de la cave les boîtes de boules de Noël, les jeux de lumière et les guirlandes. Tous ensembles, nous décorions l’arbre et la maison. Deux heures plus tard, tout était fini et la maison était prête pour le Père Noël. Mon frère et moi avions déjà oublié le collège.

En se couchant ce soir-là, nous rêvions à la messe de minuit du lendemain à ville Émard dans la paroisse de notre oncle Paul qui y chanterait le « Minuit Chrétien ». Nous quittâmes après la première messe pour aller au réveillon chez mémère Lalonde qui y réunissait les familles de ses trois enfants. Elle nous remit alors les cadeaux qu’elle avait choisis pour nous. Nous rentrâmes à la maison après deux heures du matin, morts de fatigue et dormant dans l’auto. Malgré tout, on se leva tôt pour trouver nos cadeaux de Noël au pied de l’arbre. Comme à l’accoutumée, nos parents nous gâtaient. Parmi tous les cadeaux, quelques livres. Mon père et ma mère se réjouissaient de pouvoir nous offrir ces plaisirs. Ils se rappelaient leurs propres matins de Noël où, pour tout cadeau, ils ne recevaient qu’une orange ou un autre fruit. Nous étions ravis. Puis ce fut le départ pour Saint-Jérôme vers 10:00.

On s’habilla chaudement car le système de chauffage de l’auto n’était pas très efficace et, en ce matin ensoleillé, froid, sec et tout blanc, il fallait être bien emmitouflés pour ce long voyage. Dès Chomedey, mon frère et moi dormîmes pour nous réveiller à l’entrée de Saint-Jérôme. Il était passé midi à l’arrivée chez mémère Dupras. La parenté, cousins, cousines, les sœurs de mon père, oncles et d’autres parents nous accueillirent. Nous les embrassions tous, à tour de rôle, on leur souhaitant "Joyeux Noël". Comme d’habitude, la table du repas de Noël était bien garnie : dinde, tourtières, cretons, ragoût de patte et de boulettes, les miches du bon pain de l’oncle Henri et tous les plats et desserts traditionnels de Noël préparés par mémère. Il y avait tellement de monde que mémère devait servir son repas en « deux tablées ». Comme à tous les ans, j’héritai du cou de la dinde et du cœur et mon frère d’une aile. Après une longue promenade de digestion, nous trouvâmes un coin pour se reposer en préparation de la grande fête traditionnelle du soir de Noël.

La maison de mémère était modeste mais grande, surtout la cuisine. Tous les parents de mémère avaient été aussi conviés à la fête. La maison débordait. En entrant, les invités retiraient leurs couvre-chaussures pour les déposer le long du mur du vestibule où plus d’une soixantaine de paires étaient déjà accumulées, pêle-mêle. À la fin de la soirée, c’était avec une grande difficulté qu’ils parvenaient à les retrouver. Et, parmi les derniers à quitter, certains partaient avec une paire qui ne leur appartenait pas. Quant aux gants, foulards, cache-nez, chapeaux ou tuques, ils étaient enveloppés dans les manteaux tous empilés sur le lit de mémère. C’était une immense pyramide de laine et de fourrure.

La grande fête de Noël était toujours mémorable. Après le souper, auquel toutes les familles avaient contribué en apportant un plat particulier, la soirée démarra. Au premier rang, les enfants, les filles et les femmes s’assoyaient autour de la grande cuisine. Tous les autres s’installaient derrière eux, debout, sur un ou deux rangs. Mon oncle, qui était le maître de cérémonie, avait invité un « violoneux » qui avec son bagage de « chansons à répondre » faisait chanter tout le monde. Il jouait son violon en « callant les sets (danses) carrés ». Il était soutenu par deux joueurs de cuillères qui frappaient le dos de deux cuillères l’un contre l’autre sur leurs genoux et un joueur d’« os » qui faisait claquer deux os (des côtes de bœuf) dans sa main droite en les tenant entre ses doigts. En plus, ces accompagnateurs tapaient des pieds et l’ensemble des bruits générés suivaient le rythme établi par le violoneux.

Le maître de cérémonie suggérait, demandait et même insistait au besoin pour que chaque invité vienne faire son petit « numéro de Noël ». C’était le « tour des talents ». Une bonne moitié de l’assistance jouait le jeu de bon coeur. On avait droit ainsi à un compliment de Noël, une récitation, une histoire drôle, une gigue, une danse seule ou en couple, une chanson à répondre, une pièce à l’harmonica, à la « bombarde », ou à tout autre instrument. Les enfants dans leur habillement de Noël avaient ouvert le bal en récitant les compliments ou les poèmes qu’ils avaient appris à l’école ou à la maison spécialement pour Noël et le Jour de l’An. Tous les participants étaient applaudis chaleureusement. Il y avait beaucoup d’amour dans l’air.

Comme à tous les ans, c’était mon père qui remportait la palme pour le meilleur show, avec ses saynètes sur « le renard et les poulets » et « le lutteur Robert». Il était bon conteur et savait mimer les personnages. Tous riaient aux éclats de le voir marcher sur la pointe des pieds, la tête en arrière, les bras arqués, les mains branlantes et l’air narquois, en imitant le renard qui cherche à attirer les poulets, tout en déclamant dans un français châtié les mots censés être, à l’en croire, ceux d’une fable de La Fontaine. La cuisine était en délire. Et cela reprenait de plus belle lorsqu’il enchaînait avec la description d’un match de lutte entre Yvon Robert, le grand lutteur Canadien français, et Garibaldi. Il personnifiait Garibaldi. On se tordait de rire à l’entendre imiter l’accent italien et à le voir se tortiller et paraître souffrir comme s’il livrait un vrai combat !

Tandis que chacun s’exécutait, certains hommes remplissaient leur verre de St-Georges (vin rouge au goût douteux, très populaire à cette époque où les Canadiens français ne connaissaient pas le vin), mais la plupart buvaient surtout de la bière ou un petit blanc (alcool du genre gros gin). Le « tour » était quelque fois interrompu par un des buveurs qui entonnait « prendre un petit coup c’est agréable, prendre un petit coup c’est doux… » sous le regard réprobateur de mémère.

ll y avait aussi les pauses pour les « danses carrées », les valses ou les polkas. Lorsque tout le monde était exténué ou en nage, on reprenait le « tour ». La soirée était un flot ininterrompu de joies, de cris, de rires et d’applaudissements et se terminait tard dans la nuit. Sur la fin, certains fêtards devenaient bruyants et même gênants. Mon père était l’un de ceux qui les reconduisaient à l’extérieur, parfois vigoureusement, pour qu’ils aillent s’y refroidir les ardeurs.

À la fin toute la famille était fatiguée, mais ravie. Le lendemain matin, au lever, nous retrouvons mémère dans la cuisine. La table était déjà mise. Ma mère et mes tantes l’aidaient malgré son refus. Elle était là, à nous offrir jambon, crêpes, sirop d’érable, œufs, « toasts », fèves au lard, pâtés, cretons… Un vrai régal, une fois de plus. Nous prenions plaisir à nous remémorer les temps forts de la veille. Puis, il y avait la promenade en traîneau, Mon père se rendait à l’écurie atteler la jument à une « sleigh » prêtée par le cousin Henri qui était boulanger. Les cousins, les cousines, mon frère et moi prenions place face à face sur les deux sièges. Ma mère et mon père occupaient le banc du cocher. Et nous partions pour une belle randonnée dans les rues de Saint-Jérôme.

Hélas, il fallait rentrer à Verdun. Mon père rangeait, dans le coffre de l’auto, les bagages et les cadeaux. Puis les tartes, les gâteaux et les tourtières que mémère avait cuisinés et nous avait remis avec insistance. Mon frère et moi, désappointés de devoir quitter Saint-Jérôme, nous réconfortions à l’idée que nous devions revenir passer trois autres belles journées chez mémère pour le Jour de l’an. »


Comment oublier de tels moments ?

Joyeux Noël à tous et je vous souhaite beaucoup de plaisir avec votre famille !

Claude Dupras

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