lundi 8 décembre 2008

Merci Stéphane Dion

Le départ de Stéphane Dion de son poste de chef du parti libéral du Canada me peine. Les Canadiens perdent un homme de qualité, honnête, intellectuel, visionnaire, travaillant, dévoué et sincère. Un homme rare. Il subit le sort de la politique où seule la victoire compte.

Fils d’un grand intellectuel québécois, Dion est venu à la politique à la demande du PM Jean Chrétien alors qu’il était professeur universitaire. Il a fait sa marque dès son arrivée en acceptant la difficile responsabilité d’établir le cadre de la discussion sur l’avenir politique du Canada. Il a produit « la loi sur la clarté » en rapport avec les futures consultations référendaires québécoises sur la séparation du Québec et cela au grand dam des leaders séparatistes de la province.

La première fois que j’ai vu et entendu Stéphane Dion fut lors d’une rencontre-débat télévisée avec Lucien Bouchard, ex-PM du Québec, sur la question de la séparation du Québec. Alors que tous les observateurs prédisaient que Bouchard écraserait son jeune interlocuteur, Stéphane Dion sortit vainqueur de cette confrontation grâce à sa vivacité intellectuelle qui fut brillante.

Devenu ministre de l’environnement au moment où le monde entier se rendit compte de la situation tragique du réchauffement de la planète, Stéphane Dion a mené de main de maître la grande conférence internationale des Nations Unies sur le réchauffement climatique tenue à Montréal. Il a reçu alors les félicitations de tous les pays du monde pour la qualité de la conférence et son leadership en rapport avec les conclusions de la rencontre. Nous avions raison d’être fiers de lui à cette occasion car il généra alors pour le Canada un sentiment très positif dans le monde.

Puis vint la course au leadership du parti libéral du Canada. Contre toutes attentes, Stéphane Dion face à des candidats de haut calibre remporta le titre et devint le chef du parti. Il hérita d’un parti endetté, dans l’opposition et sali par le scandale des commandites. Malgré cela, il entreprit de le rebâtir et de lui donner des politiques qui correspondaient aux problèmes de l’heure. Vite, il comprit que le PM Stephen Harper était un politicien prêt à tout faire pour gagner. Dion attaqua la politique du gouvernement, jour après jour, et vit sa cote de popularité remonter.

Le PM Harper constatant le danger potentiel de la situation déclencha une élection surprise, deux années et demie avant la fin de son mandat. Dion s’engagea dans cette campagne avec une politique d’avant-garde basée sur la « taxe sur le carbone ». Cette mesure draconienne était conçue pour aider le Canada à faire face à ses responsabilités internationales en rapport avec le réchauffement climatique. Tous les groupes environnementalistes et autres reliés au domaine appuyèrent publiquement Dion. Malheureusement, ce fut une erreur électorale car comme j’écrivais dans un blog précédent « un politicien qui taxe est un politicien qui se fait battre ». Le PM Harper le savait et mit son équipe de publicitaires démagogues à l’œuvre pour dénigrer cette mesure en faisant peur aux Canadiens. Harper reprit l’avantage mais ne gagna finalement qu’une minorité de députés au parlement. Ce qui est ressorti de cette élection, c’est que Dion a eu l’honnêteté et l’audace de proposer aux Canadiens une vraie solution aux graves problèmes climatiques.

Puis vinrent les évènements de la semaine dernière. Le PM Harper fit montre, encore une fois, de politicaillerie en proposant un énoncé économique qui n’avait rien à voir avec le tsunami économique qui atteint maintenant les Canadiens mais réglait ses comptes avec les ennemis de ses politiques d’extrême droite : les partis politiques, les fonctionnaires et les femmes. Dion a vite réagi et a formé avec les partis d’opposition une coalition capable de voter la non-confiance aux conservateurs et de diriger le gouvernement. Malheureusement, la gouverneure générale mit fin à ses espoirs en prorogeant le parlement à la demande du PM Harper.

En sauvant à Harper son poste, la représentante de la reine s’est trompée royalement. La décision de suspendre le parlement a affaibli notre démocratie. Le Canada est un gouvernement responsable avec une démocratie représentative où les Canadiens délèguent à leurs représentants, les députés, la protection de leurs intérêts. Pour ce faire, ces derniers doivent siéger au parlement pour légiférer jusqu’à l’échéance électorale suivante à laquelle les Canadiens jugent de leurs représentants. Le gouvernement responsable protège les Canadiens de l’arbitraire et de la main mise du conseil des ministres sur les décisions politiques. Et pour prendre les décisions importantes comme celles sur les finances de l’état, le gouvernement doit avoir la confiance du parlement. La semaine dernière, Harper en proposant ses mesures d’austérité a perdu la confiance d’une majorité de députés. Il a finassé les règles constitutionnelles plutôt que de se soumettre à un vote démocratique sur leur confiance en lui.

Harper cherche à faire croire que seul le parti qui a obtenu le plus de sièges à l’élection a le pouvoir de diriger le pays. C’est faux. Les autres partis, en cas de non-confiance, peuvent proposer légitimement un autre scénario pour diriger le gouvernement comme a fait la coalition libéral-NDP-bloc. Ce ne fut pas un coup d’état de la coalition, comme le disait Harper et ses porte-paroles, mais un coup de force des conservateurs minoritaires, selon sept professeures en science politique de l'Université de Montréal dans un article au journal Le Devoir et dont je m'inspire de l'argumentation.

La gouverneure générale n’a pas protégé la notion de gouvernement responsable. Si elle avait suivi les conseils de ses constitutionnalistes, Stéphane Dion serait aujourd’hui premier ministre du Canada.

Au lieu d’être à la tête du pays, quelques jours plus tard, Dion est rejeté par son parti suite à un putsch des députés et sénateurs libéraux qui n'ont pas aimé sa déclaration télévisée nationalement qui suivit celle du PM Harper sur l'enjeu de la coalition. La cassette du message de Dion fut non seulement livrée en retard aux postes de télévision mais elle était de pauvre qualité sonore et vidéo. Cette erreur a ébranlé plusieurs leaders du parti libéral qui y ont vu une confirmation du manque de leadership de Dion. C’est une corroboration de ce que j’avance souvent à l’effet que « la politique est un commerce d’images et d’illusions ». Et c’est là la faiblesse de l’intellectuel Stéphane Dion, trop honnête pour s’adapter à ce milieu-là et pour qui c'est le contenu qui compte.

Je trouve triste que nous ne puissions bénéficier des talents d’un homme comme Stéphane Dion pour diriger notre pays. Mais la politique est ainsi faite. Je crois que nous devons être reconnaissants envers lui, espérer qu’il ne quitte pas la politique et accepte de servir dans les rangs du parti libéral où il sera toujours un atout important.

Remercions le pour son apport à la politique canadienne.

Claude Dupras

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