vendredi 27 septembre 2013

Ne pas soulever la nation, mais la bâtir

Un récent article rappelait les résultats de l’enquête nationale de 2011 sur les ménages en rapport avec la place de la religion dans la vie des Canadiens. La province de Québec compte 12% d’individus qui affirment n’avoir aucune appartenance religieuse, tout de suite avant Terreneuve qui est la plus religieuse avec 6% de non-croyants. La plus athée est la Colombie Britannique avec 44%.

Je ne suis pas surpris de cette statistique en rapport avec le Québec. Encore aujourd’hui, les Québécois, descendants d’occidentaux, élevés surtout dans la religion catholique mais aussi dans le protestantisme et les religions orthodoxes et juives, demeurent croyants même si un grand nombre ne sont plus pratiquants. Cela se manifeste lors de grands évènements. À ces moments-là, l’église devient le point de ralliement pour marquer à nouveau notre foi, prier, se consoler mutuellement et écouter les paroles apaisantes d’un prêtre. On l’a constaté à nouveau récemment à Lac Mégantic suite au terrible accident ferroviaire. Quant aux funérailles de monsieur-et-madame-tout-le-monde, si elles ne sont tenues que rarement à l’église à cause des coûts plus élevés, elles le sont au salon funéraire lors d’une cérémonie à caractère religieux présidée soit par un prêtre, un diacre ou une personne autorisée. Je n’ai été témoin qu’une seule fois où un ami avait demandé de n’avoir aucune cérémonie.

Les nombreux immigrés venus s’installer au Québec depuis de nombreuses années pratiquent pour la plupart une religion. Ceux d’Amérique du sud sont généralement catholiques, ceux d’Arabie sont musulmans ou coptes, ceux d’Asie sont hindouistes, taôistes ou sikhs; ceux de l’Europe de l’est sont orthodoxes… Chacun a son clergé, ses pasteurs, ses imans, ses moines ou même ses gourous. Pour plusieurs, c’est la foi en un Être suprême. Pour d’autres, c’est une manière de vivre ou une réponse aux questions difficiles de l’humanité. Pour les non-croyants, ce n’est que de la superstition.

Malgré les 88% de croyants québécois, l’État du Québec est laïc. Je considère que c’est bien ainsi et peu de personnes questionnent cet état de fait. Cependant, nous croyons en la liberté de religion pour chacun.

La « charte des valeurs québécoises » n’implante pas la laïcité puisqu’elle existe déjà. Elle est proposée par le gouvernement actuel qui soupçonne que les serviteurs de l’État profitent de l’occasion qu’ils ont de rencontrer personnellement le public pour faire une propagande en faveur de la religion dans laquelle ils croient. Il ne tient pas compte que les fonctionnaires ont un devoir de réserve.

Pourquoi présenter une telle proposition à ce moment-ci, alors qu’il n’y a pas vraiment de problème entre les races au Québec ? Pourquoi susciter inutilement à l’extérieur des émotions négatives envers le Québec ? Pour défendre le port du voile intégral ? Mais il n’y a pas une fonctionnaire québécoise qui le porte !

Certes, nous avons connu il y a quelques années, la« crisette » d’Hérouxville, petite municipalité de 1 300 personnes, suite à l’adoption par le conseil de ville d’un règlement stipulant notamment que « la lapidation des femmes et le fait de les brûler vives, de même que l'excision, étaient interdits dans la municipalité ». Il craignait qu’une famille musulmane s’installe dans son patelin. Cette réaction xénophobe a été amplifiée démesurément par certains politiciens qui ont joué sur la perception négative de plusieurs Québécois envers les musulmans pour soulever la nation. Pourtant, c’est l’intolérance qui a été mise en évidence à ce moment-là. Voulons-nous répéter cette hystérie collective ?

Trop de Québécois ne font pas la différence entre l’Islam et le mouvement islamiste. Et on ne peut les blâmer. Ils ont été témoins de l’attentat du 11 septembre 2001 sur les tours du World Center de New York. Et depuis, ça n’arrête pas. Encore aujourd’hui, c’est le brutal acte terroriste au centre commercial en Nairobi au Kenya qui fait les manchettes. Ces islamistes nuisent à la réputation des musulmans monde.

Je connais plusieurs Algériens de Montréal. J’ai signé des documents d’immigration pour quelques uns. Ce sont de bonnes gens, qui sont venues s’implanter chez nous pour y vivre, travailler, élever leurs enfants et assurer l’avenir de chacun. Et, ils réussissent et veulent contribuer et s’intégrer à notre société puisque leurs espérances sont similaires aux nôtres. Nous nous devons de les comprendre car eux aussi sont victimes d’islamistes. Ils sont un groupe parmi toutes les cultures différentes qui sont venues au Québec pour y vivre et qui ont droit à leur chance. Nous nous devons de faire la part des choses et leur assurer notre appui. La discrimination n’a pas sa place.

J’ai grandi dans un milieu fortement multiculturel. Ma famille et celles de nos voisins francophones sont demeurées, malgré cela, canadiennes-françaises « pure-laine ». Pour nous, les plus jeunes, ce fut positif de vivre avec des anglophones. En plus d’être devenus parfaits bilingues dès notre très jeune âge, leur esprit cartésien a laissé des traces positives sur notre formation, notre personnalité.

L’identité du Québec est principalement sa langue. Elle est protégée par la loi 101. D’où qu’ils viennent, de quelques langues qu’ils parlent, quelque soit leur culture, les nouveaux immigrés deviendront avec le temps des Québécois parlants-français. Peut être pas les parents, mais leurs descendants sûrement puisqu’ils devront obligatoirement fréquenter l’école française dès le niveau élémentaire. Tout comme ce fut le cas pour les anglophones dont 70% parlent le français, aujourd’hui. Et, avec le temps, le score sera encore plus haut. Cela démontre bien l’importance de la loi 101 et la raison pour laquelle nous devons veiller à ce qu’elle soit protégée et toujours respectée.

Les néoquébécois sont là et de nouveaux viendront, à moins que l’on change toutes les lois… ce qui n’arrivera pas. Nous nous devons d’accepter cette évidence et réaliser le potentiel extraordinaire que cette diversité nous apporte. Dans un premier temps, libérons-nous de la peur instinctive face aux immigrants qui hante plusieurs d’entre-nous. Devenons plus conciliants. Cela ne changera rien pour nous, ni en nous, puisque nous serons toujours ce que nous sommes !

La langue majoritaire sera toujours le français. Notre identité demeurera intacte. On ne se fera pas de mal en nous ouvrant aux autres. Au contraire. Nous comprendrons mieux ce qu’est le monde et ses habitants et les avantages que leurs cultures peuvent apporter aux connaissances des membres de notre société.

Les immigrants vivent la fracture avec leur pays d’origine. C’est difficile pour eux même s’ils l’ont quitté volontairement. Mais avec le temps, et on a de multiples exemples du passé qui nous le démontrent, ils se joindront de plus en plus à nos activités culturelles, sociales, sportives…. Certes, il y aura des problèmes et des conflits… mais ces différends seront réglés. Pour juger de ce potentiel, on n’a qu’à écouter à la télé des jeunes de familles chinoises, coréennes, haïtiennes et d’autres qui parlent le français avec un bel accent québécois. Ce sont des exemples d’intégration et une démonstration claire des effets de la loi 101.

Face à la réalité, notre gouvernement devrait renseigner les Québécois et les préparer à l’avenir. Qu’il ait confiance en l’intelligence de notre peuple ! Nous comprenons que tout change rapidement et que nous devons bien saisir l’opportunité, ouvrir nos esprits, être généreux, oublier nos préjugés, raffermir notre culture et s’assurer que les néo-québécois participent au développement culturel et économique de notre société francophone. Voilà un objectif positif.

Je souhaite que mon gouvernement mette l’accent sur les vrais défis de demain et bâtisse notre coin de pays au lieu de semer une zizanie qui ne crée que des conflits.

Claude Dupras

lundi 16 septembre 2013

Pourquoi une charte ?

Le débat actuel sur « la charte des valeurs québécoises » me rappelle ma jeunesse.

Né à St-Henri dans un pauvre quartier ouvrier, mes parents s’installent, deux ans plus tard, à Verdun, banlieue de Montréal, sur le bord du fleuve Saint-Laurent, où ils pratiquent leur métier de barbier et de coiffeuse. Nous vivons dans le quartier no 4, composé d’une population à 70% anglophone. Nous sommes des Canadiens-français « pure laine ». Oups ! Non, pas tout à fait puisque mon arrière-grand-mère paternelle (Élizabeth Carey) était irlandaise et mon arrière-grand-père maternel (Peter Heyer) était allemand. Nous vivons en français et nous sommes de forts pratiquants catholiques.

Nos voisins sont des canadiens-français, des anglais, des irlandais, des écossais, des polonais, des lituaniens, des juifs, des italiens et d’autres. Chacun parle, chez lui, sa langue et le fait que nous sommes devenus bilingues anglais nous permet de nous comprendre, de nous apprécier mutuellement, de travailler et de vivre ensemble. La vie n’est pas facile à cause de l’économie et de la guerre. Mais tous les pères de familles travaillent dur pour apporter à la maison les argents nécessaires aux besoins minimums de leur famille. Pauvres, peu éduqués, ils rencontrent difficilement « les deux bouts », ils sont d’humbles ouvriers qui œuvrent dans les usines de St-Henri et de l’ouest de Montréal comme la Canadian Tube and Steel, la Dominion Engineering et la Dominion Bridge. Ils partent tôt le matin et reviennent après 18h, fatigués souvent exténués. Tous les jours sauf le dimanche, toute l’année.

Malgré ces difficultés, tout le monde semble heureux. Ah ! il y a des conflits, mais surtout entre les jeunes de mon âge. On nous traite de « frenchies » ou de « french pea soup » et nous, on répond par « têtes carrées » ou « johnny cake ». À chacun ses insultes… Au hockey, par exemple, ce sont les français contre les anglais et ça joue dur. Mais dans le fond, nous nous aimons bien. La clientèle du « Manning and Beauty Parlor and Barber Shop» de mes parents est majoritairement non-francophone. Les affaires sont bonnes.

Il n’y a pas de problème de religion. Catholiques, protestants et juifs vivent côte à côte. Chacun pratique la sienne sans déranger l’autre. Que de fois, ai-je vu les protestants sur leur balcon regarder passer la procession élaborée de la Fête-Dieu dans leur rue alors que nous nous époumonons à chanter plus fort pour les impressionner « Sancta mater, ora pro nobis, Sancta… ». Ils sont respectueux, tout comme mes parents le sont envers leur religion même si on nous enseigne qu’ils sont dans l’erreur et « qu’ils n’iront pas au ciel ». Durant toutes ces années, je n’ai jamais entendu dire qu’un catholique soit devenu protestant et qu’un protestant soit viré catholique. On est ce qu’on est !

Depuis, des immigrés d’Asie, du Moyen-Orient, d’Afrique, d’Amérique du Sud, d’Amérique centrale et des Caraïbes sont venus au Québec. Nos gouvernements les ont invités par une publicité visant à leur démontrer les avantages de vivre dans notre milieu. Cela fait notre affaire puisque le nombre additionnel d'individus ajoute à la force de notre économie. Ils sont là bien implantés, travaillant et élevant leurs familles. Ils sont devenus Canadiens et Québécois avec les mêmes droits et privilèges que nous.

Mais ces nouveaux venus sont différents des Occidentaux qui ont découvert et créé le Québec et le Canada. Ils pratiquent des religions que nous connaissons mal, entres autres l’Islam et le Sikhisme. Ils sont pratiquants et obéissent aux règles et obligations de leur religion respective, tout comme nos ancêtres et nous jadis aux préceptes catholiques. Pour plusieurs Québécois, ces coutumes étrangères sont choquantes et c’est pourquoi notre gouvernement a décidé d’agir, afin de mettre tout ce beau monde au pas grâce à une « charte des valeurs québécoises ».

Depuis la révélation du projet devant régir le port des signes religieux ostentatoires des fonctionnaires ayant affaire avec le public, un tourbillon de « pour » et « contre » s’est formé et la tempête ne cesse de croître.

Le « pour » affirme que la charte est équitable et raisonnable, qu’il est bon que l’État soit neutre, que c’est une bonne façon de protéger l’identité du Québec, que le gouvernement cherche à solidariser la société, que cela rendra les femmes plus égales aux hommes, que c’est acceptable parce que personne n’impose à quiconque de travailler dans la fonction publique, que pas de voile signifie égalité pour les femmes, que la neutralité de l’État face aux religions est une garantie de la protection des droits civiques en tant que société égalitaire, que la charte proposée n’est aucunement inspirée des valeurs du nationalisme ethnique contrairement à ce qu’a affirmé une député bloquiste, expulsée subito presto de son parti.

Le « contre » soutient que la charte est un projet simpliste qui ouvre la porte à l’arbitraire et à d’interminables conflits, qu’elle risque d’éliminer l’accès des femmes à des postes importants de la fonction publique, qu’elle est inutile et xénophobe, qu’elle divise notre société, que le PQ ne l’a proposée que pour gagner de votes à la prochaine élection, que c’est scandaleux d’allouer 1,9 millions $ pour en faire la promotion, qu’il en coûtera des millions $ additionnels pour la défendre contre les protestations juridiques qui fuseront de toute part, que le Québec a invité des musulmans francophones et compétents à venir au Québec et qu’il les trahit avec cette charte, que c’est une mascarade qui révèle le côté noir du nationalisme québécois…

On donne toujours l’exemple du voile musulman pour bâtir l’argumentation « pour » ou « contre » la charte Marois. Mais je rappelle qu’elle touche aussi d’autres religions comme le Sikhisme. Cette dernière « est monothéiste et a été fondée au XVe siècle au nord de l’Inde. Ses adeptes croient en un seul Dieu Suprême. Pour eux, il n'y a pas de péché originel puisque la vie émane d'une Source Pure, le Seigneur de Vérité demeure en elle. Ils ne reconnaissent pas le système de castes en Inde, car le sikhisme s'est créé sur une égalité de droits pour tous. De même, ils ne croient pas en l'adoration des idoles. Cette religion correspond à une manière d'être, de rendre service à l'humanité et d'engendrer tolérance et fraternité vis-à-vis de tous. Le Salut peut être atteint si le sikh gagne honnêtement sa vie et mène une existence normale. Le Sikhisme n'accepte pas le pessimisme. Il préconise l'optimisme et l'espoir ». Il exige qu’un Sikh porte obligatoirement le turban qui est une partie importante de sa culture. Il représente l’honneur, le respect de sa personne, son courage, sa spiritualité et sa piété. Il sert à couvrir ses longs cheveux qu’il ne coupe pas. S’il devait l’enlever on découvrirait un fonctionnaire barbu aux cheveux très longs.

En 1990, la Cour Suprême du Canada a décidé que l’officier Baltej Singh Dhillon de la Police Montée pouvait garder son turban sur la tête en toutes occasions. Et nous au Québec, on veut forcer ces individus de qualité à se découvrir s’il veulent être employés du Québec !

Il y a aussi l’illogisme apparent de maintenir en place des signes religieux catholiques pour des raisons historiques, tels le crucifix à l’Assemblée Nationale et la croix du Mont-Royal. Il en ira de même sûrement pour le drapeau du Québec. « De couleur blanche, la croix renvoie au catholicisme. Centrée et droite, elle est typique des anciens royaumes d’Europe occidentale… Le bleu symbolisait à l'origine la Vierge Marie », dixit Wikipedia. Je suis en accord avec le gouvernement pour protéger l’histoire ainsi représentée, mais cette position pourra-t-elle être comprise comme juste par ceux à qui on demande de se dépouiller de leurs signes religieux ?

Le débat sur la charte est mal engagé. On dit que cette proposition a été présentée par le gouvernement pour gagner des votes. Je crains que la PM Marois soit déçue car la bisbille a pris trop d’envergure et affectera inévitablement les résultats escomptés. De plus, si c’est vrai, c’est un coup bas. C’est pire que la corruption la plus sale car c’est jouer avec les plus bas instincts de l’homme, la haine de l’autre, pour se faire élire.

Je comprends tous les arguments des uns et des autres. J’en partage plusieurs, des deux côtés. Mais ce qui me semble plus primordial c’est la question des libertés individuelles de chaque individu vivant au Québec. Cela inclut, évidemment, la liberté de religion. Ce sont des acquis de longue date qui nous sont garantis par les chartes des droits de la personne du Canada et du Québec. Je ne peux comprendre et accepter que le gouvernement du Québec les brime par une loi. J’espère qu’il retirera son projet.

Claude Dupras

dimanche 8 septembre 2013

Le Montréal qu'ils ont bâti

L’élection municipale de Montréal du 3 novembre prochain approche à grand pas. Les candidats à la mairie fourbissent leurs arguments, leurs candidats aux postes de conseillers entreprennent leur combat « portes à portes ». C’est une élection captivante, intéressante et qui arrive à un moment où la crédibilité des élus municipaux est au bas de l’échelle.

Montréal a besoin d’un bon maire. Un premier magistrat connaisseur de Montréal, de sa population, de ses problèmes, de son potentiel et qui aime sa ville. Un individu intègre, honnête. Une personne qui manifeste de l’intelligence, de la raison, du discernement et une capacité d'anticipation avec une intuition d’avenir. Un individu qui a la faculté d’esprit de bien juger, d’apprécier les situations et les choses pour se faire une opinion solide en vue de décisions importantes. Un chef qui sait écouter, commander, exercer une autorité, une direction, une influence déterminante. Un administrateur qui sait choisir ses proches collaborateurs et des personnes ayant le potentiel de remplir des charges importantes et d’accepter des défis hors de l’ordinaire pour Montréal. En somme, des gens efficaces et de résultats.

Les années passent vite et en peu de temps une ville peut changer radicalement.

Je nous ramène aux années 1954 à 1986. Un espace de 32 ans dans la vie de Montréal. Une période relativement courte dans la vie d’une ville !

1954, c’est le moment où Jean Drapeau gagne sa première élection à la mairie avec 49% du vote et que son parti, la Ligue d’Action Civique fait élire 28 de ses candidats. Les 38 autres échevins élus, des classes « A » et « B », sont des « vieux de la vieille » bien aguerris politiquement et solidement implantés dans leur district et qui ont réussi à éviter la vague Drapeau. Pour atteindre son objectif, clairement déterminé suite à l’enquête Caron, de nettoyer la ville de la corruption qui la ronge, Drapeau doit bien manœuvrer et gouverner avec une minorité. Il lui sera nécessaire d’obtenir l’appui d’un grand nombre des 33 conseillers non élus de la classe « C », nommés par des corps intermédiaires, telle la Jeune Chambre de Montréal, pour faire adopter les mesures nécessaires pour changer Montréal. En 1957, malgré le grand ménage qu’il a entrepris, Drapeau est battu par le sénateur libéral Sarto Fournier qui est appuyé par la machine électorale de l’Union Nationale de Maurice Duplessis, qu’il a fait l’erreur d’attaquer. Mais il revient à l’élection de 1960 et demeure maire de Montréal jusqu’en 1986. Aucun Montréalais ou Montréalaise ne peut s’imaginer, à ce moment-là, ce que les prochaines années lui réservent.

En 1954, Montréal, la ville aux cent clochers, est une ville « ouverte » où règnent le « gambling », la prostitution, les maisons closes. La pègre est roi et maître.

Du belvédère Camilien Houde sur le Mont-Royal, on regardant Montréal, l’édifice le plus haut est celui de la compagnie Sun Life. On n’y trouve pas la Place des arts, les stations de métro, la Place Ville-Marie, ni les tours : CIBC, IBM, de la Bourse, Desjardins, Coopérants devenu KPMG, Hôtel le reine Élizabeth, Château Champlain, CIL, BCN, Scotia, Bell ; le palais de Justice, l’édifice de Radio-Canada et combien d’autres. Maurice Richard joue au Forum. Le pont Champlain est en construction. Le club de baseball « les Royaux de Montréal » de la ligue internationale AAA des majeures joue au Stade Delorimier.

La ville intérieure, le Montréal souterrain, avec ses 20 km de tunnels plus les galeries de restaurants et de boutiques sous la terre qui relient de l’intérieur plusieurs édifices à bureaux, des complexes résidentiels, des centres commerciaux, des universités, des résidences de luxe et des hôtels n’existe pas.

On ne rêve même pas d’expo67, ni de Jeux Olympiques, ni de parc Notre Dame, ni d’Habitat 67, ni d’île St-Hélène agrandie, ni de Stade Olympique, ni de piscines olympiques, ni de village olympique, ni de centre Claude Robillard, ni de Grand Prix du Canada, ni de nos Expos… L’artère Décarie et une rue, les autoroutes Décarie et Ville-Marie ne sont même pas en plans. Le boulevard métropolitain est en construction. Les tramways électriques sillonnent les rues de Montréal. Le port de Montréal occupe les rives du vieux Montréal et on ne s’y rend pas. Le boulevard René-Lévesque se nomme la rue Dorchester, en grande partie une voie à deux sens.

Le Service d’habitation n’existe pas, celui de la restauration des logements non plus et la pensée de logements à loyer modique balbutie. On ne discute pas de rénovation urbaine. On ne revalorise pas les quartiers. On ne revitalise pas les vieux secteurs et les artères commerciales. On n’imagine même pas ce que peut être un projet tel « la place au soleil » pour les ruelles. Les maisons de la culture n’existent pas.

Les grands parcs de Montréal sont le parc Lafontaine et celui du Mont-Royal. Le parc de l’île Notre Dame n’existe pas, ni la Ronde, ni les grands parcs dans les quartiers. Les arénas d’hockey dans les districts non plus. L’usine d’épuration des eaux usées n’est pas construite et plusieurs égouts se versent directement dans le fleuve où il est défendu aux citoyens de se baigner. Le jardin Botanique fondé par le frère Marie Victorin, f.é.c. attire toujours les Montréalais, mais le Biodôme et l’insectarium sont inexistants dans ce coin de Montréal.

En 1986, tout ce que je viens d’énumérer existe.

En somme, depuis 1954, Montréal a été transformée du tout au tout et est devenue une des villes importantes du monde. Une ville qui fait la fierté des Montréalais et des Montréalaises.

Ce bilan, même incomplet, démontre ce qui peut être réalisé dans une ville sous l’administration d’un maire. Comment Jean Drapeau a-t-il pu réussir ce tour de force ?

Dès son entrée à l’hôtel de ville, le maire Drapeau agit toujours de façon à donner de l’envergure à Montréal et à étendre son rayonnement à travers le monde. Il mise d’abord sur la croissance du centre-ville. Montréal est vite reconnue comme une ville dynamique et moderne. C’est en partie grâce à cette réputation qu’il confirme la tenue d’une exposition universelle en 1967 et obtient les JO de 1976.

Il choisit des candidats compétents aux postes de conseillers municipaux. Il préfère des administrateurs et des commerçants bien implantés dans leur milieu et capables de répondre au besoin des citoyens de leur district. Il les sait loyaux. Il discute avec eux de ses idées, de ses ambitions, des orientations que la ville doit prendre et des projets de développement. Il crée ainsi une cohésion exceptionnelle avec chacun. Parmi les élus, il choisit d’abord ceux ayant une solide expérience de la vie politique municipale, à l’esprit indépendant, pour servir au comité exécutif, car il recherche un groupe homogène. A la présidence, il a la main heureuse en choisissant des hommes forts comme Lucien Saulnier et Yvon Lamarre. Il favorise l’approche tandem. On parlera dorénavant d’administration Drapeau–Saulnier et Drapeau-Lamarre. Sa stratégie est d’assurer une meilleure cohésion dans les décisions pour favoriser la stabilité de son gouvernement urbain. Malgré qu’une telle centralisation extrême risque à la longue de susciter des critiques de ceux qui n’y participent pas ou qui ont des opinions contraires ou encore qui veulent ramener aux quartiers le processus décisionnel, cela n’inquiète pas le maire. C’est l’efficacité qui compte.

Saulnier et Lamarre contribuent largement par leur excellent travail à la popularité du maire et par conséquent à ses réélections.

Puis, avec le président du comité exécutif, il choisit des hauts fonctionnaires, jeunes, de qualité exceptionnelle, reconnus pour leur compétence, leur engagement et leur dévouement. Parmi eux, on retrouve Claude Robillard, Lucien L’Allier, Gérard Gascon, Roger Vanier, Pierre Bourque, Me Michel Côté, Guy R. Legault, Jean R. Marcotte… Il recrute aussi de gens comme Pierre Charbonneau, sans qu’ils deviennent fonctionnaires. Plusieurs de ces individus sont des sommités dans leur domaine et reconnus mondialement pour l’excellence et l’originalité de leurs réalisations. J’en connais plusieurs et je ressens toujours qu’ils œuvrent avec enthousiasme pour Montréal.

L’urbaniste et ingénieur Claude Robillard est directeur du Service des parcs, période durant laquelle il marie arts et sport dans les parcs. Il est l’homme clef de la construction de la Place des Arts. En 1960, il est directeur du Service d’urbanisme qu’il modernise et prépare à bien servir Montréal qui est en plein développement immobilier et urbain.

L’ingénieur Lucien L’Allier est directeur du Service des Travaux Publics où il entreprend la modernisation de tous les services urbains. Il est l’ingénieur en chef pour la construction du métro de Montréal et plus tard celui de l'agrandissement des îles Sainte-Hélène et Notre-Dame pour Expo 67.

Gérard Gascon, adjoint au directeur du Bureau du Métro, est le dirigeant de la construction du Métro. Il devient par la suite le directeur.

L’ingénieur Roger Vanier dirige à son tour les Travaux Publics où l’efficacité de son travail est remarquée et fait école.

L’avocat Michel Côté dirige le contentieux de la ville et est responsable de tous les contrats devant être signés par Montréal pour l’Expo 67 et le JO de 76. De plus, il est partie pour Montréal du triumvirat d’avocats, avec Me Marc Lalonde pour le Canada et Me Jérôme Choquette pour le Québec, pour gérer la crise d’octobre de 1970 crée par l’enlèvement du diplomate Cross et le meurtre du ministre Pierre Laporte.

L’ingénieur botaniste Pierre Bourque est directeur du Jardin Botanique et deviendra éventuellement maire de Montréal.

L’infatigable sportif Pierre Charbonneau, président de la Confédération des sports du Québec, est le coordonnateur du dossier Olympique pour l’obtention des Jeux et par la suite devient vice-président du comité organisateur, le COJO.

L’architecte et urbaniste Guy R. Legault est directeur-adjoint au service d’urbanisme au moment où il devient le premier directeur du Service de l’habitation. Puis, il dirige le nouveau service de la Restauration de logements. En fin de carrière, il est président de la Société municipale d’habitation.

L’ingénieur civil Jean R. Marcotte est l’un des principaux artisans de la gestion et du traitement des eaux usées de Montréal et contribue à la réalisation d’œuvres de génie civil majeures.

Non seulement le maire soumet-il ses idées avec intensité mais il sait écouter celles des autres. Ensemble, élus et fonctionnaires s’entendent pour réaliser des choses incroyables. Ainsi, les grands projets pour Montréal ont pu prendre vie, même les plus difficiles, tout en obtenant l’aide des gouvernements du Québec et du Canada pour leur réalisation. Sans compter l’apport de pays étrangers lors de la réalisation de l’expo 67, des JO 76 et pour d’innombrables activités, telles une expo sur l’Egypte ancienne ou une autre sur les œuvres de l’ingénieur Léonardo Da Vinci. Jean Drapeau n’oublie jamais l’aspect culturel.

Ces grandes réalisations ont une influence heureuse sur la ville. La popularité du maire est forte. L’opinion populaire pense que « cet homme au leadership autoritaire rassure et fait franchement figure de héros ». Les Montréalais sont portés à tout mettre au crédit du maire, mais les haut-fonctionnaires méritent une bonne part des accolades, car le Montréal de 1986 est la ville qu’ils ont bâtie ensemble.

Voilà ce que peut faire un maire en peu de temps ! C’est pourquoi le choix du 3 novembre est important !

Le défi des Montréalais est de déterminer lequel des candidats peut tirer de sa forte personnalité les qualités nécessaires pour assurer un style de leadership qui vise l’efficacité, un exercice plus réfléchi de l’activité politique et le rassemblement autour de la mairie de personnes compétentes, élus, fonctionnaires et non-élus, pour assurer le développement optimum de Montréal et de sa société.

Claude Dupras

Ps. Si vous êtes intéressé a bien comprendre les efforts et la qualité du travail des hauts fonctionnaires de Montréal en urbanisme et en habitation, je vous recommande de lire le livre intéressant et instructif de Guy R Legault, « La ville qu’on a bâtie » Trente ans au service de l’urbanisme et de l’habitation à Montréal, 1956 à 1986. Éditions Liber, Montréal 2002.