C’est en 1986, qu’un parti politique municipal de Montréal, le RCM, proposait, à l’élection de novembre, la restructuration de la ville en arrondissements. Jean Doré, chef de ce parti et candidat à la mairie en vantait les mérites. Cette année-là, le temps de Jean Drapeau achevait. Il en était à sa trentième année et dernière année à la tête de la ville et reconnu comme le plus grand maire qui ait dirigé la métropole. Expo67, Olympiades 1976, métro de Montréal, la ville souterraine, les Expos, la course F1, etc. etc. etc… ses réalisations spectaculaires et importantes avaient transformé Montréal dont la renommée était devenue mondiale. J’aimais dire que « Jean Drapeau est le fondateur du Montréal moderne ».
Le parti civique du maire avait décidé de tenir une course au leadership pour le choix d’un nouveau chef. À mon étonnement, M. Drapeau m’encouragea à soumettre ma candidature. Nous étions sept candidats. J’ai été surpris d’être l’élu et je devins le chef du Parti Civique de Montréal et son candidat à la mairie contre Jean Doré. Nous étions en juillet et l’élection était en novembre. Les sondages n’étaient pas très favorables car le sentiment qui flottait dans l’air montréalais était qu’« il est temps que ça change ». J’acceptai quand même le défi et m’engageai cœur et âme dans cette bataille.
Dans un premier temps, durant un long weekend, j’examinai en détail l’épais programme du RCM (Rassemblement des citoyens de Montréal), voté lors de ses nombreuses assises politiques. C’est à ce moment-là que j’ai vraiment découvert l’étendue des idées de ce groupe, dont celle de découper Montréal en arrondissements et de donner à ceux-ci des pouvoirs étendus. Plusieurs autres points du programme étaient, à mon point de vue, simplement farfelus puisqu’ils relevaient davantage d’un gouvernement que d’une administration municipale. J’en vins vite à la conclusion que cela n’allait dans le sens des meilleurs intérêts du développement de Montréal et je décidai, dès mes premiers discours, de m’attaquer à la question des arrondissements.
J’accusai Doré de vouloir « désorganiser » Montréal, de proposer de créer de nouveaux hôtels de ville partout sur le territoire, d’accroître le nombre de fonctionnaires inutilement, d’augmenter les taxes… Je qualifiais cette mesure d’inutile, de destructive et le RCM atteint de la maladie de la « structurite ». J’argumentai que le mode d’administration centralisée avait, jusque-là, bien servi Montréal. Sa réputation internationale et le taux de satisfaction des Montréalais le démontraient clairement. Sa structure politique était bonne. Montréal avec ses 59 conseillers était dirigée par un exécutif dont le président, à ce moment-là, était le compétent Yvon Lamarre, successeur de Lucien Saulnier qui fut un autre as de l’administration municipale. Cette dernière s’appliquait à bien choisir ses chefs de service et à les appuyer. Ceux-ci étaient des experts et des sommités reconnues internationalement dans leur domaine respectif. On se rappellera, entre autres, Pierre Charbonneau, l’ingénieur-botaniste Pierre Bourque, l’ingénieur Roger Vanier, l’avocat Michel Côté, l’urbaniste Claude Robillard. Les finances de la ville étaient saines. Montréal était propre et accueillante. Ses uniques grands parcs, ses maisons de la culture de plus en plus nombreuses, ses installations sportives modernes n’avaient rien à envier aux autres grandes villes du monde.
Les Montréalais avaient voix au chapitre via leur conseiller municipal et de mouvements divers dans lesquels ils se regroupaient comme la Chambre de Commerce, les partis politiques, la ligue des propriétaires, celle des locataires, les mouvements paroissiaux, les groupes sportifs, les associations socioculturelles, les verts et des dizaines d’autres.
Je prédisais le gaspillage, la fragmentation de la ville, une division des pouvoirs qui s’avérerait malsaine, l’augmentation des dépenses, des salaires, du nombre de gouvernants, la désorganisation, en un mot : la cacophonie.
Doré défendait la décentralisation des pouvoirs pour obtenir une plus grande démocratie. Sur papier, c’était beau; dans la bouche d’un beau-parleur comme lui, cela devenait essentiel. Pour moi, ce n’étaient que des arguments irréalistes et non pratiques. J’étais convaincu que les grands services à la population seraient bouleversés à cause du manque de planification et de direction claire et nette. Par exemple, comment déneiger convenablement et rapidement la rue Ste-Catherine qui traverse Montréal si plusieurs arrondissements sont responsables chacun d’une partie de la rue. Comment assurer que le plan d’urbanisme soit bien coordonné, que les transports soient bien intégrés, que le développement économique de Montréal soit le plus efficace possible…. En somme, on voulait désorganiser une ville qui allait très bien.
Face à l’opposition, 15 jours avant le jour de l’élection, Doré et le RCM modifièrent leur programme politique et le transformèrent en programme électoral. Ils laissèrent tomber toute la question de la décentralisation des pouvoirs et du personnel de la ville. J’en étais ravi.
Élus, Doré et le RCM changèrent les noms des quartiers pour les appeler arrondissements, mais ceux-ci n’avaient pas plus de pouvoir. Nous avions gagné cette bataille mais perdu la mairie.
Puis vint la fusion des villes, légiférée par le gouvernement du Québec, qui fit de Montréal « une île, une ville », et cela malgré tous les référendums tenus dans chaque municipalité lors desquels la population s’opposa presqu’unanimement à la fusion. Bel exemple de démocratie !
Mais les opposants à la fusion n’avaient pas dit leur dernier mot. Ils réussirent à convaincre le PM Jean Charest de tenir de nouveaux référendums sur la « défusion » dans chaque ville. C’est là que le maire Tremblay de Montréal fit son erreur magistrale. Il avait gagné la mairie de la ville fusionnée en adjoignant à son parti le RCM qui arriva avec son bagage d’idées. Parmi celles-ci, évidemment, la décentralisation des pouvoirs administratifs via les arrondissements. Voulant convaincre tous les électeurs des municipalités de l’île de Montréal de voter contre la défusion, Tremblay accepta l’idée et décida de promettre la réorganisation de Montréal en créant des arrondissements forts avec des responsabilités importantes, bien financés, un maire et des chefs de services, etc… Malheureusement, le vote de 15 des 22 municipalités fut favorable à la « défusion » et elles se séparèrent à nouveau de Montréal retrouvant leur autonomie complète. Les autres, avec l’ancienne ville de Montréal, formèrent la nouvelle « nouvelle ville ». Nonobstant cette grande déception, le maire Tremblay se vit obligé de tenir sa promesse.
Aujourd’hui, après quelques années de ce régime, tous les Montréalais reconnaissent que les arrondissements ont trop de pouvoirs et que l’inefficacité de cette structure affecte leur qualité de vie. Malgré que certains intellectuels réclament toujours cette structure au nom d’une vraie démocratie « pour obtenir le pouls de la population », les Montréalais ne veulent plus de la structure improvisée qui s’est avérée ingérable, qui a généré des gaspillages révoltants et crée une diminution de la qualité des services.
Je suis malheureux face à la situation incohérente actuelle. J’ai été un des premiers, en 1986, à combattre la décentralisation des pouvoirs à Montréal. Plus encore aujourd’hui, je crois qu’il n’y a qu’une solution pour Montréal : une île, une ville, un maire, une administration.
Claude Dupras
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