La ville de Paris a tout fait pour obtenir les Jeux Olympiques de 2012. Les dirigeants municipaux ont dépensé plus de 70 millions de $ pour faire la promotion de leur ville, mais le Comité International Olympique a choisi Londres. C’est ainsi à tous les 4 ans, les grandes villes du monde se battent férocement pour obtenir le privilège de tenir les Olympiades à l’intérieur de leurs murs.
Suite à l’Expo67, le maire Jean Drapeau avait obtenu l’estime d’innombrables personnages politiques et d’affaires dans le monde qui appréciaient sa valeur personnelle. C’est grâce à cette bonne réputation, à son dynamisme et à sa ténacité qu’il a su persuader les membres du CIO de tenir la XXIème Olympiade à Montréal en 1976. Que Montréal ait obtenu les Jeux de 1976 face à Moscou et Los Angeles, représentant les deux superpuissances, cela tient du prodige. Peu d’observateurs chevronnés du monde olympique nous accordaient la moindre chance.
Je me rappellerai toujours la fierté et le grand bonheur que j’ai ressentis le jour de l’annonce de cette décision en 1970. J’avais toujours rêvé de pouvoir un jour aller aux Olympiques pour assister, entre autres, à la cérémonie d’ouverture et à la course du 100m, et je sautais de joie de savoir que les jeux olympiques auraient lieu chez nous.
Je revois le lancement du projet du stade lorsque Drapeau fit une spectaculaire conférence de presse, à laquelle je fus invité, et qu’il dévoila la maquette et un film sur le projet dans lequel on voyait le toit être rétracté et redéposé. La centaine d’invités en étaient sortis bouche bée.
Par contre, je n’oublie pas la surprise et l’indignation qui m’avaient envahi lorsqu’à la veille de l’ouverture des Jeux, 19 pays africains décidèrent de les boycotter pour des raisons politiques même si leurs athlètes étaient déjà en grande partie rendus au village olympique. Nous ne méritions pas cet affront qui nous enleva l’opportunité de voir courir les meilleurs du monde et d’impressionnants boxeurs.
En tout, 92 nations participèrent à nos Jeux. La cérémonie d’ouverture, accompagnée de la musique d’André Mathieu, fut mémorable, la gymnaste roumaine de 14 ans, Nadia Comaneci, nous fit vite oublier l’absence des Africains, car dès le début des Jeux elle fit sensation aux barres asymétriques et obtint la perfection qui lui mérita un 10.0, une première dans l'histoire. Et ce ne fut pas le seul 10.0 qu'elle reçut. Les Jeux furent un grand succès. En reconnaissance, les Montréalais et Montréalaises se levèrent spontanément pour crier longuement leurs nombreux mercis au maire Drapeau lors de la cérémonie de fermeture lorsqu’il transmit le drapeau olympique au maire de la prochaine olympiade. J’ai vu à ce moment-là, plusieurs de mes concitoyens avec des larmes aux yeux.
Montréal et les villes voisines héritèrent d’installations sportives de grande qualité. Un très grand nombre d’entre-nous furent motivés à devenir plus actifs dans tous les sports. Un exemple fut le marathon de Montréal qui, à tous les ans, regroupait plus de 12,000 coureurs au départ sur le pont Jacques-Cartier. J’y étais, j’avais 50 ans, je courais mon premier marathon et jamais je n’aurais cru cela possible. J’ai alors compris que cette masse d’individus était stimulée, tout comme moi, par les performances des athlètes olympiques que nous avions vues.
De toutes les installations olympiques, seul le stade fut un problème dans l’esprit des Montréalais. Son coût excessif par rapport au budget initial devint un sujet de discussion. La réalité, c’est que notre stade n’était pas semblable autres stades olympiques ni à d’autres construits ailleurs dans le monde, durant ces années. En plus d’être un stade pour l’athlétisme, il avait été conçu pour répondre aux normes du baseball, du football américain et du soccer. De plus, il incorporait le centre de natation olympique, les stationnements souterrains pour des milliers d’automobiles, les liens aux métros de Montréal et une tour élevée, équivalente à 40 étages, où logeaient les mécanismes pour ouvrir le toit du stade au ciel en plus d’être pour les touristes une plateforme d’observation de Montréal.
Le maire Drapeau jugea qu’aucune firme d’architectes de Montréal n’avait l’expérience pour dessiner un tel ensemble. Afin d’obtenir le meilleur résultat possible, il décida de choisir un architecte français qui avait réalisé, avec succès, le fameux parc des Princes à Paris. C’était une décision sage.
Malheureusement, le concept de l’architecte Taillibert s’avéra très difficile à réaliser. De plus, le temps disponible pour le type de construction compliqué qu’il proposa était très court. Enfin, les syndicats des travailleurs agirent avec égoïsme et incivisme en profitant du délai fixé par la date de l’ouverture des Jeux et en imposant leur loi et leurs grèves afin d’obtenir des avantages excessifs pour leurs membres. Tout cela engendra des retards qui se transformèrent en une augmentation appréciable des coûts pour reprendre le temps perdu.
Plusieurs opposants, journalistes (comme Lysiane Gagnon, aujourd’hui) ou autres, blâmèrent Drapeau sans tenir compte des circonstances et réclamèrent une enquête. Leur indignation était injuste. Il me semblait évident que Jean Drapeau avait agi dans le meilleur intérêt de la métropole, mais réalisait probablement, jour après jour, les difficultés qui se présentaient. Regretta-t-il sa décision qui créait ces problèmes qui semblaient insurmontables? Je crois que oui, mais il ne l’a jamais laissé paraître, se réconfortant dans la pensée que Montréal hériterait d’un complexe sportif hors-pair à l’architecture belle et unique. Finalement, l’ensemble du projet se réalisa tel que prévu, sauf pour la partie haute de la tour qui ne fut pas complétée pour les olympiades. Le budget fut largement dépassé mais éventuellement comblé par le gouvernement du Québec qui créa la Régie des Installations Olympiques pour prendre charge de l’ensemble des installations pour le futur. Le mat fut terminé. Son coût et le déficit furent payés par une taxe sur les cigarettes au grand bonheur des payeurs de taxes montréalais qui s’en tirèrent bien, malgré tout.
Je me permets de penser au jour en 1968, lorsque le maire Jean Drapeau créa une taxe volontaire, sous forme de loterie, pour combler le déficit du budget municipal. C’était une première au Canada. Elle dura 19 mois jusqu’à ce qu’un jugement de la Cour Suprême la déclara illégale. Montréal perdit ainsi de gros revenus annuels et c’est le gouvernement du Québec qui en bénéficia puisqu’il créa, sur-le-champ, Loto-Québec. Si Montréal avait pu maintenir sa loterie, elle aurait pu payer pour le stade. Il était donc normal, jusqu’à un certain point, que Québec en défraie le déficit, d’autant plus qu’il bénéficiait largement de l’idée de loterie du maire.
Comme pour l’Expo 67, le maire Drapeau obtint du comité organisateur des Jeux de Montréal un grand festival populaire canadien composé d'expositions, d'art littéraire, de cinéma, de concerts, d'opéras, de spectacles et de théâtre qui se déroula du 1er juillet au 1er août 1976.
Lorsqu’un maire agit avec responsabilité et prend ses décisions dans le meilleur intérêt de tous, et que ça tourne mal, il est facile alors de devenir pisse-vinaigre. Il y en eut beaucoup à Montréal, mais jamais ni l’honnêteté, ni l’intégrité de Jean Drapeau n'ont été mises en cause.
C’est à cause des coûts du stade Olympique de Montréal que certains journalistes et adversaires politiques collent encore le qualificatif de « maire mégalomaniaque » sur Jean Drapeau. Ils semblent penser que c’était une tombola que Montréal devait organiser. Ils oublient que l’organisation des Jeux Olympiques est une très grosse affaire (Londres prévoit un coût total de $20 milliards de $, alors qu’à Montréal la note fut de 4,5 milliards de $). Ils oublient aussi que tout cet argent s’est retrouvé dans les poches de nos travailleurs, nos artistes, nos professionnels, nos entrepreneurs, nos entreprises reliées au domaine de la construction et toutes sortes d’autres domaines tels, la restauration, l’hôtellerie... Ils oublient que cette injection de capital a fait rouler dynamiquement l’économie de Montréal et d’ailleurs durant toute cette période. Ils oublient qu’une très large part de cet argent a été remise aux gouvernements de Québec et du Canada sous forme d’impôts et de taxes de toutes sortes. Non, il n’y a pas eu de mégalomanie dans la construction du stade olympique. Il y a eu un homme qui était à la hauteur de la situation: Jean Drapeau.
Nous avons été profondément touchés de recevoir les Jeux Olympiques chez nous. Nous avons eu la chance de bien recevoir tous les athlètes du monde. La qualité de vie de notre ville et de notre accueil hospitalier a été publicisée dans tous les recoins de la planète. La confirmation de Montréal comme ville internationale a été renforcie largement, et cela a été très bénéfique par la suite comme en témoignent, entre autres, la venue des Expos de Montréal et celle des floralies internationales.
Claude Dupras
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire