samedi 5 mars 2011

L’Algérie va-t-elle rater le coche ?

Après la Tunisie, l'Égypte et la Lybie, le Yémen et Bahrein qui vacillent, la liberté appelle les Algériens. L'Algérie, pays que j'aime beaucoup, m'inquiète. Je crains qu'il manque le train. J'étais à écrire un billet sur ce sujet lorsqu'un texte de l'écrivain algérien Boualem Sansal m'est tombé sous la main. Il résume très bien la situation actuelle du monde arabe, de l'Occident face aux révoltes, de l'évolution en Algérie et du pourquoi de l'hésitation des jeunes Algériens et Algériennes à faire leur propre révolution. J'ai pensé le reproduire ici, à la suite, étant donné sa qualité et sa pertinence.

Claude Dupras

L’Algérie va-t-elle rater le coche ?

"Le monde arabe de papa est mort, on se félicite chaudement. Soyons modestes, disons qu’il se meurt. Il sera fini lorsque tombera le dernier dictateur et que sera brisé ce machin absurde, l’Arabie Saoudite, club de faux princes arrogants et cruels, qui se pose en gardien de la mythique race arabe et du véritable islam, et que disparaîtra la Ligue arabe, club fantoche mais combien pernicieux avec sa vision raciale et raciste du monde. A ce stade l’affaire sera réglée, on aura arraché la racine, on tournera la page et on tentera de rattraper le temps perdu et d’échapper définitivement aux travers de ce monde : le passéisme, la folie des certitudes et l’imprécation. Et on aidera pour que meure cet autre monde, celui des ayatollahs et des talibans, là-bas en Asie. On balaie partout, ou ce n’est pas la peine.

Mais en vrai rien ne sera réglé tant que la question arabe, mélange d’islam, d’islamisme, de nationalisme, de panarabisme, de terrorisme, d’émigration, et autres ombres au tableau, hante les arrière-pensées des Occidentaux. Il faudrait aussi qu’ils cessent de penser que la démocratie et le droit leur appartiennent et qu’il leur revient de les dicter, agissant ainsi comme les princes et dictateurs arabes qui se sont convaincus que tout, la langue arabe, l’islam, son prophète, les peuples et les terres arabes, le pétrole et l’avenir du monde leur appartiennent et qu’il leur revient de convertir les mécréants ou de les tuer.

La question se pose : si le monde arabe de papa tombe, le monde arabe que les Occidentaux portent dans la tête va-t-il tomber aussi ou vont-ils le garder pour les besoins de leur vision du monde ? Le monde arabe peut-il se transformer de lui-même et échapper au scénario écrit par l’Occident ? Lui-même verra-t-il l’Occident autrement que comme un monde de mécréance et de manipulation ? Moi, je ne sais pas répondre à ces questions, sauf à dire qu’il faut en finir avec tous ces mondes qui se regardent en chiens de faïence, qui finalement n’existent que dans et par le regard méprisant de l’autre et l’échange de mauvais procédés. Ce sont des questions pour les philosophes, ils pourraient se démener et nous dire si les choses existent par elles-mêmes ou si elles ne sont que des arguments de vente qui naissent de la confrontation d’idées fausses. Il faut des philosophes courageux qui ne craignent ni les tyrans ni les fous qui mènent le monde au crash. S’il faut par exemple parler de la place de l’islam dans l’Etat et la société, ils devront le faire en toute clarté et simplicité. Y en a-t-il dans l’avion ? Il y a urgence car le diable ne dort jamais longtemps et les révolutions se dévoient comme rien. La fin des dictatures soulève des montagnes de questions existentielles.

Parlons un peu de l’Algérie. Je sais qu’on se demande ce qui se passe. L’Algérie est un pays révolutionnaire prompt à bondir, or voilà qu’il ne bouge pas. Les Algériens sont-ils déjà morts, tués préventivement ? Pourquoi ce silence, alors que de Nouakchott à Manama la bataille fait rage et que les tyrans capitulent l’un après l’autre. Même la police n’en revient pas : les 12, 19 et 26 février, jours de marches organisées par l’opposition, elle avait sorti 35 000 hommes, les meilleurs, suréquipés, gonflés à bloc, car s’attendant à un tsunami de hooligans. Et qu’a-t-elle vu ? Rien d’effrayant, un petit groupe de personnes d’âge mûr, bien mis, polis, les matraques leur en sont tombées des mains. Il faut dire que le vieux Bouteflika avait pris les devants. Cela faisait des semaines, depuis la fuite de Ben Ali, qu’il arrosait à tout-va. Ce sont des millions de dollars qui coulent du robinet jour après jour. Si on ne s’enrichit pas en ce moment avec papa Bouteflika, on ne s’enrichira jamais, c’est l’astuce du jour, elle brille au fronton des administrations, ouvertes en priorité aux jeunes, aux diplômés chômeurs, aux sans-logis, à tous les mécontents. Il a écrasé son orgueil de chef d’Etat et s’est pris d’amour fou pour ces fainéants, comme il les appelait hier. Il ne travaille que pour eux, les annonces budgétaires se succèdent à feu roulant. Le bonheur revient, la révolution recule. Le prix du pétrole grimpe, ça va, le pays ne sera pas ruiné tout de suite même si l’inflation accourt.

Est-ce tout ? Qu’en pense Toufik (1), le grand patron de l’Algérie ? Va-t-il laisser faire ? Est-il derrière les marches d’avertissement à Bouteflika ? Va-t-il le garder comme bouclier, chiffon rouge, attendre que son cancer l’emporte, qu’il démissionne ? Qu’en pense la DST en France, alliée stratégique du DRS (2), a-t-elle encore besoin de M. Bouteflika et sa concorde foireuse ? Si oui, pourquoi le terrorisme, s’étant déplacé au Sahel, ne sévit-il plus en Algérie que sur commande, comme piqûre de rappel ? Et M. Sarkozy, pourquoi le soutient-il encore (3), puisqu’il vient de dire que l’hypothèse islamiste a vécu et la Françafrique aussi ? Ne voit-il pas que l’homme est une potiche qu’on laisse jouer au dictateur pour cacher les vrais pouvoirs, les vrais enjeux ? On sait qu’Obama déteste Bouteflika et Sarkozy, mais ira-t-il jusqu’à actionner l’ANP (4), l’autre grand patron de l’Algérie, pour les sortir du jeu ?

Qui va gagner ? C’est opaque, le jeune Algérien veut savoir avant d’aller mourir dans les rues d’Alger. D’un autre côté, Tunis, Le Caire, Benghazi, Manama, Sanaa, le font rêver, les jeunes s’y battent comme des lions, il fait corps avec eux, via Al-Jezira. La révolution c’est beau, les peuples n’ont qu’elle pour exister, mais la révolution, comme les trains, n’attend pas. De ceux qui ratent la chance de leur vie, on dit ici : «Bobby les a mangés.» Bobby, c’est le chien de garde.

(1) et (2) Le général major Toufik est le patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), les services secrets, cœur battant du système politique algérien.

(3) Sarkozy avait déclaré durant la présidentielle algérienne de 2008 : «Je préfère Bouteflika aux talibans à Alger.» Il s’adressait évidemment aux généraux algériens, les faiseurs de rois, lesquels s’exécutèrent, après accord de confirmation de la CIA. Bouteflika eut son 3e mandat, avec un score de 94%.

(4) L’Armée nationale populaire, autre cœur battant du système politique algérien."

6 commentaires:

Mansour a dit…

Mansour: Je me rappelle un slogan que mon frere aine, said, me rappelait durant la periode de 1962-1978. Il ne cessait pas de me rappeler que chaque generation a le devoir et le droit a sa propre revolutionn pour construire l'avenir comme elle le concoit.

Je suis absolument sure que les nouvelles generations a travers tout le monde arabe demandent une veritable revolution politique et sociale. Le grand probleme c'est que je ne vois toujours pas la direction dans laquelle ce mouvement veut aller a long terme. On parle tous les jours de liberte d'expression, de manifestation ou d'organisation politique mais a ce jour je ne vois pas encore a travers tout le monde arabe une organisation nouvelle politique qui definit l'avenir de nos societes. Meme l'egypte et la tunisie, qui sont pratiquement a la porte d'une veritable revolution socio-politique capable de preparer les tunisiens et les egyptiens a s'armer pour se defendre dans ce nouveau monde globalise.

On parle toujours de la revolution des jeunes arabes de tunis, du caire ou de toutes les autres capitales du monde arabe, mais je ne vois pas encore la mobilisation d'au moins les universitaires tunisiens, egyptiens ou algeriens autour d'un programme bien defini, en dehors des slogans vides de liberte individuels et de lutte contre la corruption des regimes en place. Et les jeunes revoltes arabes de tunis et meme du caire se sont enfin rendu compte qu'il ne suffisait pas de ce debarrasser du president tunisien ou egyptien pour regler tous les porblemes que tout un systeme politique-affairiste ont construit depuis des decenies. Les jeunes tunisiens et egyptiens se rendent enfin compte que l'elimination d'un chef d'etat n'est pas le plus difficile. Il leur reste a s'attaquer au vrai probleme de l'organisation de la societe toute entiere pour se debarrasser des mefaits des regimes politiques qui les ont offusque depuis des generations.

Mais ce n'est pas la premiere fois que le monde arabe a eu une ocasion de prendre son destin dans ses mains et a fini par dilapider cette ocasion.Depuis des siecles le monde arabe a toujours ete en contacte etroit avec l'histoire de toute l'europe, et pourtant il a prefere se soumettre docilement au dictats colonialistes europeens plutot que de s'adapter et a l'evolution du monde europeen. Pendant plus de 130 annees l'algerie a ete en etroite relation avec la societe francaise. Mieux encore la france nous a tout de meme donne l'ocasion de nous familiariser avec la culture francaise dans toutes ses dimensions. Le mouvement de liberation national algerien a ete en fait le resultat des valeurs culturelles francaises. Nous ne nous sommes pas souleve en 1954 pour creer un etat base sur l'islam et notre passe musulman mais plutot pour etablir un etat independant et moderne, construit sur la bases des valeurs universelles que nous avons copie de la culture francaise en particulier. Mais avant meme que l'algerie ne se libere finalement du colonialisme francaise la course au pouvoir de toutes les tendances politiques du mouvemeent de liberation, le FLN, ont mene l'algerie a une guerre civile qui a dure plus d'une annee, et qui a abouti a l'installation d'un regime politique dictatoriel et surtout une culture politique diametralement opposee aux objectifs initiaux du mouvement de liberation de l'algerie.Le reste de l'histoire de l'algerie tu le connais aussi bien que moi et peut etre encore mieux.
Une fois de plus le monde arabe se retrouve devant le meme scenario politico-social. Allons nous profiter de cette nouvelle ocasion hitorique ou allons nous encore rater cette occasion.

claude dupras a dit…

Merci pour ces renseignements. Veuillez recommander à vos amis de venir commenter ce texte pour le bénéfice de mes lecteurs. Merci

Liane a dit…

Certains pays arabes ont décidé d’éliminer leur dictateur; pour cela, ils se sont révoltés et ont réussi; mais à quel prix? Est-ce une raison pour que tous les autres pays arabes suivent leurs exemples dès maintenant? Pour nous, occidentaux, le temps peut sembler propice; cependant, les Algériens veulent vraisemblablement prendre le temps de réfléchir aux conséquences, avant de courir au devant de blessures graves ou même de la mort.

JCB a dit…

Bizarre tout de même que nos médias ne parlent pas des "arrosages" de Bouteflika vers les jeunes et les pauvres, mentionnés par l'auteur de l'article, alors qu'on connaît par le menu les tentatives de même ordre de Khadafi...On aimerait savoir de quoi et de combien ils sont faits.

Mansour a dit…

Si seulement j'avais la plume de Boualem Sansal!!!!
Il définit admirablement la situation socio-psychologique de la société algérienne. Que de rêves avons-nous vécu depuis pratiquement le 5 juillet 1962 !
Avant même que le traite d'Evian ne soit enfin mis en vigueur le mouvement nationaliste algérien s'était déjà engagé dans une lutte mortelle entre deux visions diamétralement opposées de l'avenir de la nouvelle Algérie. Il y avait d'un cote des responsables nationalistes qui croyaient fermement que l'Algérie devait éviter de s'enliser dans la vie politique du moyen orient et de l'autre cote il y avait des responsables algériens qui croyaient fermement a la vision d'une nation arabe unie allant de l'atlantique au golf persique et diriges par Boumediene et surtout Ben Bella. Je n'oublierais jamais la première déclaration politique de Ben Bella après sa libération de la prison de la sante en France. Il avait crie a qui veut bien l'entendre que l'Algérie a toujours été une nation arabo-musulmane et le sera pour toujours. Il répétait constamment son slogan:" nous sommes des arabes, nous sommes des arabes"!
Le problème que je vois avec la situation actuelle en Algérie est que les nouvelles générations, et particulièrement les jeunes de la classe moyenne algérienne, sont encore plus inculte politiquement que même durant la période la plus noire de l'Algérie avec le régime de Boumediene. Juste après que Chadli avait été choisi par les services secrets militaires algérien, il avait lance un autre slogan qui reste à ce jour très attrayant aux nouvelles générations:" nous sommes pour une vie meilleure!!!" Et Bouteflika a, a ce jour, appliqué ce principe avec bien entendu tous les milliards de pétrodollars à sa disposition.
Ceci étant dit, surtout après tout ce qui se passe en Égypte, je commence a croire que même l'Algérie finira par se réveiller d'une manière violente. Le seul frein a la nouvelle révolution algérienne est le fait que la vie politique en Algérie est malheureusement dominée par le conflit entre les Kabyles et le reste de l'Algérie qui est de culture arabo-musulmane. Et tant que c'est les organisations politiques et sociales Kabyles qui sont à l'avant garde de l'appel a la révolution contre le régime actuel je ne vois pas comment nous allons voire la mobilisation de toutes les masses algériennes contre le régime, comme nous avons vu en Égypte.

Anonyme a dit…

NON L ALGERIE NE RATERA PAS LE COCHE

50 ans de gabegie / de corruption / d'injustice / d'asservillissement / d'avillissement / de mensonges / de politiques d'appauvrisement - d'abrutissement - de manipulation - de dislocation des valeurs societales ancestrales - de division - ....
30 ans d'arbitraires - de disparition forces des milliers d'algeriens - de tueries et eradications ...de genocide de region entieres qui s'etait souleves contre le regime / d'emprisonnement arbitraire des centaines d'algeriens / d'exil forces des milliers d'algeriens ( 1980 2010 )

CA SUFFIT - BASTA - BARAKAT -

Le temps de la revolte est venu

Le temps de rendre des compte est enfin arrive sur les crimes commis en 50 ans ....depassant de loin les souffrances du peuple algeriens durant les dernieres 500 ans de son existance ( 1500 a 1962)

Le temps ou le peuple s'accaparera de son territoire ( Algerie )
et de ces institutions
de gouvernances ; ou il decidera d'un nouveau pacte sociale ou la liberte - la justice - le progres seront les valeurs de la 2 eme republique qui naitra
Le 05 jullet 2011
Apres le 05 Juillet 2011 rien ne sera comme avant ( Periode sombre de l'histoire du peuple algerien )