Il y a des jours où je ne comprends pas le premier ministre du Québec, Jean Charest. Hier c’en fut un, suite au dépôt du rapport sur la question de l’exploitation du gaz de schiste par le Bureau des Audiences Publiques sur l’environnement (BAPE) du Québec, après six mois d’enquête. Ce dernier conclut ne pouvoir se prononcer scientifiquement avant d’avoir fait une évaluation environnementale stratégique (EES). Il la suggère sur le modèle de celle qui a statué contre l'exploitation pétrolière et gazière dans l'estuaire du Saint-Laurent. Le gouvernement a accepté sur le champ le rapport qui contient une centaine de recommandations.
Durant le temps de l’enquête et des audiences, la peur a saisi une majorité de Québécois et Québécoises. Au lieu de réagir politiquement, Jean Charest n’a fait que répéter que son gouvernement suivrait les recommandations du BAPE pour régulariser le développement du gaz de schiste. Il refusa les nombreuses demandes de moratoire qui fusaient de partout.
Pourtant, nous, les ingénieurs du Québec, lui avons suggéré d’élargir le mandat du BAPE afin d’inclure une évaluation EES, visant à intégrer les facteurs environnementaux à l’élaboration de politiques, de plans et de programmes publics pour l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste. J’ai dédié quatre billets de mon blog à ce sujet depuis le premier le 8 octobre 2010 dans lequel j’écrivais « le BAPE se voit confié un mandat très limité et dispose de trop peu de temps pour faire le travail… ». Je suis revenu à la charge le 23 novembre 2010 : « le mandat actuel du BAPE ne couvre pas toutes les questions à analyser…. » ; puis, le 20 janvier 2011 : « j'ai réclamé un mandat plus étendu pour le BAPE » ; et finalement le 26 février 2011 : « le mandat du BAPE n'est pas suffisamment large pour vraiment étudier cette question difficile… ».
Après avoir vu à la télé des images de robinets de cuisine débitant de l’eau enflammée, venant de la Pennsylvanie où se fait l’extraction des gaz de schiste, le peuple québécois a pris peur et s’est massivement opposé au projet. Le Parti Québécois, favorable au début, a vite viré son capot de bord pour enfourcher ce nouveau cheval de bataille contre le projet et réclamer un moratoire sans condition. Certains affirmaient que le BAPE était « une affaire arrangée » et ne croyaient pas en son objectivité. D’autres, comme les artistes, toujours très (trop) influents auprès des Québécois, ont créé un collectif pour témoigner dans les medias contre le projet malgré leur ignorance totale de ce sujet complexe. Les environnementalistes, nonobstant leurs exagérations coutumières, ont su s’exprimer précisément contre le projet. Ce concert d’opposition, ajouté à d’autres aspects politiques, a fait en sorte que la popularité de Charest est passée de 51% il y a plus d’un an à 18% aujourd’hui.
Quant au moratoire demandé même s’il n’est pas accordé c’est tout comme, puisque le temps de préparation de l’évaluation EES sera d’un peu plus d’un an, soit une « pause » suffisamment longue pour calmer les esprits et permettre à chacun d’examiner le projet et d’être bien informé pour mieux le comprendre. J’avais suggéré dans mon dernier billet un moratoire d’une année. Je suis maintenant très confortable avec la nouvelle approche qui permettra au projet d’être mieux accepté socialement.
Même si le PM Charest n’est pas un expert dans le développement des gaz de schiste, il avait à sa disposition ceux des ministères des ressources, de l’environnement et de plusieurs autres dans le gouvernement. Il pouvait sûrement, au moment où il a confié l’enquête au BAPE, savoir la possibilité que celui-ci allait réclamer éventuellement une évaluation EES. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Par après, lorsque la suggestion est venue de corps professionnels comme l’Ordre des Ingénieurs, pourquoi s’est-il obstiné pour ne pas élargir le mandat du BAPE en l’incluant ? Même si le PM a dit, dans les derniers temps, que « le projet se fera correctement ou ne sera pas fait du tout et qu’il n’y aurait aucun compromis sur la santé et l’environnement », cela n’explique pas une telle erreur de jugement politique. C’est beau d’avoir confiance dans ses capacités électorales, mais il ne faut quand même pas jouer avec le feu. C’est comme si Charest avait établi un plan d’autodestruction et qu’il le suit à la lettre.
En tout cas, avec cette « pause » sur la question du gaz de schiste qui équivaut à un moratoire et la création de l’« escouade permanente anticorruption » qui rend la demande d’une enquête sur la construction inutile, Jean Charest devrait pouvoir respirer un peu mieux. Ceux de ses adversaires qui continueront à réclamer soit un moratoire ou soit l’enquête sur la construction ne parleront que pour parler et ne seront pas crédibles.
L’exploitation de gaz de schiste peut être un atout très important pour les Québécois, si on en découvre suffisamment. Et pour le savoir, il faut explorer. On ne peut simplement et bêtement s’opposer à une telle opération lorsqu’on importe autant de pétrole polluant et qu’on peut le remplacer par du gaz naturel propre produit chez nous. Mais on ne peut non plus prendre cela à la légère, se laisser emporter par des arguments monétaires et mettre en danger nos nappes phréatiques. Il faut agir avec rigueur. Ailleurs dans le monde, on exploite ce gaz avec prudence et succès. C’est ce que nous devons viser chez nous.
Les Ardéchois et d’autres Français vivent les mêmes peurs que les Québécois. Notre effort, s’il réussit, et je crois que nous réussirons, pourra non seulement nous être profitable (on parle de dizaines de billions $ et de plus de 6 000 emplois) mais devenir en plus un exemple pour d’autres pays.
Claude Dupras
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