Duplessis est
vraiment exténué à son arrivée au chalet-hôtel en bois où il logera. Il se
repose, dort, mais se lève tôt. Il va mieux. Le 3 septembre durant
l’après-midi, alors qu’il est seul dans le salon du chalet avec Maurice
Custeau, debout, parlant à ce dernier, il ressent soudainement un malaise, sa
voix ralentit, son visage grimace, il porte la main droite vers sa tête, pivote
sur lui-même et s’effondre lourdement au sol, presque dans les bras de Custeau.
Celui-ci va vers lui mais voyant la gravité de la situation, crie à l’extérieur
pour attirer l’attention de Martineau. Le médecin est appelé. On le dépose sur
son lit et le médecin l’examine et le traite. Duplessis a fait une hémorragie
cérébrale. Martineau appelle la secrétaire du premier ministre à Québec,
mademoiselle Cloutier, pour l’aviser de ce qui arrive et lui demande de ne pas
répandre la nouvelle. Le lendemain, la presse a vent de la condition de
Duplessis et le 5 septembre, la radio rapporte la gravité de la
maladie du PM et annonce qu’il est en danger de mort. Son agonie se termine
dans la nuit du 6 au 7 septembre lorsque Maurice Le Noblet Duplessis décède.
C’est le jour de la fête du travail. Il avait 69 ans.
Le corps de
Maurice Duplessis est placé dans un cercueil que Martineau a fait venir de
Québec. Les journalistes qui sont vite arrivés à Schefferville sont témoins de
l’évènement. Le cercueil est drapé d’un drapeau du Québec et transporté jusqu’à
l’avion qui le transportera à la capitale. À son arrivée, le corps est remis à
un entrepreneur de pompes funèbres qui l’embaumera. Puis, il est porté à
l’hôtel du Parlement et placé dans la salle de l’Assemblée législative qui
devient une chapelle ardente. Plus de 100 000 personnes viennent rendre hommage
à Maurice Duplessis en une seule journée. Beaucoup de Canadiens-français sont
profondément touchés et en pleurs.
Le lendemain
matin, le corps est acheminé vers Trois-Rivières, la ville de résidence du
défunt. Il est exposé au Palais de justice où Duplessis avait plaidé comme
avocat au début de sa carrière professionnelle. Il y a tellement de monde qui
veut lui rendre hommage que le Palais de justice reste ouvert jusqu’à tard dans
la nuit. Puis, le 10 septembre, un cortège funèbre l’accompagne jusqu’à la
cathédrale l’Assomption où une messe de requiem est célébrée pour le repos de
son âme. Le cortège est ouvert par le Royal 22ième régiment et sa
fanfare dont le grand tambour résonne au rythme de pas funèbres. Des centaines
de soldats de ce régiment, avec leur haut chapeau en poil d’ours, longent le
parcours de la procession funèbre et aident ainsi à retenir la foule. Le PM du
Canada John Diefenbaker dirige les centaines de dignitaires, ministres et
députés de l’Union Nationale et du Parti progressiste-conservateur du Canada et
autres, habillés en redingote et chapeau haute forme, qui suivent le long
corbillard noir de marque Cadillac, entouré de dix policiers de la police
provinciale dans leur costume d’apparat et leur casque blanc de style police
britannique avec pointe métallique sur le dessus. Quarante-six landaus qui
portent 1 600 tributs floraux suivent. Plus de 60 000 personnes longent les
rues et sont venues dire un dernier adieu à ce personnage qui a été pendant 32
ans député de Trois-Rivières et qui a tant marqué la politique au Québec. Les
policiers transportent la bière de la dépouille de Duplessis à l’intérieur de
la cathédrale.
Les québécois
sont venus en grand nombre pour être présents aux funérailles de Maurice
Duplessis. Plusieurs sont arrivés tôt le matin à Trois-Rivières, en auto,
longtemps avant que ne débutent les funérailles. Ils s’approchèrent de la
cathédrale le plus possible et malgré que la majorité des sièges aient été
réservés pour les dignitaires et la population trifluvienne, plusieurs
trouvèrent moyen d’entrer dans la cathédrale et assister à la cérémonie
religieuse debout à l’arrière du lieu saint. Ils en restèrent marqués
longtemps.
Après les
funérailles, le cortège se reforme et marche vers le cimetière Saint-Louis où
le cercueil de Maurice Duplessis sera enterré dans le lot familial qui domine
la ville, près de son père et de sa mère. Dès la fin de la cérémonie, plusieurs
se sont vite rendus au cimetière afin d’être témoins de l’inhumation. Ils sont
agglutinés près de la grande croix blanche qui marque le lot de la famille
Duplessis. Personne ne s’objecte à leur présence et ils deviennent des témoins
privilégiés de l’enterrement de leur idole auquel assistent le PM Diefenbaker,
les anciens ministres de Duplessis, de nombreux évêques et prêtres, trois
célébrants, leurs deux enfants de chœur et huit policiers de la police
provinciale qui ont transporté la bière couverte du drapeau du Québec jusqu’au
lieu de l’inhumation et qui demeurent au garde-à-vous près d’elle. Au dernier
moment, ils enlèvent et plient respectueusement le drapeau québécois et
descendent le corps de Maurice Duplessis au fond de la fosse. Le cercueil est
en métal gris.
Le drapeau
qui avait couvert le cercueil de Maurice Duplessis de Schefferville à Québec et
qui avait été conservé par mademoiselle Cloutier, la secrétaire personnelle de
Duplessis, sera remis par elle, en 1971, à l’abbé Pierre Gravel qui fut un
propagandiste acharné de la reconnaissance officielle, à Québec, du drapeau
fleurdelisé et qui conserva une immense gratitude envers Maurice Duplessis pour
sa proclamation du 21 janvier 1948.
Maurice le Noblet Duplessis a marqué son époque. Bon
politicien, il est demeuré 18 ans au pouvoir, la plus long règne de tous les
premiers ministres du Québec. Cette longue période a créé de profondes frustrations
chez ses adversaires qui avaient aussi le goût du pouvoir. Ils n’ont pas manqué
de salir sa réputation, le traitant de dictateur, de corrompu, de tyran, de
vendu à l’Église catholique, sans mœurs électorales… et cela malgré qu’il
gagnait toujours ses élections avec de fortes majorités. On le disait dépassé,
manquant d’initiative, malgré qu’il ait modernisé le Québec, payé sa dette et
bien défendu son autonomie politique.
Sa contribution majeure pour le Québec et le Canada fut
ses batailles pour l’évolution des relations fédérales-provinciales. Les débats
qu’il a gagnés et les gains qu’il a obtenus ont permis au Québec de maintenir
son destin, issu de son passé. Alors que le Canada et les Canadiens hors-Québec
voulaient réviser radicalement le pacte confédératif qui a créé le pays,
Duplessis à résisté totalement.
Le parti libéral du Québec de son époque cautionnait les
politiques fédérales et les interprétations de la constitution et du
fédéralisme canadien par les Saint-Laurent, Trudeau et autres. Ce parti
accusait Duplessis de manque de collaboration avec Ottawa. Durant ses années de
pouvoir, lors de la deuxième guerre mondiale, le parti libéral du Québec avait
cédé au fédéral, entre autres, le contrôle des impôts directs,
l’assurance-chômage… L’avocat Duplessis, de retour au pouvoir, put rétablir les
positions du Québec à cause de ses connaissances légales et des perspectives
juridiques en découlant. Ces qualités sont fondamentales pour un premier
ministre québécois dans un pays comme le Canada qui a une constitution
confédérale. Malgré cela, le parti libéral dans l’opposition continuait de
dénoncer ce qu’il qualifiait de négative, l’attitude de Duplessis face à
Ottawa.
Duplessis descendait d’une famille de juristes,
conservateurs en politique, dont les traditions historiques et juridiques
venaient des Pères canadiens-français de la Confédération. Les prédécesseurs de
Duplessis, aussi des avocats comme le libéral Alexandre Taschereau, le libéral
Lomer Gouin, le conservateur Arthur Sauvé défendaient tous
« l’autonomie provinciale » et s’opposaient à ce qu’Ottawa
intervienne dans ce champ d’activités qui permet au peuple canadien-français du
Québec de s’administrer le plus possible lui-même.
Duplessis connaissait bien l’histoire du Québec. Il
n’était pas séparatiste. Par contre, il n’acceptait aucunement de nouvelles
définitions des clauses protectrices des droits du Québec dans le pacte
constitutionnel. Il a même affirmé devant ses collègues, premiers ministres des
autres provinces, qui l’accusaient d’être un obstacle à l’évolution du
Canada : « Si l’on considère la
présence du Québec au sein de la confédération comme un obstacle, nous sommes
prêts à nous retirer ».
Duplessis savait comment ses ancêtres avaient combattu le
roi d’Angleterre qui voulait angliciser et « protestantiser » la
Nouvelle-France. Il savait que leur résistance avait résulté dans l’Acte de
Québec de 1774 qui créa la province de Québec et restaura à ses habitants le
droit de garder sa langue, ses institutions et sa religion dans l’Empire
britannique. Cet acte fut des plus importants quant aux droits des peuples dans
le monde car il censura le roi qui avait pris pour la Nouvelle-France une
initiative personnelle contraire au droit international de l’époque selon
lequel un peuple civilisé conquis ne pouvait être privé des institutions et des
lois qui lui sont propres. Puis, la création du Haut-Canada anglais et du
Bas-Canada catholique et français a maintenu le statuquo. Plus tard, la
réunification des deux Canada créa un conflit de relations entre les deux
groupes linguistiques qui se régla par un arrangement cahoteux de double
majorité et finalement par la Confédération de 1867.
Duplessis était familier avec le débat qui mena à la
Confédération. Londres, qui voulait régler les conflits, avait permis au Québec
de conserver ses coutumes, ses traditions ancestrales et ses institutions
particulières. Le gouvernement anglais restaura la province de Québec à ses
frontières de 1791 et créa une fédération qui permettait le partage des
pouvoirs entre un gouvernement central et des provinces. À cause du Québec, les
pouvoirs aux provinces étaient indispensables pour qu’un peuple puisse s’administrer
lui-même avec ses lois et ses institutions fondamentales. Et les pouvoirs du
gouvernement central et de ceux des provinces sont exclusifs.
Suite :
Duplessis (7) : La commission royale d’enquête Salvas
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5 commentaires:
Maurice Duplessis a conduit le Québec où il est aujourd'hui, où la majorité des canadiens-français,
est chez elle et où les autres nationalités y vivent en paix.
Je te sens un tant soi peu admiratif!!
Nos nationaleux gauchisants ont effectivement réussi à occulter l'histoire
Bravo Claude
A++
M
C'est un beau résumé. Je me rappelle d'avoir assisté à la cathédrale
aux funérailles de M.Duplessis Bonsoir
Bonjour Claude,
Ce jour-là, j'étais en route vers Montréal.
Je revenais de passer le week-end de la fête du travail à Saint-Joseph-de-la-Rive.
À l'annonce de la mort de Duplessis, il y avait partout, un grand silence.
Funérailles de Duplessis....funérailles de Parizeau.....
Changements dans les coutumes : Duplessis avait 46 landaus de fleurs.....Parizeau aucun...
Beau texte. Merci.
Jacques
Bonjour Monsieur Dupras,
J'ai apprécié la finesse et la qualité de votre texte, comme des autres que vous avez écrits sur Maurice Duplessis. L'homme mérite d'être mieux regardé par nombre de ses contemporains.
C'est dans cette optique que la ligue de débat canadien organise en vue du 6 février prochain le procès de Maurice Duplessis, je souhaitais donc vous en faire part au cas où cela vous intéresserait. Dans le lien ci-dessous, vous trouverez les détails:
https://www.facebook.com/events/165518353817540/
Bonne journée Monsieur Dupras et encore merci pour ces textes inspirants.
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