mercredi 3 juin 2015

Duplessis (4) : l’impôt provincial

En 1953, Duplessis crée une commission royale d’enquête dirigée par le juge Thomas Tremblay dans le but d'étudier «le problème des relations fédérales-provinciales au Canada du point de vue fiscal, dans le cadre de la lutte menée par Québec contre la politique centralisatrice d’après-guerre du gouvernement fédéral ». Le rapport de la Commission est déposé le 14 janvier 1954 et le ministre provincial des finances du Québec, Onésime Gagnon, suite à une des recommandations, propose un impôt de 15 % sur le revenu des contribuables. Au dépôt du projet de loi, Duplessis commente cette décision: « Nous voulons faire plus pour nos universités, nos maisons d’enseignement secondaire, bref, pour l’éducation en général. Nous voulons faire plus encore pour venir en aide à nos hôpitaux, pour ajouter à la généreuse contribution du gouvernement aux frais considérables de l’Assistance publique. Nous voulons multiplier les hospices pour les vieux et les vieilles. Somme toute, c’est notre intime désir de compléter et de perfectionner les initiatives nombreuses dans le domaine provincial, en général et spécialement au sujet de la santé publique, de l’éducation et de la législation sociale… ».
Au début des discussions au conseil des ministres, Duplessis est hésitant à voter cet impôt. Le gouvernement du Québec demandera au gouvernement du Canada de le déduire de l’impôt fédéral. Si Ottawa refuse, les citoyens du Québec subiront une double taxation et il est possible alors que la mise en place du nouvel impôt ne soit pas une décision populaire. Les discussions sont longues. Finalement, suite au consensus des ministres et se fiant à son flair de politicien aguerri, Duplessis prend la décision. En général, elle est bien accueillie par le public malgré que Saint-Laurent, lors de son premier commentaire publique, affirme que les payeurs de taxes du Québec devront subir la double taxation et que cela est la faute de Duplessis et de l’Union Nationale.
De leur côté, les nationalistes sont heureux de cette loi car ils croient qu’elle favorise grandement l’autonomie du Québec. Plusieurs la qualifient de geste historique. 
La constitution canadienne attribue aux provinces la compétence de lever un impôt sur le revenu des particuliers. Ce fut le cas jusqu’en 1942 au moment où le premier ministre Godbout du Québec céda temporairement ce droit au gouvernement fédéral pour lui permettre de financer l’effort de guerre. La guerre est terminée et Duplessis, de retour au pouvoir, veut revenir à la case de départ mais rencontre une forte contestation de la part du gouvernement fédéral. Saint-Laurent défend l’idée que dorénavant les provinces se financent par des subventions fédérales. Il présente comme normale et inévitable cette dépendance du Québec. Les intellectuels fédéralistes partagent ce point de vue, mais les intellectuels nationalistes, par la bouche des journalistes André Laurendeau, Pierre Laporte, Gérard Filion et l’historien Michel Brunet, ne sont pas d’accord avec la position de Saint-Laurent. Le parti libéral du Québec de Georges-Émile Lapalme, qui est ni plus ni moins qu’une succursale du parti libéral fédéral, s’oppose totalement à l’instauration de cet impôt (ce sera une grande erreur). Jean Lesage, ministre fédéral, également. Il semble qu’Ottawa n’acceptera jamais et que Duplessis est en train de jouer sa carrière et le pouvoir.
La loi no. 43 est adoptée en trois lectures, le 24 février 1954.
Le débat pour l’obtention de la déduction s’éternise et Duplessis marque des points sur la place publique. Il explique l’importance d’être « maîtres chez nous » en fiscalité et affirme que la centralisation des impôts peut entraîner la centralisation politique. Il martèle sans cesse l’importance pour le Québec de se financer et d’exercer ses propres pouvoirs dans les domaines de sa juridiction constitutionnelle. « Je veux un gouvernement par le Québec, pour le Québec et à Québec ». Saint-Laurent, furieux, est convaincu que le gouvernement fédéral peut changer seul la constitution du pays lorsqu’il s’agit des pouvoirs de sa juridiction exclusive et menace Duplessis de le faire. Il ne se sent aucunement obligé de consulter les provinces et bénéficie de l’appui de Londres dans cette position. Duplessis rétorque que c’est anticonstitutionnel et montre son profond désaccord. Le débat s’échauffe et pour se montrer bon joueur, Saint-Laurent propose une déduction de 5 %, mais Duplessis refuse car il veut la pleine déduction.
Finalement, reconnaissant que sa fermeté génère des conséquences politiques, Saint-Laurent communique avec Duplessis pour fixer une rencontre à huis clos. Elle a lieu le 5 octobre 1954 à l’hôtel Windsor de Montréal. Saint Laurent annonce à Duplessis qu’il est prêt à reconnaître le droit du Québec de percevoir des impôts sur le revenu des particuliers à condition que ce dernier retranche du préambule de sa loi d’impôt la mention de priorité du Québec dans ce domaine. Saint-Laurent veut conserver la primauté du fédéral sur la perception des impôts. Duplessis accepte. Saint Laurent baisse le taux de taxation fédéral de 10 %, l’équivalent fédéral de la taxe de Duplessis et les citoyens du Québec ne seront pas pénalisés fiscalement par rapport aux citoyens des autres provinces. Trudeau, à l’encontre des intellectuels fédéralistes et des libéraux provinciaux et fédéraux, est satisfait, car la solution trouvée ne nécessite pas d’amendement constitutionnel et l’appuie à la surprise de tous.
Duplessis vient de gagner une bataille qui profitera non seulement au Québec mais à toutes les provinces canadiennes. C’est une des belles victoires de sa carrière politique sinon la plus belle à ce jour. Il a fait reculer les centralisateurs. Forts du précédent créé, les gouvernements futurs du Québec réclame, 28 % en 1967 et aujourd’hui près de 50%. De plus, le Québec a remboursé totalement sa dette. Cette situation permettra de financer les grandes réformes de la « révolution tranquille » et d’obtenir éventuellement que la province se retire de plans conjoints proposés par le fédéral et obtienne des abattements d’impôts pour financer ses propres régimes de santé et d’éducation.
Pendant ce temps au Québec, le débat sur la démocratie tourne autour de deux autres lois de Duplessis, adoptées au début de 1954 et qui font croire au lien entre nationalisme et antisyndicalisme. La loi 19 permet la « décertification » de syndicats ayant toléré la présence de communistes dans leur direction. La loi 20, de son côté, prévoit une « décertification » pour tout syndicat qui déclencherait une grève dans les services publics. Elles sont rétroactives à janvier 1944. Ainsi, l’Alliance des professeurs de Montréal est « décertifiée ». Gérard Picard dénonce « l’hostilité concentrée dont les travailleurs du Québec sont victimes ». Malgré que plusieurs se demandent comment un syndicat catholique peut s’opposer à un gouvernement catholique, une partie du clergé, après Monseigneur Charbonneau, manifeste une ouverture à l’endroit du syndicalisme catholique. D’autres comme les sœurs de la Providence qui ont des rapports difficiles avec leurs infirmières syndiquées soutiennent Duplessis. Deux abbés, Dion et O’Neill, préparent un long dossier sur les principes chrétiens de la démocratie. Pour eux, l’arbitraire n’a pas de place en démocratie car tous sont soumis à la loi et les gouvernants n’ont le droit ni de faire des lois, ni d’administrer la chose publique à leur guise. Ils dénoncent aussi les mœurs électorales et affirment « qu’aucun catholique lucide ne peut être indifférent face au déferlement de bêtises et d’immoralité que l’on constate durant les élections ». Les antiduplessistes ont de nouvelles flèches à leurs arcs.
Durant ces mêmes années, le contexte social est difficile à Montréal. La charité publique se divise inégalement entre les Canadiens français, les Irlandais, les anglophones, les Juifs et les Anglais protestants. C’est chacun pour sa poche (Centraide n’existe pas).
Au niveau scolaire, les entreprises peuvent payer leurs taxes soit au niveau protestant soit au niveau catholique. Ils ont le choix. Mais comme les Canadiens anglais contrôlent les affaires et les grandes entreprises, ce sont les commissions scolaires protestantes qui sont les plus gâtées. Par conséquent, les enseignants des écoles anglophones gagnent beaucoup plus que ceux des écoles francophones. Ces derniers sont majoritairement des sœurs et des frères de communautés religieuses ou des filles célibataires. Les paroisses catholiques à Montréal se multiplient comme des lapins suite à l’immigration rurale à laquelle s’ajoutent les nouveaux immigrants européens qui commencent à arriver au pays. En plus des logements, des églises et des écoles qui se construisent partout, on voit surgir de nouvelles caisses populaires et de grandes épiceries Steinberg. Les nouvelles écoles pullulent dans les villages et dans les rangs. Duplessis construit ! Les enseignantes qui sont fortement majoritaires et les enseignants doivent apprendre leur métier durant deux ans à l’école normale de leur région qui est dirigée généralement par les communautés. Ceux et celles qui veulent enseigner à l’université doivent suivre des cours d’été à l’U de M. Ce sont surtout de nombreuses sœurs qui se préparent pour l’école du haut-savoir au point que le campus a des airs de couvent.
Les écoles supérieures (secondaires) sont rares et ne débouchent pas aux études collégiales et universitaires. Par conséquent, les élèves de ces écoles ne persistent pas et quittent prématurément les études. De leur côté, les collèges ne manquent pas. Il y en a plusieurs qui sont classiques où étudient les jeunes de l’élite et qui sont utiles pour le recrutement des prêtres, d’autres scientifiques et commerciaux comme le Mont-Saint-Louis et ceux qui donnent le cours secondaire comme le Collège Notre-Dame.
Au point de vue de la santé, les spécialités médicales se multiplient dans les hôpitaux, tout comme celles des nouvelles technologies et ceux-ci se voient obligés d’augmenter leurs tarifs. Comme il n’y a pas d’assurance maladie, la population, qui n’est pas protégée de l’inflation, a une difficulté croissante à payer les nouveaux frais. Elle s’irrite et met en cause les communautés religieuses qui contrôlent les hôpitaux. La situation devient scandaleuse, lorsque les sœurs exigent des patients de faire la preuve de leur capacité de payer avant l’admission à l’hôpital. Les classes populaires accusent les sœurs de faire des affaires au lieu de la charité.
Le gouvernement de Louis Stephen Saint Laurent, en fin de mandat,  proposa en 1957, à la Chambre des communes, l’acte d’ « Assurance hospitalisation et de services diagnostiques » qui fut adopté unanimement par les députés. Et cela grâce à la vision et aux efforts du chef du parti socialiste Tommy Douglas, député de la province de Saskatchewan. Le PM libéral Lester Pearson étendra l’acte pour en faire un programme universel de santé publique en 1966.
Le taux de natalité commence à baisser à cause de ces problèmes et du fait que la très grande majorité des travailleurs francophones et des nouveaux arrivants de la métropole sont locataires et vivent dans de petits logements vieillissants. Quant à la classe moyenne qui se loge dans des maisons de la banlieue, elle fait son choix entre de nouveaux enfants ou avoir son nouveau standard de vie qu’elle aime. Les curés perdent leur emprise sur les femmes.
La modernité s’en vient.
 

Suite :  Duplessis (5) :  Autonomie… autonomie

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