Le jour de l’élection fédérale de 1945, les
Libéraux remportent 122 sièges, une grande victoire pour King. La représentation libérale du Québec à Ottawa
comptera 46 députés, dont Louis Stephen Saint-Laurent, Jean Lesage,
Georges-Émile Lapalme, Sarto Fournier. Il y aura aussi 7 libéraux indépendants.
Le Bloc Populaire canadien fait élire 2 députés dont son chef Maxime Raymond.
Il y a 7 indépendants. Fred Rose est le seul député du parti communiste. Les
progressistes-conservateurs n’ont aucune représentation au Québec. Ce fut une victoire
surprenante au Québec pour King car, à la fin de 1944, il avait décidé
finalement d’avoir recours à la conscription
obligatoire malgré sa promesse du début de la guerre. Heureusement pour
lui, cette dernière pris fin quelques mois plus tard alors que seulement 2 500
conscrits avaient été envoyés au front sur les 16 000 enrôlés de force.
Le deuxième mandat de l’Union Nationale de Maurice
Duplessis prend fin. La prochaine élection est prévue pour le 28 juillet 1948.
Adélard Godbout est de nouveau à la tête des Libéraux.
Selon une tradition en devenir, Duplessis lance sa
campagne à Trois-Rivières où Duplessis résume ses réalisations : création
de l’Office de l’électrification rurale et du Département des Ressources
naturelles, refus de renouveler l’entente fédérale-provinciale sur le droit de
taxation sur le revenu (cédé par Godbout en 1945), ouverture du Grand Nord
québécois et lancement de l’exploitation minière de l’Ungava, création du
ministère du Bien-être social et de la Jeunesse, prise de possession par
l’Hydro-Québec de la Montreal Light Heat and Power, loi visant la
réhabilitation des jeunes délinquants, loi établissant le crédit urbain à
l’habitation, loi abolissant les appels au conseil privé de Londres.
Et, Duplessis est également très fier d’avoir fait
adopter le Fleurdelisé comme drapeau officiel du Québec.
Il parle de ses réalisations dont les nombreuses
routes qu’il a ouvertes et pavées, les nouvelles universités, les 1,500
nouvelles écoles; les écoles d’agriculture, de médecine vétérinaire, de
l’automobile, du meuble, des mines, des pêcheries, du commerce, des arts
graphiques et de papeterie; d’innombrables hôpitaux, des centaines de
sanatoriums contre la tuberculose; de l’augmentation du pourcentage
d’habitations rurales électrifiées, de la croissance de l’économie et de la
dette publique qui a été substantiellement réduite. Il estime préférable que la
province n’ait pas trop de dettes si elle veut combattre les politiques
centralisatrices du fédéral et résister à ses pressions. Finalement, il
s’affiche comme le grand défenseur de l’autonomie provinciale dans le respect
de la constitution canadienne, face à l’ogre fédéral qui veut s’emparer de
tout.
La Loi sur la citoyenneté canadienne précisant
qu’elle est distincte de la citoyenneté britannique prend effet. Par ailleurs
Fred Rose, le député communiste de Montréal-Cartier, est expulsé de la Chambre
des Communes à la suite de sa condamnation pour espionnage en faveur de l’Union
Soviétique.
Au Canada, Mackenzie King sait que le temps est
venu de démissionner, après 21 ans et 6 mois à la tête du pays. C’est un moment
qu’il a prévu depuis le jour où il a invité le renommé avocat de Québec Louis
Stephen Saint-Laurent, alors âgé de 60 ans, à briguer les suffrages en 1942
pour remplacer Ernest Lapointe, son lieutenant du Québec, tout juste décédé.
Avec sa logique rationnelle, sa connaissance
profonde des lois et son dédain pour les intrigues politiques, Saint-Laurent
s’attire le respect de King et même de l’opposition. Il aide le premier
ministre à bien traverser la crise sur la conscription, collabore à
l’établissement des Nations-Unies, s’assure que le Canada joue un rôle
indépendant de la Grande-Bretagne et du Commonwealth et place le Canada dans un
rôle d’intermédiaire dans les affaires internationales. En 1948, il planifie
prendre sa retraite, prévue depuis longtemps, lorsque King lui annonce qu’il
veut démissionner et le persuade d’être candidat à la chefferie du parti
libéral, lors du congrès du mois d’août, pour le remplacer.
Élu, Louis Stephen Saint-Laurent devient Premier
Ministre du Canada, le 15 novembre 1948. Il est le deuxième Canadien français
dans l’histoire du pays à remplir ce poste.
Depuis qu’il est premier ministre du Canada,
Saint-Laurent s’occupe particulièrement, suite à la guerre, à donner au pays un
rôle de plus en plus grand sur le plan international. Il appuie la politique
américaine pour la guerre de Corée et y envoie des troupes. Contrairement à la
réticence de King à joindre une alliance militaire, Saint-Laurent rallie le
Canada à l’OTAN. Il est parmi les plus ardents supporteurs du premier ministre
anglais Clement Atlee pour transformer le Commonwealth britannique d’un club de
dominions blancs à un partenariat multiracial et ceci contre le gré d’une
majorité des autres chefs blancs. Il propose que le roi Georges VI devienne la
tête du Commonwealth afin de maintenir une association internationale avec
l’Inde, en devenir d’être une république indépendante. Pour continuer dans la
veine de ces décisions fondamentales pour l’avenir du Canada, Saint-Laurent
recherche une légitimité électorale et appelle aux urnes les Canadiens pour une
élection générale le 27 juin 1949.
Le soir des élections, Saint-Laurent remporte une
victoire éclatante avec 190 sièges contre 41 pour George Drew, 13 pour le CCF,
10 pour le Crédit Social de Solon Low de l’ouest et 4 indépendants. Les
progressistes-conservateurs demeurent dans l’opposition et Drew sera le chef de
l’opposition officielle. Au Québec, les libéraux font élire 68 députés dont
Jean Lesage, Georges-Émile Lapalme, Sarto Fournier et Gaspard Fauteux. Quant à
eux, les conservateurs ont deux députés, Léon Balcer dans Trois-Rivières et
Henri Courtemanche dans Labelle. Trois indépendants sont élus dont Camilien
Houde dans Papineau.
Ailleurs, Adrien Arcand, le fasciste qui s’était
déclaré le führer canadien dans les années ’30 et 40 alors qu’il menait un
mouvement d’extrême-droite, obtient 29 % des votes dans le comté de
Richelieu-Verchères. Comment expliquer que les Canadiens français votent ainsi
après le désastre mondial causé par les nazis ?
Le thème principal des discours et le cheval de
bataille de Duplessis sont l’autonomie provinciale. Depuis que sa demande de
récupérer l’assurance-chômage et les impôts directs a été rabrouée par Ottawa
(position appuyée par Londres), il ne manque jamais une occasion pour souligner
« l’espoir qu’il serait possible d’en arriver à une entente
fédérale-provinciale capable d’assurer à chaque gouvernement une répartition
équitable et appropriée des pouvoirs financiers et fiscaux ». En 1947,
le cabinet des ministres décrète un impôt sur le revenu des corporations. Il
dénonce le gouvernement centralisateur d’Ottawa qui agit dans les domaines de
compétence provinciale. En 1951, il refuse les subventions du fédéral aux
universités du Québec afin de l’empêcher d’intervenir dans le domaine de
l’éducation.
De nouvelles élections provinciales sont
déclenchées pour le 16 juillet 1952 et l’Union Nationale dévoile son slogan:
« Laissons Duplessis continuer son œuvre ». Fidèle à sa coutume,
l’Union Nationale ne présente pas de programme politique officiel. En plus du
sujet de l’autonomie, Duplessis parle des thèmes qui démontrent ses
préoccupations : hôpitaux, développement industriel, lois sociales,
routes, logements etc… et promet d’y travailler. Il aime le traditionalisme,
glorifie l’agriculture, la famille, l’épargne et l’entreprise privée. Il n’aime
pas le communisme car il le voit comme athée et opposé à l’effort individuel et
au sens d’entreprise qu’il reconnaît chez les Canadiens français. Duplessis
aime souligner les réalisations de l’Union Nationale : le crédit agricole,
l’électrification rurale à 98%, l’assistance sociale, les subventions et la
construction d’innombrables hôpitaux, de sanatoriums, la création du ministère
du Bien-être social et de la Jeunesse, les milliers d’écoles élémentaires et
supérieures (une nouvelle école par jour en moyenne depuis sa venue au pouvoir),
les universités avec l’accent sur les facultés des Sciences et le génie, les
centaines de ponts, les 9,000 kilomètres de chemins pavés à ce jour et le
développement minier du Nouveau-Québec. Il ne parle pas évidemment du patronage
aux amis du parti mais souligne l’avantage pour les électeurs de « voter
du bon bord » dans leur comté. Si l’art oratoire est la faculté de
convaincre, Duplessis est un bon orateur.
En 1953, Duplessis forme une commission d’enquête
sur les problèmes constitutionnels, sous la présidence du juge en chef Thomas
Tremblay, en rappelant : « ..la province de Québec était la
première province du Canada, peuplée par les pionniers du Canada. Si vous
croyez que nous avons été un obstacle au progrès, nous sommes prêts à nous
retirer. La province de Québec est capable de vivre et de se suffire à
elle-même ». A Saint-Laurent qui réplique en attaquant férocement le
gouvernement du Québec, Duplessis souligne « qu’aucun politicien
anglais n’a osé affirmer que le Québec n’était pas différent du reste du
Canada. Il a fallu un compatriote pour le dire ! Affiliation : jamais !
Abdication des droits fondamentaux : jamais ! Substitution des subsides
fédéraux aux pouvoirs essentiels de taxation : jamais, jamais ! Contrôle
direct ou indirect d’Ottawa sur nos écoles : jamais ! Sur nos
universités : jamais ! Sur notre enseignement secondaire : jamais ! ».
La bataille n’est pas facile car les universités ont un grand besoin d’argent.
Mais il résiste. C’est la même situation dans d’autres domaines comme celui du
réseau routier.
Au Québec, les emplois sont stables, la semaine de
travail est maintenant de 40 heures et les vacances sont payées. Le domaine des
pâtes et papiers croît rapidement et cela favorise l’économie des régions où se
trouvent ces industries. On dénombre une moyenne de 100 000 naissances par an
et grâce à l’amélioration des services médicaux, bien gérés par les communautés
religieuses, le taux de mortalité infantile diminue appréciablement. Les
immigrants sont nombreux et viennent de l’Europe occidentale mais cela ne
change pas le pourcentage de Canadiens français qui demeure à 80 %. L’agriculture
connaît une formidable modernisation et un essor remarquable grâce aux lois de
Duplessis sur l’électrification rurale et l’Office des marchés agricoles. En
quatre ans, la télévision est présente dans plus de la moitié des foyers. Le
secteur automobile touche des sommets jamais atteints.
Tout est beau au Québec, sauf si on le
compare à l’Ontario. Là, les salaires sont supérieurs de 27 %, les services
publics et le réseau électrique mieux gérés, le nombre d’écoles plus élevé, le
système de santé nettement mieux équipé. La raison : des ressources
financières plus vastes. Plus tard la Commission royale d’enquête sur le
bilinguisme et le biculturalisme fera état, entre autres, de salaires moindres
chez les gens qui maîtrisent deux langues comme au Québec au lieu d’une comme
en Ontario.
suite: Duplessis (3): les antiduplessistes.... à venir
3 commentaires:
1945, Mackinzie King, Duplessis 2, Louis St-Laurent: La guerre, mon enfance, nous
demeurions près du port de Québec. « La conscription » j’ai vu des matelots soldats partir.
J’ai eu peur, je me souviens un peu du rationnement alimentaire et m’être réfugié chez des
inconnus au son d’une sirène (la peur des allemands).
Je suis émotif, fébrile. L’inconscience peut-être explique Freud.
C’était hier, que le temps passe vite.
À la TV nous regardons encore Le temps d’une paix et Cormoran.
Gilles Jean, 28 mai 12h25
"Voilà l’échec historique du référendum de 1980, celui de 1995 n’étant au plus qu’un remake du premier, une sorte de malheureuse consécration.".
Il ne faut pas oublier un évènement majeur dont se souvient, sûrement, le conservateur Claude Dupras : Meech. Il y eut Meech 1(1987) puis Meech 2 (1990).
Le Québec acceptait d’entrer dans cette fédération qui devait être une CONfédération.
Le fameux discours de Sept-Iles dans lequel Mulroney promet "le retour du Québec dans le giron constitutionnel dans l’honneur et l’enthousiasme" (1984).
Cherchez "l’honneur et l’enthousiasme" en 2015 !
Marcel Haché, 28 mai 06h01
Duplessis souligne « qu’aucun politicien anglais n’a osé affirmer que le Québec n’était pas différent du reste du Canada. Il a fallu un compatriote pour le dire !
C’est pour la même raison qu’il fallait que ce soit un des nôtres qui pousse au rapatriement de la constitution canadienne contre la province de Québec, en définitive contre Nous. Et c’est encore pour la même raison qu’il faut que ce soit un des nôtres qui pousse éventuellement pour que le Québec se rallie à cette constitution inamendée de 1982. Voilà l’échec historique du référendum de 1980, celui de 1995 n’étant au plus qu’un remake du premier, une sorte de malheureuse consécration.
Il faut bien voir la filiation : il n’y a véritablement que l’électorat du West Island qui est d’avance acquis à pareil ralliement pour cette raison précise que c’est cet électorat qui a été le fer de lance du rapatriement lui-même.
St-Laurent, Trudeau,Couillard, même combat...
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