C’est une autre triste histoire que celle de l’église patrimoniale du Très-Saint-Nom-de-Jésus, de l’est de Montréal, construite par la fabrique, il y a cent ans, sur le terrain de la première chapelle de la paroisse. C’est une œuvre d’art global. Elle fut fermée au culte en 2009 et l’archevêque veut vendre le bâtiment à des promoteurs qui pourraient la démolir et la remplacer par des unités d’habitation ! Son contenu sera alors éparpillé.
Superbe église créée et dessinée par les architectes Albert Mesnard et Charles-Aimé Reeves, on disait alors qu’elle était la cathédrale (même si elle n’en était pas une) de l’Est de Montréal à cause de ses 5 000 m. ca., de sa taille et de la richesse de sa finition. Elle fut financée et construite par plusieurs générations de paroissiens et paroissiennes, souventes fois à la sueur de leur front. Pendant plus de 100 ans, ces derniers y furent baptisés, y pratiquèrent les rites de leur religion, s’y marièrent, y sont venus pour saluer une dernière fois leurs chers disparus et organisèrent dans son grand sous-sol, foyer d’une vie collective riche en activités de toutes sortes, leurs fêtes, leurs rencontres, leurs loisirs et ceux de leurs enfants.
Si la décision de l’archevêché est réalisée, il ne restera bientôt plus de trace de la fierté et de la foi des braves gens qui ont fait cette paroisse. Un autre repère dans notre mémoire collective disparaîtra.
J’ai bien dit un objet d’art global, car cette église n’est pas seulement une oeuvre architecturale importante et imposante, mais elle était aussi, plus globalement, un lieu d’exposition, un musée où l’on peut admirer le travail de nos meilleurs artisans d’autrefois : ébénistes, ferronniers, vitriers, sculpteurs, staffeurs, peintres, facteurs d’orgues, fondeurs de cloches, orfèvres, et tant d’autres… Leurs œuvres seront maintenant démantelées, déménagées, vendues, détruites.
Sa vaste enceinte à l’acoustique parfaite disparaîtra et on ne pourra plus apprécier la qualité des concerts donnés sur son grand orgue Casavant (complètement restauré en 1986), un des plus prestigieux et puissants du Canada.
Pourquoi ? Pour l’argent, bien sûr !
Dans mes recherches de la généalogie de ma famille, j’ai retrouvé le lieu et la date de baptême de mon ancêtre français, l’église Saint-Porchaire de Poitiers en 1641. À l’occasion d’une visite en France, j’ai eu la surprise de retrouver cette église encore debout, en bon état, toujours au service de la paroisse ! En France, l’État est, depuis 1905, propriétaire des bâtiments religieux et c’est lui qui s’occupe de leur entretien et de leur réparation même si les pratiquants sont peu nombreux.
Depuis 1995, le ministère québécois de la Culture, sous l’impulsion du comité de conservation de l’art sacré de l’Archevêché de Montréal, dirigé alors par l’abbé Claude Turmel, a créé une fondation privée, sans but lucratif et à caractère multiconfessionnel, dont la mission est d’aider à conserver ce patrimoine et à le mettre en valeur par l’entretien préventif et la restauration.
Le comité a été pendant longtemps le seul à surveiller de près la situation de notre patrimoine religieux et il a multiplié les interventions auprès des gouvernements et des autorités religieuses pour leur faire comprendre la valeur irremplaçable de ces richesses et favoriser les réparations d’urgence et de rattrapage. À ce jour, le Québec a investi près de 225 millions $ et les propriétaires plus de 75 millions $.
C’est l’archevêque lui-même, le cardinal Jean-Claude Turcotte, qui affirmait il y a à peine quelques années : « nos bâtiments religieux font partie intégrale de notre patrimoine religieux ». On comprend sa perspective, mais il aurait pu tout aussi bien dire « de notre patrimoine collectif ».
Alors, comment expliquer le saccage prévu de l’église du Très-Saint-Nom-de-Jésus? Pourquoi notre cardinal a-t-il décidé de poser un geste si révoltant ? Pourquoi a-t-il changé son fusil d’épaule ? Ce sont les deux évêques-auxiliaires du diocèse de Montréal qui m’ont confirmé la réponse lorsque je les ai rencontrés récemment à Rome et leur ai demandé si la décision pouvait être reconsidérée. Les évêques haussèrent simultanément leurs épaules en signe de non et m’affirmèrent que cette église n’est pas classée à Québec et que l’argent n’est pas au rendez-vous. Si elle n’est pas classée, aucune ne l’est. Cet argument me semble un faux-fuyant.
Il devient évident que le départ de l’abbé Turmel, le grand et efficace défenseur du patrimoine religieux de Montréal, a créé un vide important à l’archevêché. Souventes fois dans le passé, il avait dû lutter ferme contre l’archevêque pour gagner son point et il réussissait. Il faisait faire les études, les plans et persuadait les autorités gouvernementales de l’aider. Malheureusement, il n’y a plus de tel champion du patrimoine religieux près de l’archevêque et il me semble évident que ce dernier manque d’imagination quand vient le temps de trouver des solutions et des argents pour continuer à sauver notre patrimoine religieux dont il est le responsable.
Et ce n’est pas la première fois qu’une telle chose se produit. Dans les années ’50 on a démoli la magnifique église Saint-Jacques et sa chapelle, œuvre de Victor Bourgeau, le plus grand architecte religieux qu’ait connu le Québec, pour faire place à l’UQAM. Seul le clocher de l’église et la façade du transept sud ont survécu au pic des démolisseurs. A ceux qui, à cette époque, défendaient le patrimoine religieux et s’opposaient à cette démolition, on répondait qu’il n’y avait pas assez de terrain pour les besoins de l’université, car la Ville de Montréal exigeait un parc donnant sur le boulevard Dorchester (maintenant René-Lévesque). Aujourd’hui, ce parc est construit et l’université a agrandi son campus en achetant plusieurs pâtés de maisons sur les rues avoisinantes. La preuve est maintenant faite qu’on aurait pu facilement éviter la disparition d’une pièce importante de notre patrimoine.
Pour démolir, on trouve toujours de bonnes raisons. Avant-hier, c’était un manque de terrain. Hier, c’était la faible assistance aux offices religieux. Aujourd’hui c’est un manque d’argent. Demain, ce sera autre chose. Après la transformation en condominiums de la magnifique église St-Jean-de-la-Croix, la rumeur court que d’autres églises patrimoniales seraient menacées, dont : l’immense Ste-Cunégonde, la très belle St-Jean-Baptiste, certaines églises anglicanes du centre-ville de Montréal et d’autres, plus contemporaines, construites dans les années ’50 et ‘60. Même si on ne peut qualifier ces dernières de patrimoniales, il n’en reste pas moins qu’elles sont, pour plusieurs, les œuvres de grands architectes, tel Roger d’Astous, élève du célèbre architecte américain Frank Loyd Wright. D’Astous s’est imposé comme un architecte religieux à Montréal. Les plans et documents de ses églises sont maintenant conservés au musée du Centre Canadien d’Architecture de Montréal. Pas plus qu’on accepterait de voir démolir un bâtiment d’Ernest Cormier, l’architecte de l’université de Montréal, ou une église de Bourgeau, serait-il acceptable de laisser démolir éventuellement une église de D’Astous.
Réaliser, aujourd’hui, une église comme Très-Saint-Nom-de-Jésus coûterait sûrement plus de 60 millions $. On veut la démolir pour 4 millions de $. Et après, il nous restera quoi ?
Le moment est donc venu de repenser le sort qu’il faut réserver à notre patrimoine bâti. Le fait qu’il puisse s’agir à l’occasion de lieux de culte n’enlève à ceux-ci rien de leur valeur pour toute la collectivité. Il devrait être interdit d’en disposer autrement que dans un cadre rigoureusement défini par cette même collectivité à un niveau ou un autre de ses instances décisionnelles. En d’autres mots, étant donné que les balises existantes ne suffisent pas à protéger tous nos trésors, nous devons, tout comme en France, demander à l’État de prendre la responsabilité de la conservation du patrimoine collectif. Et vite, avant que ne se produisent de nouveaux saccages.
C’est l’œuvre des grands artisans qui ont bâti Montréal qu’il nous faut conserver. C’est l’histoire de Montréal qu’il nous faut respecter et transmettre à nos descendants. À nos leaders religieux et politiques de se manifester ! Il n’est pas acceptable que nous nous laissions couper de nos racines. C’est notre identité qui est en cause.
Notre patrimoine collectif religieux, architectural, artisanal et autre fait partie de nous. Nous avons la responsabilité de tout faire pour le protéger et nous devons à nos descendants d’agir. On se mobilise bien pour les baleines….
Claude Dupras
Ps. Quelques arguments contenus dans ce blog viennent d’une lettre ouverte que j’écrivais en 2002 au journal La Presse pour défendre la magnifique église St-Jean-de-la-Croix de la destruction. CD
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