Le pont
Champlain est fédéral et il doit être démoli et remplacé par un nouveau. Pour
ce faire le gouvernement conservateur du Canada, toujours près de ses sous, propose
qu’il soit construit avec la méthode PPP, par laquelle une entreprise privée fera
le design définitif du projet, le construira, l’entretiendra pendant des
dizaines d’années, paiera tous les coûts, les frais et les dépenses et imposera
un péage pour se dédommager, avec profit. De son côté, le gouvernement ne paiera
que les dépenses de concept et de mise en place du projet pour la tenue de soumissions
publiques. Les payeurs de taxes canadiens seront épargnés mais les utilisateurs
du pont paieront. C’est ce qui fait débat.
Pressé par
la mauvaise condition du pont actuel, le gouvernement fédéral a mis de côté la
formule d’un concours international pour le choix des designers du nouveau pont
et il a choisi l’architecte danois, Poule Ove Jenssen, de réputation mondiale, pour en
faire le concept. Ce dernier a présenté sa maquette en fin juin 2014 et les Montréalais
ont découvert un pont élégant et élancé. Pour traverser la voie maritime du
Saint Laurent, une structure à haubans consistant en un haut pylône double d’où de nombreux
câbles obliques rehausseront les tabliers pour assurer le passage des bateaux. Le
reste du pont ressemblera à l’existant avec ses tabliers quasi-parallèles au niveau
de l’eau et assis sur 70 piliers dont les fondations seront creusées dans le
sol du fleuve. Parmi les commentaires qui m’ont été faits par des amis et
autres sur ce projet, plusieurs se sont montrés quelque peu désappointés car ils
ne trouvent rien de spectaculaire dans le design accepté.
Malgré que ce projet soit connu depuis plus de quatre
mois, le débat principal des Québécois a porté sur son nom et non sur son
design. Mais cela peut changer car l’architecte français Roger Taillibert qui a
dessiné le Stade Olympique, le vélodrome, les piscines olympiques des JO de
1976 à Montréal, vient de proposer un concept différent. Il suggère un pont à
haubans multiples sur toute la longueur du pont à partir de huit pylônes gigantesques
inclinés, un peu comme des mats de grands voiliers (peut être voit-il ceux de
Champlain). Son concept ressemble quelque peu au viaduc de Millau mais en
beaucoup moins spectaculaire puisque ce dernier traverse la profonde vallée du
Tarn et est construit en courbe avec son pylône central de la hauteur de la
tour Eiffel.
Le pont Taillibert serait entièrement métallique et les
huit pylônes ancrés dans le sol du fleuve. Taillibert prétend que son pont
coûtera moins cher (1,7 milliards $ au lieu de 4) et sa réalisation sera faite en
40 mois, beaucoup plus vite. La maquette qu’il a présentée est remarquable et plusieurs
Montréalais jugent cette proposition plus spectaculaire que celle de Jenssen et
plus réaliste pour un climat comme le nôtre puisqu’il est tout d’acier comme le
pont Jacques Cartier et le pont Victoria, qui sont toujours là et solides.
Il me semble que le gouvernement conservateur devrait
examiner le projet Taillibert et, s’il le trouve conforme, le soumettre en
soumissions avec celui de Jenssen. Que les réalisateurs-constructeurs des
groupes PPP, nous présentent la meilleure option avec son prix et son temps d’exécution,
car tous ces critères sont importants dans ce projet. Moins cher coûtera le
pont, plus bas sera le péage. C’est donc crucial que les politiciens y portent
toute leur attention.
Du côté du pont de Québec, la situation est tout autre. L’histoire
de sa réalisation marqua les annales canadiennes. Il a une structure remarquable.
Il fut construit, avec une aide initiale du gouvernement fédéral, par une compagnie
privée. De construction métallique rivetée, il est composé de deux porte-à-faux
gigantesques de 178 mètres chacun qui retiennent une travée centrale importante.
Le pont s’écroula deux fois durant sa construction, tuant 90 de ses travailleurs
et en blessant un très grand nombre. Finalement, les travaux furent complétés
au coût total de 25 millions $ et le premier train le traversa en 1917. On le
considérait alors une des merveilles du monde. De là, les Québécois aiment à dire, en parlant d’une
construction nouvelle, qu’elle est « plus solide que le pont de Québec ».
Plus tard, on démantela une des deux voies ferrées pour
élargir la voie carrossable. Finalement, trois voies furent réalisées. C’est un
pont important à Québec qui, jumelé avec le pont Pierre-Laporte, construit en
1970, permet une circulation libre et rapide pour entrer et sortir de la région
de la ville de Québec. De son ouverture jusqu’à avril 1942, un péage était
imposé à chaque véhicule le traversant. Avec ces revenus, ses propriétaires
sont « entrés dans leur argent ».
En 1993, le gouvernement du Canada, devenu propriétaire
du pont, l’a cédé avec divers terrains d’emprise de chemin de fer situés dans
tout le pays à la compagnie d’état des chemins de fers, le Canadien National
(CN), pour la somme nominale de 1 $. En retour, la compagnie s’est engagée à
faire une restauration complète du pont. Mais en 1995, le gouvernement fédéral
a privatisé le CN et a renégocié une nouvelle entente tripartite, valable pour
dix ans. Mais, au terme de cette entente, en 2005, seulement 40% du pont avait
été nettoyé de sa rouille et repeint à neuf. Le CN a alors refusé d’investir
toute somme supplémentaire dans la rénovation du pont et les travaux furent
interrompus. Face à cette situation de blocage et malgré d’intenses
négociations, le gouvernement du Canada a résolu d’intenter une poursuite
légale contre le CN en 2007, pour l’obliger à terminer la remise en état du
pont de Québec. L’affaire est encore devant les tribunaux.
Le Pont de Québec a été désigné « lieu historique
national du Canada ». Les sociétés d’ingénieurs canadiens et américains le
nommèrent « monument historique international ». Il est donc partie
de notre héritage et un bien à conserver. C’est une structure imposante, fort
impressionnante qui, même avec sa couleur brune rouillée, a belle apparence.
Aujourd’hui, sa structure n’offre aucun danger et le
maire de Québec parle du besoin de le repeindre pour des raisons esthétiques.
Le problème est que le CN refuse de dépenser 200 millions $ (son estimation)
pour faire ce travail de peinture à moins que la facture soit payée par les
gouvernements. Sinon, il propose de remettre le pont à celui des gouvernements
qui voudra bien l’accepter.
Jamais cette compagnie privée n’entreprendra ce travail
sans la résolution de sa mésentente avec le fédéral. C’est pourtant facile à comprendre.
Au lieu d’insulter les dirigeants du CN pour se faire des manchettes dans les
journaux, le maire LaBeaume devrait cogner à la bonne porte.
Il y a une autre solution : le péage. Que l’un des gouvernements
accepte de devenir propriétaire du pont et qu’il impose un péage pour défrayer ses
frais d’opération et d’entretien annuel. À ce moment-là, les Montréalais et les
citadins de Québec débâteront du même sujet : pour ou contre le péage sur
leur pont.
Claude Dupras
Note particulière : Les bagues d’acier remise
aux nouveaux ingénieurs canadiens lors de l’assermentation des « Sept
Gardiens », doivent être portées sur l’auriculaire de la main de travail
des ingénieurs professionnels et sont destinées à rappeler aux ingénieurs leurs
responsabilités sociales de respecter l’éthique de leur profession. L’anneau
est au départ en fer rugueux et c’est avec le temps qu’il se fait polir par le
travail, recevant l’expérience qui vient avec l’âge. On a toujours dit aux
jeunes ingénieurs que ces bagues avaient été forgées des morceaux d’acier effondrés
du pont de Québec. C’est faux. Diplômé en 1955 de Polytechnique, j’avais alors
cru en l’origine prétendue. J’ai toujours cette bague à mon auriculaire depuis ce jour et je ne l’ai
jamais enlevée.
4 commentaires:
Monsieur Dupras,
Au-delà des intérêts de tous les intervenants impliqués et/ou seront impliqués avant, pendant et après la réalisation du nouveau pont, en remplacement de l'actuel pont Champlain, et dans le contexte économique actuel, le design retenu dudit pont doit l'être en fonction de ses coûts de construction et d'entretien pour plusieurs années.
Il ne faut surtout pas laisser nos politiciens décider du sort d'un méga projet, comme ils l'ont fait pour les mégas hôpitaux. Un francophone et un anglophone, pour un débat tellement dépassé! Deux mégas centres, sans budgets pour les opérés, et surtout sans disponibilité et budget pour le personnel affecté principalement aux soins... Nous n'avons pas appris de notre éléphant blanc (parc olympique).
Quoiqu'il en soit, c'est à partir d'ébauche de solutions que nous pouvons développer et construire un projet en faisant contribuer, pour le bien de notre société, le savoir des gens d'ici.
En espérant ne pas voir un pont rétractable...
Mibe
Quelle belle mise au point. Merci
Jean-Jacques
Mon commentaire sur ton dernier blog.
Dans la bataille du pont Champlain, les troupres fédéral du Général Denis Lebel ont envahi Montréal avec leurs gros sabots et on pris par la force la région montréalaise en otage en imposant les lois des mesures de guerre du gouvernemet Harper et du silence: pas de consultation sur le choix architectural du nouveau pont ainsi que sur le nom à lui donner mais la certitude de payer une rançon à l'envahisseur à des postes de payage ! L'argument cavalier; le pont appartient au fédéral, c'est à eux à décider ne tient pas ! Les résidents, les électeurs et les payeurs de taxe de la région montréalaise ont également leur mot à dire.
Pour la relance de la ville il est important que Montréal se donne un symbole de prestige; déjà que la triste entrée à Montréal par Dorval est décriée par tous et chacun. Je suis d'accord que le projet de pont de Taillibert, à priori plus attrayant et solide avec sa structure de fer, soit mis en concurrence lors des appels de soumissions avec le projet de pont mis de l'avant par le fédéral.
Pour l'appelation du nouveau pont, pourquoi pas Pont Samuel de Champlain...qui soulignerait la continuité avec l'ancien pont Champlain et rendrait son prénom à ce grand personnage de notre histoire comme c'est le cas avec les autres ponts du fleuve St-Laurent: Jacques Cartier, Honoré Mercier, Maurice Duplessis, Mgr Langlois et Pierre Laporte.
Antoine
Bon article
SB
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