lundi 21 juillet 2014

La femme du français

Elle est née en Haïti. En 1968, sous la dictature de François « papa doc » Duvalier, sa famille fuit son pays pour s’établir à Thetford Mines, la ville de l’amiante québécoise au Canada, où il n’y a aucune famille noire. Elle a onze ans.
Ses études la mènent à l’université de Montréal où elle obtient un baccalauréat langues et littérature espagnoles et italiennes. Durant et après ses études, elle démontre une sensibilité particulière pour les femmes victimes de violence conjugale. Puis, les dirigeants du réseau français de Radio-Canada la remarque dans un documentaire de l’Office National du Film canadien et lui offre un emploi. Elle n’a que vingt ans. Elle devient reporter et animatrice et sept ans plus tard lectrice de l’émission de nouvelles « Le Téléjournal ». Elle est de plus, interviewer de personnalités canadiennes et d’autres pays.
Son nom est Michaëlle Jean et les Canadiens n’ont pas fini d’en entendre parler.
Elle épouse un français, cinéaste et philosophe, Jean Daniel Lafond. Ils adoptent une jeune fille haïtienne.
Bilingue parfaite, la chaine anglophone de Radio-Canada, quatre ans plus tard, l’invite à se joindre aussi à elle. Puis, elle devient animatrice du Téléjournal, et en 2004 anime sa propre émission « Michaëlle » diffusée en français.
En 2005, une surprise attend tous les Canadiens. Le 4 août, le premier ministre Paul Martin annonce que Michaëlle Jean devient Gouverneur Général du Canada, le 27ième. Les canadiens-haïtiens sont fous de joie, les autres étonnés. Elle est la première personne noire à remplir ce poste. Elle a 37 ans. Mais comme elle est aussi de nationalité française, acquise lors de son mariage, elle doit renoncer à celle-ci étant donné qu’elle sera la commandante-en-chef des Forces Armées Canadiennes. Ainsi est faite la constitution.  Elle rencontre, avec sa famille, la reine Élizabeth à sa maison d’été de Balmoral pour respecter la tradition et devient la vice-royale canadienne.
Son discours inaugural met l’accent sur ce qu’elle identifie comme les « deux solitudes » canadiennes. Elle veut instaurer un pacte de solidarité entre les peuples fondateurs du pays. Mais son discours va plus loin, et touche les relations entre les différentes communautés ethniques, linguistiques, culturelles et de genre.
La nouvelle Gouverneur générale est très active et représente la Canada partout : JO d’hiver en Italie, festival d’Iqaluit au Nunavut, en Algérie, au Mali, au Ghana, en Afrique du sud, au Maroc, en Argentine, en Haïti. Partout elle encourage les droits des femmes, particulièrement dans les pays musulmans. En Afghanistan, elle prend position pour la mission de paix affirmant que « le Canada est fier de faire partie des 37 pays qui ont entrepris de restaurer la stabilité et la reconstruction du pays ». Elle est à Vimy pour la commémoration du 90ième anniversaire de la bataille. Et encore… 
Elle rencontre les chefs d’état de multiples pays, dont la présidente du Chili, l’héritier et nouveau roi d’Espagne, le président hongrois et des dizaines d’autres.
En 2008, elle doit gérer une crise politique inédite au Canada. Le gouvernement minoritaire Harper est en difficulté après que l’opposition ait rejeté son énoncé économique. Les partis d’opposition lui proposent de se substituer au gouvernement en créant un gouvernement de coalition. Une première en politique canadienne. Elle refuse et décide de proroger la session parlementaire de deux mois jusqu’au dépôt du budget. Harper est sauvé.
À la fin du mandat de Michaëlle Jean, Harper crée une surprise en ne le renouvelant pas. Elle le voulait, il ne l’a pas voulu. Pourtant ses  prédécesseurs l’avaient fait pour les gouverneurs généraux du passé. Et cela, malgré que 57% des Canadiens approuvent son travail et considèrent qu’elle les a toujours représentés dignement et avec compétence. Harper est du genre conservateur-républicain-américain et veut avoir le contrôle total sur les affaires de l’état et comme elle montrait un peu d'indépendance...
L’ONU qui a remarqué les talents de Michaëlle Jean, la nomme « envoyée spéciale pour l’éducation, la science et la culture en Haïti » dans le but d’obtenir des fonds pour la reconstruction et l’éducation dans ce pays. Puis, le sénégalais Abdou Diouf, secrétaire général de la Francophonie, la nomme comme « grand témoin » pour les JO d’été de Londres afin de promouvoir la langue française. Entre temps, elle préside le conseil d’administration de l’Institut québécois des hautes études internationales à l’université de Laval et devient la chancelière de l’Université d’Ottawa.
Abdou Diouf démissionne de son poste en 2014 et Michaëlle Jean exprime son intention de le remplacer. C’est un poste très important. Mais elle n’est pas seule à viser cette nomination. Il y a aussi Pierre Buyoya, l’ancien président du Burundi, et le socialiste Bertrand Delanoë, l’ex-maire de Paris. Buyoya mise sur les suffrages de l’Afrique Centrale ce qui lui donne des créances démocratiques, tandis que Delanoë compte sur le fait qu’il est socialiste et qu’il a appuyé le président socialiste François Hollande lors des primaires de son parti pour le choix du candidat.
Michaëlle Jean ne désespère pas car elle a beaucoup d’atouts. N’est–elle pas un symbole de la francophonie plurielle ? N’a-t-elle pas l’esprit de résistance de son peuple comme elle l’a si bien démontré au Canada ? Ne s’est-elle pas investie dans le combat social canadien en travaillant auprès de femmes en difficultés ?  Malgré son travail intellectuel, n’a-t-elle pas toujours montré son sens pratique pour aider les femmes violentées ? Lors du terrible tremblement de terre  en Haïti, n’a-t-elle pas transformé son bureau en centrale téléphonique pour les initiatives de secours sur la base des informations reçues ?
Comme les Haïtiens dont la vie est difficile et qui souffrent, elle a démontré qu’elle sait composer avec le chaos et qu’elle a une capacité de résistance et d’organisation dans toutes situations. Tous les liens qu’elle a tissés avec les pays africains, dans sa carrière de journaliste et de chef d’État, ont créé une sympathie envers elle et naturellement Haïti, où étaient « menés des millions d’Africains lors de la traite négrière ». Elle propose aujourd’hui, une « francophonie de la diversité culturelle et du pluralisme », dont elle est l’exemple, « assise sur la francophonie politique, les valeurs démocratiques et l’état de droit » réalisés par les présidents passés de l’organisme.
Elle met surtout l’accent sur le développement économique qui est, pour elle, le vrai espoir des jeunes. « A quoi sert de produire des milliers de diplômés si c’est pour en faire des chômeurs ou des demandeurs d’asile ? », demande-elle ?
Elle réclame aussi le respect des droits de l’Homme qui pour elle « préservent les valeurs du peuple et son rayonnement plus grand que ses ressources », citant le Sénégal comme exemple.
Malgré que le Canada appuie sa candidature, c’est aussi un aspect négatif pour elle à cause du comportement offensif de sociétés minières canadiennes en Afrique. « J’entends mettre l’accent sur la responsabilité sociale des entreprises… », assure-t-elle pour obvier à ces craintes.
Michaëlle Jean a toutes les qualités pour bien remplir l’importante tâche de secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie. Elle incarne la francophonie du futur, celle du bon sens économique. Elle est la candidate idéale pour être dans le monde, la femme du français.
Mais à ce jour, la France la boude. Elle se montre sceptique aux propositions de Michaëlle Jean, pour une francophonie plurielle et diverse qui s’ouvre sur le monde. Le malheur pour la candidate canadienne est que la France assure plus de 70% du budget de l’organisation, ce qui fait que sa voix est prépondérante. Je ne serais pas surpris que le gouvernement français opte pour un ses siens qui se cherche un emploi, le socialiste Bertrand Delanoë, ex-maire de Paris. Ce n’est pas le meilleur candidat, mais il est "du bon bord". 
Claude Dupras

3 commentaires:

Richard a dit…

Claude,

Le rôle de MJ comme représentante de la reine d'Angleterre au Canada la disaqualifie complètement pour accéder à la tête d'une organisation dont tous les membres qui avaient à le faire se sont émancipés de leur tutelle coloniale, ce que le Canada n'a pas fait. Le rapatriement de 1982 constitue une démarche d'émancipation incomplète. Nous avons gardé l'attachement à la couronne britannique. Voir à ce sujet l'article de Christian Rioux dans Le Devoir, reproduit sur Vigile http://www.vigile.net/La-Francophonie-merite-mieux

Richard

Anonyme a dit…

Tout à fait d'accord avec votre conclusion.
De surcroît, faudra -il que la France subsiste longtemps dans la Francophonie, compte tenu de son anglicisation ambiante et rapide tant dans les médias que dans la population. Monsieur Delanoe parlera-t-il encore le Français dans quelques mois ? De plus, il a saboté l'avenir de Paris en en faisant un parc d'amusement pour touristes, que fera-t-il avec la Francophonie ?

Liane a dit…

À anonyme,
Pourquoi la France perdrait-elle sa place dans la francophonie parce que quelques uns de ses citoyens parlent anglais. Je dirais qu'une grosse majorité des québécois parle anglais et nous sommes toujours une province française. Il y aura du chemin à faire pour que la France perde son français.